Un chantier naval thérapeutique, tremplin vers le rétablissement !

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Charpentier de marine, pair-aidant, sauveteur secouriste en santé mentale, marié, trois enfants, Bernard Royer de Véricourt évoque son parcours de rétablissement. A partir d’une vision différente de son entourage proche, il n’a cessé de regarder l’homme à travers ses désirs, pour faire confiance et se construire par le travail et dans l’amour. Il nous interpelle également sur le sens de la vie et du bonheur. Son témoignage s’incarne au travers d’un chantier naval thérapeutique, unique en France.   

En 2020, j’ai créé avec Vincent Guillerm, infirmier au CESAME, centre de santé mentale angevin, un chantier naval thérapeutique. Usager du CESAME depuis 2008 et micro-entrepreneur, j’avais pour objectif de me rétablir et de restaurer un bateau, un EDEL 2 de 1967. L’objet de cet article est de synthétiser les enseignements issus des 54 journaux illustrés de mon blog pour aborder l’impact thérapeutique du chantier. Il est intéressant de retenir comment le pair–aidant  « de terrain »  construit concrètement sa posture afin de faire évoluer les pratiques en santé mentale pour que nos rêves de guérison deviennent une réalité inclusive. 

Un nécessaire ancrage dans la réalité

Je reprends ici les propos de Vincent Guillerm qui s’exprime ainsi. « L’expérience du Chantier Naval Thérapeutique nous permet d’objectiver l’impact concret de la notion d’engagement. En effet, s’engager dans un projet innovant, à l’échelle de plusieurs mois demande un investissement total de la personne qui se sent attendue par le reste de l’équipe ; un engagement vis-à-vis du groupe mais aussi d’elle-même. Ce mot « engagement » venant ainsi en métaphore avec celui dont doit faire preuve la personne dans son parcours de rétablissement. La singularité de cet atelier va inciter la personne à se mettre en mouvement et devenir pleinement acteur de sa prise en charge, de s’inscrire dans une nouvelle dynamique en s’appuyant sur un collectif rassurant. Ce travail axé principalement sur un bois noble dégageant une odeur bien caractéristique et un toucher agréable va permettre de développer la notion de bien-être, fondamentale à tout un chacun, participant à cette notion de plénitude, d’ouverture sur l’autre et sur les champs des possibles incarnés par le pair-aidant tout en assurant un ancrage dans la réalité ».

« Favoriser le bien-être au cœur d’un atelier thérapeutique permet concrètement d’assurer une meilleure qualité de vie de la personne. »

Ainsi, l’acquisition d’habiletés professionnelles générales telles que l’assiduité, la ponctualité, se présenter avec une tenue adaptée vont permettre à la personne soignée de s’inscrire dans une temporalité certaine, de suivre un rythme permettant l’instauration d’une bonne hygiène de vie favorable à l’équilibre psychique. Vincent Guillerm souligne aussi « que les habiletés professionnelles spécifiques au métier du bois sont susceptibles de faire « bonne rencontre » avec l’usager, et lui permettre, dans un premier temps de reprendre confiance en soi, de restaurer l’estime de soi et pourquoi pas de lancer ou relancer un projet social et/ou professionnel, assurant ainsi une projection sur l’avenir. La finalité est que la personne soignée puisse prendre du recul, apprendre sur soi, identifier ses forces et ses points de fragilité, se remettre en question, être force de propositions en s’impliquant dans l’élaboration collective d’un projet et dans la prise de décisions vont clairement développer solidement le pouvoir d’agir de la personne dans un cadre sécurisant et à l’écoute. »

« Ce projet lutte concrètement contre l’isolement et la stigmatisation et a un impact direct sur les facteurs de rechute et d’hospitalisation ».

