Alimentation et laïcité : que dit le droit ?

N° 276 - Mars 2023
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L’hôpital n’est pas tenu de satisfaire aux demandes alimentaires fondées sur des motifs religieux : les adaptations trouvent leurs limites dans l’organisation et le fonctionnement habituels du service.

À l’hôpital, la réglementation concernant l’alimentation implique le respect d’exigences minimales de variété des plats servis, la garantie d’avoir quatre ou cinq choix à chaque déjeuner ou dîner et l’adaptation des plats proposés aux goûts et à l’état de santé des patients (1) .
Sous réserve du respect de ces règles de base, et en l’absence d’autres dispositions législatives ou réglementaires, les établissements de santé bénéficient d’une certaine liberté pour décider de la composition des repas, en dehors de toute prescription médicale ou prise en charge diététique. Le régime alimentaire de la personne est individualisé en lien avec sa santé : prise en charge diététique, allergies.
En dehors de ce cadre médical, les hôpitaux peuvent prendre en considération les demandes spécifiques des patients, dans la limite de leurs possibilités financières et de l’organisation et fonctionnement du service. Ainsi, la personne hospitalisée ne peut exiger une alimentation en lien avec ses croyances religieuses. Si la Charte relative aux droits des personnes hospitalisées (2) rappelle que « dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires…) », plusieurs textes sont néanmoins venus en préciser les limites juridiques.

Le choix alimentaire n’est pas un droit opposable

– En 1995, le Conseil d’État (3) considère que la restauration des patients hospitalisés est « un élément du service public hospitalier ». En conséquence, elle est soumise au principe de neutralité qui interdit un traitement différencié des patients en fonction de leurs croyances religieuses.

– En 2007, une circulaire confirme qu’il ne s’agit pas d’un droit qui s’impose à l’hôpital. « (…) Les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires, ont le droit au respect de leurs croyances, et peuvent participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service. (…). Le respect des convictions religieuses et le droit de les exprimer doivent se concilier avec les nécessités inhérentes au service public hospitalier. (…) Les patients peuvent avoir la possibilité de se procurer des repas respectant leurs prescriptions alimentaires en se coordonnant avec l’aumônier de leur culte. » (4).

– En 2011, une nouvelle circulaire (5) rappelle que «des demandes particulières, fondées sur des motifs religieux, ne peuvent donc justifier une adaptation du service public. (…) ». En d’autres termes, l’hôpital n’est pas tenu de s’adapter et de satis- faire aux demandes alimentaires fondées sur un motif religieux.

Tenir en compte les croyances « dans la mesure du possible »

Pour sa part, l’Observatoire de la laïcité relève cependant que « les établissements de santé s’efforcent dans la mesure du possible de trouver des alternatives à la nourriture que ne consomme- raient pas certains patients » ; « Lors de l’arrivée dans un hôpital public, lorsque l’état du patient nécessite qu’il soit hospitalisé, l’équipe médicale lui demande, ou à ses tuteurs légaux s’il est mineur, quelles sont ses habitudes alimentaires, s’il a des intolérances à certains aliments ou des aversions particulières. Il doit être tenu compte, dans la mesure du possible, des différents types de régime alimentaire » (6).
Le principe de laïcité impose une égalité de prise en soins des personnes, quelles que soient leurs croyances religieuses. Pour autant, ne pas accéder à une demande alimentaire en lien avec des motifs religieux ne peut être juridiquement regardé comme une atteinte aux droits.
Sur ce point, il importe de bien comprendre ce qui constitue en droit une discrimination. Il s’agit du fait objectif de ne pas traiter intentionnellement une personne avec le même égard. Le Code pénal vient lister les motifs de distinction, et pointe le motif religieux (7). Mais ne pas pouvoir accueillir favorablement la demande d’alternative alimentaire d’un patient ne relève pas d’une intention de le traiter différemment du fait de ses convictions religieuses, mais bien d’une impossibilité technique ou financière. De ce fait, cela n’est pas juridiquement constitutif d’une discrimination.
Par ailleurs, notons que les tiers ne sont pas autorisés à introduire des denrées alimentaires (8).

Valériane Dujardin-Lascaux
Juriste, EPSM des Flandres, Bailleul.

1– Décret n° 2012-143 du 30 janvier 2012.
2– Circulaire DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A n° 2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées.
3– Conseil d’État, 15 janv. 1995, n° 150066, Delignières.
4– Circulaire n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de la laïcité dans les services publics.
5– Circulaire du 16 août 2011 relative au rappel des règles afférentes au principe de laïcité. Demandes de régimes alimentaires particuliers dans les services de restauration collective du service public.
6– Guide « Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé », Observatoire de la laïcité, 2018. 7– Article 225-1 du Code pénal. 8– Article R.1112-48 du Code de la santé publique – « (…) Le cadre infirmier du service s’oppose, dans l’intérêt du malade, à la remise à celui-ci de denrées ou boissons même non alcoolisées qui ne sont pas compatibles avec le régime alimentaire prescrit. Les denrées et boissons introduites en fraude sont restituées aux visiteurs ou à défaut détruites. ».