Dans la cadre de ses débats publics « Le droit de savoir », L’Académie nationale de médecine a proposé le jeudi 15 juin 2017 un colloque santé mentale sur le thème "Notre société est-elle pathogène ? », présidé par le Pr Jean-Pierre Olié, psychiatre, en présence de nombreux professionnels de la santé mentale et de Fabienne Keller, sénatrice et maire de Strasbourg.
Ce débat a été structuré autour de trois thèmatiques :
– Une société sous tranquilisants ?
– Soigner les enfants "agités" ?
– Addiction au cannabis : prévenir, soigner, dépénaliser
Une table ronde a ensuite clôturé le colloque sur le thème : "Paroles de patients – Les maladies mentales sont-elles des maladies comme les autres ?". Animée par Anne Pierre-Noël, présidente de l’association Agir-psy et rédactrice en chef du journal de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (Unafam) avec la participation d’un parent d’un jeune homme souffrant de schizophrénie, du Dr Isabelle Amado et Dr Yann Hodé (membres de l’association Profamille) et de Mme Nathalie Pauwels (programme Papageno).
Introduction du Professeur Jean-Pierre Olié, psychiatre et membre de l’Académie nationale de médecine.
« L’Académie nationale de médecine regroupe 125 représentants des différentes spécialités médicales qui ont mission de répondre à des questions posées par les connaissances scientifiques ou les connaissances et les pratiques médicales. On sait bien que dans ces domaines tout évolue très vite : de la manière de réaliser telle ou telle intervention chirurgicale jusqu’à la compréhension des déterminants de telle ou telle pathologie. La recherche médicale a mission de fournir de plus en plus de certitudes sur la pertinence d’une stratégie préventive ou thérapeutique fondée sur des preuves indiscutables, gage à l’évidence d’une plus grande sécurité. Pour autant, la pratique médicale ne se limite pas, loin s’en faut, à la mise en pratiques d’actions fondées sur une science dure : les données de l’expérience clinique du quotidien fondent aussi une pratique médicale garantissant sécurité. Et les difficultés méthodologiques liées à l’objet médical affaiblissent le niveau de preuve de nombreuses données dont le praticien a aussi mission de faire usage.
En matière de psychiatrie, le public pense volontiers qu’il n’est que données individuelles et subjectives ou encore qu’il n’existe aucun consensus entre différentes chappelles théoriques. C’est faux : ni plus ni moins qu’ailleurs existent des données dures (pronostic d’une maladie, résultats d’une thérapeutique.) et des données qui méritent discussion. De telles dicussions animent précisément en permanence les réunions des académiciens : sur les avantages des vaccins, des statines, des actions de prévention dans tel ou tel domaine, la justification des médicaments très onéreux… Les débats Grand Public de l’Académie nationale de médecine proposent justement une information éclairée sur des thèmes donnant lieu à de raisonnables controverses dans notre environnement, y compris médical.
Le débat sur la santé mentale est ainsi axé sur l’évaluation des impacts sociétaux sur certains troubles psychiques, et parrallèlement, sur la mesure de la dimension psychogène de notre société.
– Premièrement : faut-il ou non prescrire des psychostimulants à des enfants souffrant de difficultés de concentration intellectuelle (déficit de l’attention volontaire / TDAH) avec leurs conséquences comportementales (hyperactivité et instabilité) gênantes pour eux (difficultés scolaires), leurs parents ou leurs enseignants. Il est commun de dire qu’aux USA ces prescriptions sont excessives alors qu’en France elles seraient quasiment impossibles à obtenir. Nul ne conteste l’efficacité symptomatique de la Ritaline ou équivalent : la souffrance disparaît, les difficultés à l’école et à la maison également. Il s’agit donc d’évaluer les critères guidant l’indication de prescrire ou ne pas prescrire et le rapport avantages / inconvénients de la prescription et de la non prescription.
– Comment aborder la question des addictions, en particulier la question des risques liés à la consommation de cannabis ? Légaliser ou ne pas légaliser la vente de cannabis aurait forcément des conséquences sur les trafics illicites, mais, les dealers ne se reconvertiront-ils pas en faisant concurrence au cannabis devenu licite par la proposition de nouvelles substances ? Quels éléments médicaux faut-il apporter au débat ? Quels effets délétères du cannabis et de ses dérivés ? Quelles stratégies thérapeutiques face à une personne en proie à un état de dépendance que la seule bonne volonté ne peut résourdre ?
– Bon ou mauvais usage des médicaments psychotropes ? Ce débat médiatique récurrent est trop souvent mal posé : parce qu’il confond les diverses classes de ces médicaments, parce qu’il est pollué par une forme rampante de stigmatisation, les personnes souffrant de troubles psychiques étant traitées de « folles » « incurables », et la maladie psychique de « fausse maladie »…
– Quel rôle peuvent jouer les partenaires des professionnels de la recherche et du soin ? Une table ronde réunira les familles de patients et les associations de malades parce que chacun doit contribuer à l’élaboration d’une démocratie sanitaire qui ne peut vivre qu’éclairée par l’expérience et la connaissance.
Les maladies mentales et les souffrances psychiques sont-elles des maladies comme les autres ?
Comme toutes les maladies, elles s’inscrivent dans notre statut biologique. La mise en évidence de marqueurs de dépression, par exemple, en atteste, de même que l’efficacité des thérapeutiques biologiques, voire les effets des psychothérapies sur le biologique. En psychiatrie comme ailleurs, chaque diagnostic permet d’énoncer un pronostic et de dire les probabilités d’effets d’une thérapeutique. Mais, les maladies psychiques diffèrent des maladies somatiques car elles altèrent ce qui est le plus spécifiquement humain en chacun de nous : les capacités à penser, vouloir et aimer. Et les visages de la maladie sont souvent teintés par l’histoire vécue depuis la plus petite enfance. »