La parole de Fabien Conte, usager du chantier  
« Suite à une période de maladie, de repli sur moi, j'ai été hospitalisé au Césame puis j'ai débuté un suivi au CMP. J'étais inscrit à plusieurs ateliers : le dessin, le sport, la poésie. Ces activités et mon quotidien à la maison m’ont permis de retrouver un début de stabilité. À cette période, je me projetais dans une activité professionnelle. J’étais déjà diplômé en horticulture mais les conditions de travail et ma maladie m’empêchaient de retravailler. J'ai donc commencé l’AIRA (Atelier Intersectoriel de Réhabilitation par l’Activité) et cela m’a été très bénéfique. Le travail, les activités thérapeutiques, les réunions m'ont permis de reprendre confiance en moi et de m'ouvrir aux autres. Le groupe, le fait de progresser en même temps que mes collègues, l'entraide, m'ont aidé à tenir dans la durée.  J’étais finalement heureux de me lever tous les matins pour aller travailler. J'ai aussi eu la chance d'être choisi pour faire partie de l'équipe du chantier naval thérapeutique. Là aussi ce fut un engagement. Je savais que pour moi et mes équipiers, il fallait que je mène ce projet jusqu'au bout. Tous les mardis pendant un an et demi nous nous sommes retrouvés pour restaurer le bateau. C'était assez découragent au début mais la diversité des travaux et le fait que Bernard nous transmette sa passion ont fait que j'ai pris beaucoup de plaisir. Cela m'a aussi permis de retrouver des sensations de mon ancien métier : carreleur. Quand je regarde le bateau aujourd'hui, il est plus beau que ce que j'imaginais au début. Je suis très fier d'avoir participé à sa restauration parce qu'il va être utilisé par une association d'insertion. Aujourd’hui, je travaille sur mes projets professionnels avec un job Coach. Je vais créer mon entreprise de production de fleurs coupées sur un terrain que je loue près de chez moi. Cela devrait me faire une activité à mi-temps. J'aimerais aussi retrouver cette entraide que j'ai trouvé à l'AIRA (peut être par la pair-aidance ou les groupes d’entraide). Il y a une phrase qui résumerait bien mon parcours : "le rétablissement c'est comme le bonheur, c'est fait de pleins de petites choses !" S’il n’y avait eu que le traitement, cela n'aurait pas marché. Par contre, le traitement, les équipes soignantes (la psychothérapie) les activités au CMP, mes loisirs, ma famille, mon logement, mes projets de travail font que je suis aujourd'hui rétabli de la maladie. En fait, c'est comme au jardin. On peut choisir de faire de la monoculture, mais si on choisit de cultiver la diversité, on a beaucoup plus de chance d’avoir un beau jardin et de bien se nourrir. Je remercie de tout mon cœur tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à mon rétablissement et à mon bonheur. »

Des impacts majeurs sur plusieurs registres

A l’issue de ces témoignages et à la relecture de mes journaux de chantier, cette aventure collective a produit plusieurs impacts majeurs :
sur la relation infirmier /pair-aidant encadrant technique. L’infirmier renforce son rôle à trois niveaux. Il s’implique physiquement et concrètement dans les tâches manuelles aux côtés du pair-aidant. Cela suppose une remise en question de son identité de soignant sur la pratique des soins. Il soutient également le pair-aidant dans sa posture d’encadrant technique. L’infirmier permet également d’ajuster le cadre de bien-être au travail pour les usagers et de veiller à leur sécurité. Parallèlement l’impact du pair-aidant sur l’infirmier contribue à changer son regard sur les soins. L’infirmier fait avec l’usager et non à sa place et le pair-aidant facilite par son vécu expérientiel le dialogue entre l’infirmier et les usagers.
– sur la relation binôme /usagers. C’est une relation intersubjective régie par des ressorts affectifs. Cependant l’usager est vite confronté à une réalité manuelle et concrète. Son objectif est de visualiser la tâche à exécuter et de respecter les consignes de l’encadrant technique qui impulse une dynamique bienveillante de résultat. Le travail des séances, préparées en amont, est expliqué de façon concise et compréhensible. L’usager se réapproprie un savoir-faire et des compétences qui lui redonnent confiance en son pouvoir d’agir et sa recherche d’autonomie. Ce dernier se décentre peu à peu de ses troubles pour retrouver collectivement ses capacités. Les effets positifs du support bois sont tangibles. Le support, les objectifs pédagogiques et une communication de qualité permettent à chacun de trouver la juste distance affective et thérapeutique. Le travail est reparti en tenant compte de l’humeur du moment de chaque participant. Une ambiance bienveillante, empathique et d’intelligence collective implique le patient au-delà de sa pathologie. En fin de séance, un débriefing permet à chacun de s’exprimer sur son ressenti et ses attentes. Finalement l’encadrant technique-pair-aidant s’appuie sur ses compétences techniques et son vécu expérientiel pour adapter le travail et les consignes aux usagers.
– auprès des institutions. Nous avons constaté que le chantier naval thérapeutique a fait écho dans tout l’hôpital, a redonné du sens, de la motivation et même de la joie aux personnels et services amenés à côtoyer de près ou de loin le chantier. En effet les services techniques du CESAME, qui ont été un appui logistique important, ont suivi l’avancée des travaux avec enthousiasme. Leur travail à proximité du chantier a été plus motivant et a même permis de créer des liens avec les usagers et les intervenants extérieurs du chantier. Une véritable communication dans l’hôpital autour du chantier naval thérapeutique a été mise en œuvre pour témoigner au plus grand nombre d’usagers et de soignants des effets bénéfiques du chantier sur le rétablissement des usagers. Aujourd’hui, le chantier fait office d’exemple pour encourager le développement des pratiques intégratives et innovantes recommandées par les instances gouvernementales et de santé publique.
– et plus largement… Le rétablissement par le travail et la participation citoyenne ont pris une nouvelle dimension. Le regard sur les soins en santé mentale s’est ouvert grâce à la pair-aidance qui a ancré le rétablissement dans une réalité tangible et socialement utile. Il est également intéressant de noter les effets positifs, conjoints et simultanés du temps psychologique et du temps social. En effet pendant la durée du chantier les usagers se sont réappropriés leur pouvoir d’agir pour faire de leur handicap une force au service du rétablissement. Ajoutons aussi le rôle important des partenaires extérieures du chantier (fournisseurs, mécénat de compétences, associations, sponsors, collectivités et donateurs …) qui nous ont fait confiance et soutenus sans discrimination, infantilisation et jugement et ont ainsi contribué au succès, à la reconnaissance et à la crédibilité de ce chantier naval thérapeutique. Plus concrètement encore, ce chantier naval thérapeutique a été couvert, à plusieurs reprises par la presse locale. Lors de la mise à l’eau de Dapherod, le 3 mai 2022 à Angers, la direction du CESAME, le Maire d’Angers et d’autres personnalités angevines s’étaient déplacés. Enfin, un réalisateur et un producteur parisien, conquis par la démarche du chantier naval thérapeutique, ont réalisé un film documentaire « BATEAU THERAPIE » de plus de 50 minutes (sortie à l’automne 2022) qui fait le parallèle entre la restauration de cet EDEL 2 et le rétablissement des personnes en situation de handicap psychique et/ ou social.

