Peut-on fumer dans les services de psychiatrie?

N° 226 - Mars 2018
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Si le tabac est interdit dans les lieux collectifs, des dispositions particulières doivent être prises dans les services de psychiatrie pour délimiter précisément des espaces « fumeurs ».

Peut-on autoriser la cigarette dans les services de psychiatrie, alors que depuis le 1er février 2007, l’hôpital est un lieu non-fumeur (1)?
Relativement abondante et technique, la réglementation sur l’usage du tabac est assez difficile à appliquer au quotidien dans les unités de soin. La lutte contre le tabagisme est désormais une politique de santé publique dont le cadre est fixé par le Code de la santé publique (CSP) (art. L. 3511-1 à L. 3511- 9, art. R. 3511-1 à R. 3511-8). Il s’agit pour le législateur de mettre en œuvre une stratégie visant à modifier le comportement des individus sans pour autant interdire la consommation du produit. Comme souvent en matière de libertés fondamentales, il faut trouver un juste équilibre entre la préservation de l’intérêt général et la responsabilité individuelle de chacun. C’est ainsi que l’article L. 3512-8 du CSP dispose qu’« il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif […], sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Cette formulation, assez classique en droit français, oblige les acteurs de terrain à réfléchir à la manière dont ils souhaitent configurer leur environnement quotidien. De fait, la loi n’impose pas une interdiction générale et absolue du tabac sur le domaine hospitalier mais une très forte restriction de son usage.

Un règlement adapté au statut de la personne

Dans un souci de santé publique et de préservation des non-fumeurs, le pouvoir réglementaire a donc identifié différentes situations pour lesquelles une définition précise des espaces doit être établie. Le principe est a priori une interdiction de fumer pour tous (patients, visiteurs, personnels) « dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail » (art. L. 3512-2 1°). L’article suivant va plus loin et interdit d’éventuelles dérogations à ce principe dans les établissements de santé, en écartant expressément la possibilité d’y prévoir des « emplacements » fumeurs (2). Concrètement, cela signifie que, dans ces établissements de santé, il est interdit de fumer dans un espace couvert et clos, même spécifiquement dédié à cet usage par le règlement intérieur, mais également qu’aucune « prestation de service » ne sera délivrée alors qu’une cigarette est allumée. Théoriquement, il n’est donc pas possible de travailler en fumant ou dans un espace enfumé (3). Rappelons enfin que de nouvelles règles sont venues compléter l’arsenal normatif sur la question du « vapotage » (4).
En pratique, la question de l’usage de la cigarette dans l’enceinte hospitalière doit être réglée de manière différente si le fumeur est un membre du personnel, un visiteur ou un patient.
– Compte tenu de la durée des visites autorisées dans les services de santé, il est parfaitement possible d’interdire aux visiteurs de fumer dans l’établissement ou certains lieux clairement identifiés.
Pour les patients, la situation est plus délicate car, à la différence des visiteurs, leur état de santé, l’organisation du service et/ou leur statut juridique ne leur permet pas forcément de quitter, même temporairement, l’établissement pour aller fumer librement sur le trottoir (comme on le constate souvent dans les universités voire les lycées…). Il est par conséquent possible d’organiser, y compris dans les services accueillant des patients sous contrainte, des espaces et des moments à l’air libre (cour, parc, jardin…) afin qu’ils puissent déambuler et éventuellement fumer une cigarette (5). Le cas des services accueillant des mineurs est plus complexe car cela suppose que les parents aient expressément accepté que leur enfant fume du tabac.
– Enfin, les personnels fumeurs ne sont pas censés fumer en présence de patients et/ou de visiteurs. Il revient donc à chaque établissement de réfléchir à la manière dont il est possible ou souhaitable de prévoir une éventuelle « pause cigarette » sans que celle-ci ne perturbe le bon fonctionnement du service.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud et Valériane Dujardin, Juriste, EPSM Lille Métropole

1 – Article 5 du décret n° 2006 — 1386 du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif.
2 – Article R-3512-3 alinéa 2 « Ces emplacements ne peuvent pas être aménagés au sein des établissements d’enseignement publics et privés, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs, des aires collectives de jeux et des établissements de santé ».
3 – L’article R. 3512-4 du CSP précise qu’« aucune tâche d’entretien et de maintenance ne peut y être exécutée sans que l’air ait été renouvelé, en l’absence de tout occupant, pendant au moins une heure ».
4 – Articles 22 à 35 de la loi 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : le principe de l’interdiction de la cigarette électronique s’applique dans certains lieux visés à l’article L. 3511-7-1 du CSP notamment « les établissements scolaires et les établissements destinés à l’accueil, à la formation et à l’hébergement des mineurs; les moyens de transport collectif fermés et les lieux de travail fermés et couverts à usage collectif ». Il appartient au règlement intérieur de chaque établissement de fixer très précisément les lieux dans lesquels la cigarette électronique sera autorisée (lieu à usage non collectif en particulier).
5 – CAA de Bordeaux, CH Jean Leclaire de Sarlat, 28 mai 1996, n° 95BX00820, FJH n° 003, 1997, p. 5 : Responsabilité de l’établissement si faute de surveillance lors de l’usage du briquet.