Changement d’humeur…

N° 170 - Septembre 2012
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Emma, une patiente plutôt effacée qui souffre d’un trouble bipolaire, change brusquement de comportement. L’équipe, attentive, l’accompagne pour éviter la rechute.

Emma est une belle femme de 45 ans, élégante et un peu austère. Elle fréquente le CATTP depuis quelques années, après le déclenchement d’un trouble bipolaire. Au début de sa maladie, elle a tenté de garder un mi-temps de juriste dans un cabinet d’avocat puis y a renoncé. Souvent un peu triste et pensive, elle s’exprime peu, sauf pour parler de ses trois enfants. Chaque matin, après avoir déposé ses plus jeunes à l’école, elle nous rejoint au café-actu. Elle n’intervient que sur des sujets qui touchent la famille, les enfants ou la cuisine. Son mari, qui travaille beaucoup, s’absente régulièrement. Elle pense qu’il la trompe mais ne souhaite ni lui en parler, ni le quitter « à cause des enfants ». À la fin du groupe, Emma vient régulièrement vers moi, me donner des nouvelles de ses enfants et en prendre de ma fille.

« Ne fais pas l’innocent ! »

Ce lundi matin, Emma arrive avec un grand sourire aux lèvres. Elle raconte son week-end à deux autres patients, leur expliquant qu’elle a fait des brocantes dans le quartier. « Vous vous rendez compte, Virginie, me dit-elle alors que je prépare le café, j’ai acheté deux statuettes africaines pour 15 euros. Je suis vraiment très contente. » Tout en comptant les cuillers de café, je la félicite et l’entends alpaguer Bruno, un étudiant en soins infirmiers récemment arrivé dans le service : « Ah, bonjour! Vous êtes stagiaire? Vous êtes là pour combien de temps? »
Emma participe ensuite au repas thérapeutique et se montre toujours aussi volubile. Nous sommes devant le placard à essuyer les couverts quand je l’interromps subitement : « Comment vous sentez-vous, Emma ?
– Mais bien, plutôt bien, je dors même beaucoup mieux qu’avant. »
Elle lève les yeux et semble lire dans mon regard un soupçon d’inquiétude que je ne lui cache pas. Elle reprend : « Bien, mais pas trop. Ne vous inquiétez pas pour moi, je connais ma maladie. Je n’ai pas envie de faire des dépenses folles comme auparavant, c’est fini tout ça. »
Deux jours plus tard, Emma arrive au caféactu avec une veste orange que je n’avais jamais vue et jette des coups d’œil un peu inquiets autour d’elle. Elle me demande avec beaucoup d’insistance si elle peut participer à davantage d’activités de groupes car elle s’ennuie chez elle. Elle m’explique qu’elle a rangé son appartement de fond en comble. « Vous avez vu la belle veste que j’ai retrouvée! », s’exclame-t-elle. Elle part, un peu déçue de ne pouvoir faire une activité de plus cet après-midi. Bruno s’approche de moi et me demande, l’air très embarrassé, qui est cette dame avec la veste orange. « Elle est sortie fumer avec moi et m’a demandé si je voulais déjeuner avec elle ce midi. J’ai refusé… » En confrontant nos impressions en équipe, nous nous rendons compte que le changement d’humeur d’Emma est évident. Nous décidons de prévenir son médecin qui, compte tenu de nos observations, décide de la rencontrer le lendemain matin, un vendredi, après le café-actu.
Ce jour-là, Emma est resplendissante. Elle a mis une longue robe blanche à fleurs avec des volants et des sandales alors qu’il fait frais et qu’il pleut. Elle rit et tutoie Bruno : « Oh, toi ne fais pas semblant de ne pas comprendre », « Ne fais pas l’innocent avec moi »… À la fin de l’atelier, Emma redevient pourtant grave quand ma collègue et moi lui disons à quel point nous la trouvons fragile. Elle lutte avec nous. Comme une enfant, elle nous promet qu’elle s’enfermera chez elle ce week-end et ne fera pas de bêtises. Emma nous supplie presque de la laisser mais nous suit pourtant calmement jusqu’au bureau médical.

Vigies attentives

Après quelques négociations, Emma accepte plutôt facilement de prévenir son mari, de prendre un nouveau traitement et de passer le week-end avec des proches qui ne la quitteront pas d’une semelle. Durant ces deux jours, je pense souvent à Emma et j’ai hâte de la retrouver. Le lundi matin, elle est déjà dans la salle d’attente quand j’arrive et je suis soulagée de la voir vêtue en jean, pull et mocassin. Elle me raconte son weekend… Elle a à nouveau son air un peu sérieux et nous parle avec fierté de sa fille qui a reçu les félicitations au conseil de classe. Tout semble rentrer dans l’ordre et Emma paraît doucement revenir à une humeur plus stable, plus proche de la personne que nous connaissons. Au CATTP, nous prenons soin des patients, nous prévenons et accompagnons les crises au plus proche de leur quotidien. Comme des vigies, nous veillons…

Virginie Jardel, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .

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