Un jardinier en noeud papillon

N° 218 - Mai 2017
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Jusqu’ici, le jeune Swann a soigneusement fait échouer tous les projets professionnels qui lui ont été proposés. Ce jour-là, il revient à l’hôpital de jour après une énième tentative…

Swann est ce jeune homme autiste qui se rêve en super-héros (1), et avec qui il est bien difficile d’envisager l’avenir. Il vient de fêter ses 23 ans et doit quitter l’hôpital de jour pour adolescents au mois de juin. Le médecin a annoncé aux parents la date de sortie de leur fils, juste avant un nouveau stage dans un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT) « espaces verts ». Ce jour-là, c’est un Swann épanoui et changé que nous voyons revenir…

Une liberté nouvelle

Imaginer Swann dans un parc parisien, une pelle à la main et des bottes aux pieds, a fait sourire nombre de mes collègues. Il faut dire qu’il porte toujours des chaussures marron pointues et cirées, un imperméable clair, une chemise blanche avec un nœud papillon et un feutre noir sur la tête!… Même sa mère, très désireuse qu’il travaille, faisait la moue en entretien, et aurait préféré l’envoyer dans un ESAT « métiers des livres » plutôt qu’au grand air. Pour ma part, l’idée me séduisait, peutêtre parce que Swann a longtemps participé aux randonnées que je propose avec un collègue. Dehors, il précède le groupe. Seul parmi les autres, comme un capitaine de navire, il marche, tendu vers l’horizon, droit comme un I. Il semble alors plus libre qu’à l’hôpital de jour, où il déambule toute la journée comme un tigre en cage.
Je l’interpelle, tout en pensant qu’il va s’enfuir plutôt que répondre : « Ça s’est bien passé Swann?
– Euh, oui, oui, Virginie, ça s’est bien passé. Le stage s’est bien passé.
– Qu’est-ce que tu as fait là-bas?
– Et bien, euh, comment dire. J’ai tondu la pelouse, j’ai coupé des branches… »
Je l’écoute avec étonnement. C’est la première fois qu’il donne des éléments sur un travail qu’il a effectué. Il n’est ni apeuré, ni stressé comme après ses premières expériences en ateliers de conditionnement. Quelque chose a bougé chez lui, comme si un autre horizon lui était soudain apparu. Ses parents qui viennent rencontrer le médecin sont rayonnants.
Sa mère nous raconte le premier rendez-vous avec l’équipe du stage : « Quand je l’ai accompagné à l’entretien, j’ai tout de suite apprécié l’équipe. Patrick, le responsable, lui a tout expliqué et l’a présenté aux huit autres travailleurs. Il y avait quelque chose de très dynamique et de rassurant chez cet homme-là et je me suis dit que mon fils serait bien là-bas. Tous portaient des uniformes avec des gants et des masques et Swann a beaucoup aimé cette seconde couche de vêtements qui l’enveloppait des pieds à la tête. Il a pris confiance en lui et montré qu’il était méticuleux et soigneux, tout en gardant un grand enthousiasme durant ces deux semaines. Patrick lui a proposé deux autres semaines en juillet et il est prêt à l’accueillir sur le long terme. L’ESAT travaille en partenariat avec un centre de jour où les travailleurs peuvent faire des activités thérapeutiques avec des soignants. Je trouve ça bien que Swann puisse faire aussi autre chose de temps en temps… »

« Nous sommes fiers de toi »

Cette femme a presque les larmes aux yeux, tant ces nouvelles qu’elle annonce fièrement lui paraissaient inespérées il y a encore quelques mois. Swann semblait jusque-là faire activement échouer tous les projets de travail conçus pour lui.
« Alors, Swann, je suis très heureux de ce que j’entends là, dit le médecin avec un sourire. Tu vas accepter de retourner en stage là-bas? »
Le jeune homme minaude un peu, semble hésiter, se gratte la tête, sort son peigne pour se recoiffer puis se plonge dans l’inspection de ses chaussures. Son père reprend : « Tu entends, Swann? Le docteur te demande si tu as envie de retourner avec Patrick et les autres pour un deuxième stage. C’est important pour toi et pour nous, c’est un projet d’avenir. Cela signifie que tu es adulte, que tu as des compétences dans un domaine, et qu’on te propose un travail. Maman et moi sommes fiers et nous trouvons que c’est une grande chance pour toi. Nous t’accompagnerons toujours, quels que soient tes envies et tes choix de jeune adulte. »
Swann semble à peine l’écouter. Puis, comme le silence s’est fait, il se redresse en sursautant et nous jette à tous des regards mi-étonnés mi-malicieux : « C’est que, euh, bon, je ne sais pas si, je ne sais pas si je vais y retourner. Je… je ne sais pas. ». Il se tait. Un ange passe.
« Bon, d’accord, dit-il d’une voix de stentor, après tout je vais peut-être y retourner si ça peut vous faire plaisir! »

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e

1– Voir : Quel avenir pour Swann? Santé mentale, n° 214, janvier 2017, et La vie héroïque de Swann. Santé mentale n° 202, novembre 2015