Un moment de vulnérabilité

N° 265 - Février 2022
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Après une agression dans le hall de son immeuble, Katia, 25 ans, présente des symptômes de stress post-traumatiques. Un suivi soignant l'aide à reprendre le cours de sa vie...

À la consultation Nineteen*, nous pouvons accompagner certains jeunes pour un temps limité dans une phase de vulnérabilité psychique. Il s’agit de les aider à gérer leur quotidien malgré leurs difficultés, pour leur permettre de se soigner et de poursuivre leurs études. C’est le cas de Katia, 25 ans, que je suis depuis quelques mois. D’origine Syrienne, elle vit en France depuis deux ans. Étudiante en master d’architecture, elle a contacté notre équipe après une agression dans le hall de son immeuble, envahi de squatteurs. Depuis, elle a été relogée dans une résidence étudiante, mais présente un épisode dépressif et des symptômes de stress post-traumatiques, avec une anxiété dans les transports, une difficulté à sortir de chez elle et à se rendre en cours, et des cauchemars.

Impasse

Une prise en charge de courte durée est décidée. Katia est reçue chaque semaine par le psychiatre de l’équipe, qui prescrit un traitement antidépresseur et surveillera son humeur. Mon rôle est de l’accompagner et d’apporter une réassurance au quotidien.

Quand je la reçois pour la première fois début décembre, je découvre une jeune femme très touchante. D’une voix grave et profonde, avec un léger accent, elle m’explique en pleurant qu’elle culpabilise énormément de ne pas assister aux cours depuis un mois. Elle a peur de redoubler et évoque son frère, déjà architecte, qui a « tout réussi du premier coup ». Elle n’ose plus joindre son père en Syrie, de peur de le décevoir, et n’a pas pu lui avouer qu’elle n’allait plus en cours. Elle est incapable de contacter son école pour expliquer sa situation et se sent dans une impasse. Je lui dis doucement que ce sont des démarches très lourdes à faire quand on est seule et déprimée mais que nous allons les effectuer ensemble, à son rythme. 

L’essentiel est d’abord de prévenir l’école. J’appelle la responsable pédagogique qui me précise les démarches administratives, pendant que Katia écoute les yeux baissés. Il faut justifier de son absence, ce qui embarrasse la jeune femme : elle ne souhaite pas que l’établissement soit informé de ses troubles psychiques. Je lui explique que le psychiatre peut rédiger un certificat justifiant que son état de santé actuel ne lui permet pas de poursuivre sa scolarité, sans plus de précisions, mais qu’il faut clarifier sa situation.

La semaine suivante, nous rédigeons ensemble une lettre expliquant les faits. Katia a apporté son ordinateur portable et se met très vite à la tâche. Je l’aide à formuler sa pensée et elle envoie son courrier seule, avec le certificat médical et les arrêts maladie. C’est un progrès réel et je la félicite.

La jeune femme se plaint de douleurs diffuses et a du mal à se mobiliser physiquement. Lors d’un entretien médical, elle évoque l’idée de faire de la relaxation et nous l’orientons vers un psychomotricien. La première fois que mon collègue lui demande de fermer les yeux et de prendre conscience de ses appuis, Katia éclate en sanglots. Le professionnel convient avec elle de commencer par des automassages pour qu’elle se réapproprie ses sensations corporelles avant de pouvoir fermer les yeux. En séance, Katia évoque l’angoisse de perdre sa bourse et de devoir la rembourser.

Informée, j’appelle la responsable du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui se montre rassurante. Mais Katia doit prévenir par mail chaque professeur et demander comment elle pourra concrètement rattraper son retard. C’est un travail fastidieux mais ensemble, nous y arrivons. 

Traverser le pont…

Trois mois passent et l’état psychologique de Katia s’améliore. La jeune femme se sent plus dynamique, sort de chez elle, dort mieux et envisage de retourner en cours au deuxième semestre. Elle reprend le dessin, activité qu’elle aime et qui lui permet de mettre en forme ses idées. Elle me parle un jour d’un cours qu’elle avait beaucoup apprécié, l’année précédente, où il s’agissait de construire en équipe le pont le plus long. Les étudiants devaient assembler du bois et marcher ensuite avec un baudrier sur leur ouvrage pour en éprouver la solidité. Elle me montre une vidéo de cette épreuve et je la vois, les yeux brillants, avancer prudemment sur son pont, un pied après l’autre, encouragée par ses camarades. Je lui dis que c’est une belle métaphore des épreuves qu’elle a traversées et que, petit à petit, elle réussit à surmonter ses difficultés…

Virginie De Meulder
Infirmière, consultation Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences

*Accueil de première ligne pour adolescents et jeunes adultes en souffrance psychique.