Alors qu’un pneumologue de l’hôpital Bichat est sous le feu des critiques pour avoir tu aux sénateurs ses liens avec l’industrie pétrolière, l’AP-HP a dévoilé ce 28 mars un rapport pour se doter d’une stratégie « offensive, moderne et partagée » de prévention des conflits d’intérêts. Six propositions y sont listées pour « tracer un chemin conciliant ».
« L’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a beaucoup à gagner à mettre en place une stratégie claire, offensive, moderne et partagée de prévention des conflits d’intére?ts. Elle a en revanche beaucoup à perdre à ne pas changer, à fermer les yeux, à subir plus qu’à prévenir. » Tel est le message porté par le groupe de travail missionné par le CHU francilien pour justement mieux connaître et prévenir ces conflits au sein de l’AP-HP. Leur rapport a été rendu public ce 28 mars, un peu moins de huit mois après la décision du CHU d’enrichir sa prévention des conflits d’intérêts des médecins, soignants et administratifs (lire ci-contre). Pour les auteurs, qui émettent six préconisations, il s’agit avant tout de « tracer un chemin conciliant« , étant entendu que « toute stratégie […] qui réglerait la question des conflits d’intére?ts au détriment de la capacité d’innovation serait vouée au fiasco. Toute stratégie d’innovation qui ignorerait les conflits d’intére?ts conduirait à l’échec. » Par conséquent, pas question de s’enfermer dans « une chasse aux conflits d’intérêts« , de « couper » les relations avec les industriels en enfermant les professionnels dans « une tour d’ivoire » et de transformer l’hôpital en « une citadelle publique coupée de l’univers industriel et économique« . Ce « malentendu » levé, il s’agit au contraire de trouver une voie qui permette de mieux mai?triser les conflits entre l’intére?t public et les intére?ts privés, tout en favorisant la recherche et l’innovation. En clair, « une bonne politique de mai?trise des conflits d’intére?ts n’affaiblit pas l’innovation. Elle la conforte, la sécurise et permet son développement. »
Une rémunération doublée par les activités accessoires
Car l’absence de cadre et de doctrine, comme c’est le cas aujourd’hui, conduit inévitablement à « mettre « dans le me?me sac » des pratiques contestables et des pratiques légitimes, la mise en cause des premières conduisant à faire émerger un doute si large qu’il est de nature à compromettre les secondes« . Sans compter que la situation actuelle est génératrice de coûts pour l’AP-HP, voire de perte de recettes. Deux exemples : une répercussion sur les achats de médicaments et de produits de santé, en volume comme en prix ; une potentielle moindre valorisation pour le CHU lorsqu’un lien financier direct entre l’industriel et le médecin est le point de départ d’une décision de valorisation. Certes, cette problématique des conflits d’intérêts n’est pas propre à l’AP-HP. Il en va de même pour les données chiffrées « peu nombreuses » et les rapports d’inspection « assez anciens« . S’agissant des visites médicales, le CHU ne dispose ainsi d’aucune donnée sur leur nombre et leur nature, quand bien même les remontées du terrain confirment « qu’elles ont longtemps été très courantes« . Et si ces pratiques tendent aujourd’hui à s’estomper, ce n’est pas tant pour disparaître que pour laisser place à des contacts directs par e-mails. Or « cette nouvelle forme de démarchage est aussi potentiellement génératrice de conflits d’intérêts« , avertissent les auteurs. Quant aux activités dites « accessoires », elles représentent des montants qui peuvent doubler la rémunération principale de certains médecins*. « Ce qui n’est pas sans soulever de questions« , note là encore la mission.
Supprimer les associations de service d’ici la fin 2017
Dans leurs préconisations, les auteurs insistent pour que l’AP-HP se dote d’une politique « active et stricte » sur ce cumul d’activités accessoires. Le principe à appliquer : « Des écarts ont été tolérés. Ils ne doivent plus l’être. […] Il doit être considéré que nul ne peut plaider l’ignorance ou la bonne foi. » Cela passe pas une formalisation des procédures et la définition d’une doctrine. Concernant les associations de service, encore plusieurs centaines, ils invitent le CHU à s’appuyer sur sa fondation créée l’an dernier pour les supprimer d’ici fin 2017. Ces structures sont en effet source de « problèmes« , de « risques » et de « confusion » : « Est-il sain d’avoir, dans un établissement public, des centaines d’associations domiciliées, pas toutes identifiées, dont les sources de financement ne sont pas connues, dont il est impossible de connai?tre le budget individuel et le budget consolidé, comme un univers parallèle, dont les interférences avec l’univers public ne sont pas bien connues et a fortiori pas bien contro?lées ? » Par ailleurs, les auteurs recommandent vivement de prévoir des alternatives aux visites médicales : « Le point qui fait d’emblée consensus est que ces présentations doivent e?tre systématiquement faites en présence d’un sénior et selon des modalités qui auront du? e?tre, sinon proposées du moins validées par l’encadrement médical. » Et cela en restant vigilant par rapport aux nouveaux dispositifs de contacts. Quant au financement des « moments de convivialité » (pots de départ, de thèse…), là aussi le « sponsoring » aujourd’hui assuré par les fournisseurs du CHU ne convient plus.
Généraliser le système du tiers pour financer les congrès
Le rapport pousse également à élargir le régime de déclarations d’intérêts (membres du conseil de surveillance, du directoire, de la direction générale et de la direction de l’inspection et de l’audit, responsables des achats et des médicaments…) et à instituer des organes, instances et outils de prévention dans chaque hôpital. Enfin, un dernier point retient particulièrement l’attention : le financement de la participation aux congrès professionnels. « Il n’est pas question de réduire la participation des médecins de l’AP-HP à des congrès. Il convient me?me peut-e?tre de l’accroi?tre« , préviennent d’emblée les auteurs. Mais une chose est sûre : « Tant qu’il ne sera pas mis fin à ce système et qu’il n’aura pas été trouvé une alternative, la question des conflits d’intére?ts restera posée et incomplètement traitée. Il est temps de changer d’époque en cette matière. Cela constituerait un signal fort pour un autre type de relations entre le corps médical public et les industriels. » Toutefois, si l’AP-HP devait financer ces déplacements, cela lui en coûterait 30 à 40 millions d’euros chaque année. Sans compter les congrès paramédicaux. Inenvisageable donc. Tout comme l’est l’idée de faire personnellement payer les médecins. Cela « ne peut e?tre valablement envisagé par référence aux usages nord-américains, compte tenu des différentiels de revenus très importants constatés de part et d’autre de l’Atlantique« . L’alternative ? Généraliser le système du tiers à l’instar de ce que propose le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK). Mais malgré sa faisabilité, cette orientation n’est pas vraiment soutenue par Les Entreprises du médicaments (Leem).
Thomas Quéguinier, Hospimédia, 29 mars 2016.