N° 233 - Décembre 2018

« Il veut la garder près de lui ! »

Auteur(s) : VIRGINIE DE MEULDER, InfirmièreNbre de pages : 1
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Myriam, 20 ans, qui souffre d’autisme, pourrait intégrer un foyer, mais son père refuse tout éloignement. Sa mère, épuisée, s’inquiète de l’absence d’autonomie de sa fille.

Depuis plus de cinq ans, nous accueillons Myriam, qui souffre d’autisme (1). Cette patiente de 20 ans devra bientôt quitter l’hôpital de jour (la limite d’âge est de 23 ans) et nous préparons un projet de sortie avec elle et sa famille.
Malgré son corps de jeune femme, Myriam ne s’exprime qu’avec quelques mots et ses capacités cognitives sont restées celles d’un petit enfant. Elle a un frère aîné, Omar, autiste lui aussi, et une petite sœur de 7 ans, en bonne santé. Très attachée aux soignants, elle nous sollicite beaucoup, par des appels et des aggripements. Son excitation est parfois difficile à gérer et ses cris incessants dérangent souvent les autres adolescents.
Myriam a acquis une autonomie, toutefois limitée : elle fait sa toilette à peu près seule chez elle et sait également se rendre à pied à l’hôpital de jour, en suivant toujours le même chemin.
Sa mère occupe un emploi à temps partiel depuis que la petite dernière est en maternelle. Son père travaille de nuit. Depuis que nous évoquons l’avenir de Myriam, ses parents se crispent, et semblent redouter de se séparer de leur fille. Ils ont paru accepter un projet de foyer de vie mais ne se sont finalement pas rendus au rendez-vous fixé pour rencontrer l’équipe. Avec le médecin, nous les recevons pour comprendre ce qu’il se passe.

"Qui va s'occuper d'elle ?" …

Myriam est assise entre ses deux parents. Sa maman regarde par la fenêtre, semblant éviter le regard de son mari. Ce dernier est agité, il attrape Myriam par l’épaule et l’interpelle sans cesse. Avant même que le médecin ne prenne la parole, la mère lance, accusatrice : « C’est lui qui n’a pas voulu que Myriam aille là-bas docteur, il veut la garder près de lui, comme une toute-petite, n’est-ce pas?
– Oui, rétorque le père avec force. Myriam loin de moi, ce n’est pas possible. Tu te rappelles comme c’était dur pour Omar quand il est parti en internat dans le Sud? Omar, il est grand et fort, Myriam elle ne peut pas se défendre, elle reste avec moi. »
La médecin rappelle le projet, précise que Myriam rentrerait tous les week-ends, le père secoue la tête. Il a du mal à entendre que sa fille serait en sûreté au foyer, entourée de soignants pour veiller sur elle, comme à l’HDJ.
« C’est pas du tout pareil pour une fille, vous pouvez pas comprendre docteur…
– Vous savez, reprend la psychiatre, Myriam ne se met pas en danger ici, elle sait garder la bonne distance avec les garçons et se protéger.
– Évidemment, lance la mère d’une voix méprisante, ça l’arrange de la garder parce que c’est pas lui qui s’en occupe. Moi je travaille docteur, j’ai trois enfants, vous savez, Omar ça va, il peut s’occuper de lui, mais Myriam, il faut lui laver les cheveux, l’aider, elle ne pourra jamais vivre seule alors il faut tout le temps être là. Et puis il y a encore les devoirs de la dernière le soir. C’est fatigant docteur vous savez de s’occuper de Myriam et de se dire qu’elle ne sera jamais autonome… »
Myriam regarde le médecin, son père, sa mère en larmes, et lance un cri qui ressemble à un rire en la regardant. « Docteur, peu importe où elle soit, moi je veux juste qu’elle soit heureuse ma fille. » Le médecin tente d’être rassurante, peutêtre est-il trop tôt pour un foyer. La mère fixe son mari droit dans les yeux et lui crie :
« Et comment tu feras hein, quand je serais trop vieille et quand je ne pourrais plus m’occuper d’elle ? Quand toi aussi tu seras trop vieux, qui va s’occuper d’elle hein ?
– On verra, répond le père avec un sourire, Dieu décidera pour elle.
− Tu crois que c’est le Bon Dieu qui va lui faire sa toilette, c’est ça ?
− …
− Alors c’est qui ?
− Bah, il y a sa sœur…
− Ah non, hurle la mère, sûrement pas, elle a le droit d’avoir sa vie, elle ne va pas s’occuper de deux handicapés! »
Criant à son tour, effrayée, Myriam s’accroche à mon regard comme à une bouée. Le médecin s’adresse à elle doucement et lui explique très simplement que ses parents se disputent car ils ne sont pas d’accord. Que ça arrive et que ce n’est pas grave. Que nous allons trouver une solution. Son père veut la prendre dans ses bras mais elle se dérobe et cherche le regard de sa mère. Myriam absorbe les émotions et les colères de ses parents comme une éponge, à la manière d’un tout-petit. Je me demande ce qu’elle a compris de cet entretien. Il va nous en falloir, du temps, pour construire un projet qui tienne compte des souhaits, des peurs et des réserves…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e

1– Voir Santé mentale n° 178, mai 2013.