« Aujourd’hui, le chantier fait office d’exemple pour encourager le développement des pratiques intégratives et innovantes recommandées par les instances gouvernementales et de santé publique »

Se réapproprier un espace de liberté

Nous arrivons au terme de cette réflexion sur l’impact thérapeutique de ce chantier naval. Mon bagage technique et mes savoirs expérientiels ont été indispensables pour accompagner sur plusieurs mois une douzaine d’usagers qui se sont relayés à tour de rôle pour finaliser la restauration de cet EDEL 2. Ce chantier aura été pour nous un tremplin vers de nouveaux horizons. Pour ne citer que quelques exemples, Fred a quitté l’hôpital, Fabien poursuit son parcours professionnel, Florian a passé son permis moto et a retrouvé une vie sentimentale, Jonathan s’est stabilisé comme artiste peintre et prépare son mariage à l’étranger. La réussite de ce chantier est due également à la synergie du  binôme infirmier encadrant technique/pair-aidant. Les regards croisés du binôme, bienveillants voire humoristiques sur la maladie, ont permis aux usagers de se sentir en confiance, d’apprécier et de s’approprier cet espace de liberté dans le travail manuel et évolutif. Sans une intelligence collective de terrain, un engagement et une motivation forte, l’équipe du chantier n’aurait pas pu mener à terme cette restauration. Il en ressort une véritable reconnaissance, un bien-être et un sens incarné de ma posture d’encadrant technique et de pair aidant.

Finalement être pair-aidant est un nouveau métier du médico-social et il se professionnalise depuis quelques années via des formations spécifiques plus ou moins qualifiantes. Le pair-aidant peut exercer son métier en individuel dans le privé, au sein d’une équipe pluridisciplinaire dans un établissement de santé ou une association ou encore, comme c’est mon cas, en binôme avec un infirmier pour être à la fois encadrant technique et pair-aidant. Tous, avec leurs savoirs expérientiels, pratiquent ce métier qui manque encore de reconnaissance et de crédibilité. Certains professionnels de santé s’interrogent encore sur l’impact social des pairs-aidants qui rechuteraient régulièrement ou « parasiteraient » l’entreprenariat social. Le pair-aidant ne pourrait-il pas, au contraire, donner, au sein d’équipes pluridisciplinaires, plus de sens, d’espoir et de cap pédagogique à leurs actions pour impacter concrètement, réellement, collectivement et durablement le rétablissement, voire l’inclusion des usagers qu’elles accompagnent ? Par extension de l’impact positif du chantier naval thérapeutique sur les institutions de santé, le milieu ordinaire ne pourrait-il pas d’avantage participer à la déstigmatisation des personnes en situation de handicap par la voie de la pair-aidance ?

Bernard Royer de Véricourt

Références bibliographiques :