Février 2015

Les médiations aquatiques – Un ailleurs de soi

Animer, accompagner, soigner
Auteur(s) : Anne Luigi-Duggan
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Médiation à entrée corporelle, la médiation aquatique est un formidable outil de travail sur soi. Nous le savions bien, mais en parler est une chose, aborder le sujet de toutes les manières possibles (là est la gageure) est une autre chose ; Particulièrement réussie dans cette Somme car c’en est une, désormais incontournable (l’œuvre d’une vie, couronnement d’une carrière et d’une passion) de fort belle présentation.

On savait déjà l’engagement personnel de l’auteur et son prosélytisme contagieux, mais aussi sa vaste culture psychologique entrevue dans ce très bon film « La promesse de l’eau » diffusé sur France 2 et 3 en 1993 et 1994. Psychologue clinicienne et institutionnelle à la DDASS de Bastia, Anne Luigi-Duggan travaille avec des médecins, des éducateurs, des kinés, des psychomotriciens… Elle forme des stagiaires (AMP, éducateurs, psychomotriciens, psychologues) qui accueillent des enfants et des adultes handicapés, polyhandicapés, autistes ou psychotiques ainsi que leurs parents. Cela peut aller des autistes (référence aux travaux de P. Delion, la fonction phorique (1) aux grabataires (à reverticaliser, p.343), en passant par les déficits sensoriels, les atteintes neuro-motrices (le corps empêché, p.399), les déficients mentaux… Problème des indications.

 Trop riche pour qu’on en énumère tout le contenu, ou alors « à la Prévert » et cela desservirait ou banaliserait trop cet ouvrage qui n’a rien d’une lecture de plagiste. Les hydrophiles (comme moi) ne seront pas seuls à y trouver leur « médium »… car l'auteur s’interroge aussi, à chaque chapitre, sur « les éléments théoriques qui entrent plus spécifiquement en résonance avec une clinique de médiation par l’eau » (p.310). Citant R. Roussillon : « Une réflexion sur la fonction thérapeutique de tous les dispositifs de soin passe inévitablement par le préalable d’une théorie de la souffrance psychique et du soin à lui apporter. C’est ce qui donne sens au soin et à l’action thérapeutique, et à une théorie de la place de la médiation au sein d’une théorie du soin et de la symbolisation » (p.245). Pas de furor sanandi pour autant : la constance du soi ne consiste pas toujours à maintenir une identité, mais à soutenir une tension dialectique et à maîtriser des crises périodiques, dit-elle, en invoquant Emmanuel Mounier (p307).

Fussent-ils plus exigeants, les livresques y trouveront une abondante et très riche bibliographie à chaque chapitre. Evocation tout à fait pertinente des Mythes de l’eau (2). Bien au courant (Anne Luigi-Duggan a tout lu sur la question), mais elle n’est pas là pour faire étalage de vaine culture et ranimer de vieilles et tout à fait légitimes peurs ou phobies (la peur de l’eau, l’inquiétante étrangeté, la faillite des porteurs (p.184) et des passeurs (p.162)) mais pour faire œuvre thérapeutique, du Soin. C’est indiscutablement sa vocation.

 En somme, Anne Luigi-Duggan dégage une clinique spécifique de la médiation aquatique : « Le soin par médiation aquatique entraîne l’ensemble corps-psyché dans une aventure physique, physiologique, fonctionnelle, psychomotrice et psychique autant que relationnelle et identitaire. La clinique de l’eau est holistique à condition de bien la situer comme soin et non comme simple jeu (fut-il jeu de vie) ou magie qui laisseraient l’eau faire. De ce fait, soigner englobe l’animation, l’accompagnement et le soin. Mais, en principe, un soignant n’est pas rémunéré pour animer » (p.308). « L’axe psychothérapique de la médiation aquatique est le domaine des psychologues, psychiatres et psychanalystes pour autant qu’ils acceptent de « se mouiller » ! Dans tout soin psychique, rappelle-t-elle (p.321), le médiateur « psy » est dans une posture de face à face, transférentielle et contre-transférentielle. Ici, dans la médiation aquatique, il ne fait que peu de propositions techniques et utilise l’eau comme « un divan aquatique » ; la formule est plaisante.

Il y a là la relation d’expériences concrètes avec des sujets et leurs familles, des ouvertures sur les rééducations, les psychothérapies, le soin ; des recommandations techniques et éthiques pour tous ceux qui participent à cette chaîne du soin. On l’aura vite compris en feuilletant cetouvrage : Les médiations aquatiques – Un ailleurs de soi est une Bible.

RM. Palem, psychiatre.

(1) du grec Portage. Lire en particulier les chapitres I (Porteurs et passeurs. Postures professionnelles de la médiation) et IV (Autisme : s’arc-bouter pour ne pas tomber sans fin).

(2) A laquelle nous avons participé jadis : La Profondeur (2002) – Histoires d’eaux (2009).