« Ne nous laissez pas ! »

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Deux soignants qui quittent le CATTP ne seront pas remplacés. L'organisation de l'équipe va en souffrir et au-delà, le quotidien des patients.

« Si Sarko est réélu, c’est le poste de Virginie qui saute! », lance indigné Gérald au groupe accueil. Il faut dire que les patients ont de quoi être inquiets. Cet après-midi, nous leur avons annoncé que ma collègue infirmière, qui part exercer sur un autre secteur, ne sera pas remplacée. C’est en quelques mois la deuxième fois que cela se produit. Et deux personnes en moins, pour une petite unité comme le CATTP, ça fait beaucoup.

Une anxiété palpable

D’abord il y a eu la consternation de l’équipe. Nous pensions naïvement, après le non-remplacement de l’aide-soignant, que ce poste d’infirmière serait pourvu. C’est ce que nous expliquons aux patients présents ce jour-là. L’anxiété est palpable.
Les changements d’organisation au CATTP doivent être accompagnés car ils sont toujours perturbant pour les patients. Pour les malades psychotiques, cela entraîne une perte de repères. Après quelques minutes de silence, les questions fusent. « Comment allez-vous faire, Virginie, pour animer les groupes toute seule ? », me demande Chantal, la mine soucieuse. « Est-ce qu’il y a beaucoup de groupes qui vont être supprimés ?, interroge Patrick.
– Et la fête de Noël? renchérit Aurélie. Estce qu’on pourra faire un sapin, cette année ? Est-ce qu’on va danser comme tous les ans? »
De son côté, André se demande qui va reprendre le groupe informatique que l’infirmière sur le départ anime seule. Les patients sentent bien que la continuité des groupes est menacée. « Et quand vous ne serez pas là, Virginie, quand vous prendrez vos vacances, qui va animer les groupes?
– Est-ce qu’il y aura un programme d’été l’année prochaine? »…

« Au moins, il faut s'exprimer ! »

Animer un groupe à deux est confortable puisqu’en cas d’absence, un collègue prend le flambeau. Les patients sont accueillis au CATTP comme d’habitude et le groupe peut avoir lieu, sans rupture. Ce ne sera plus le cas. Patrick tremble d’anxiété et n’en dort plus la nuit. Même s’il ne vient pas souvent au CATTP, il commence à s’investir de plus en plus dans les groupes. Il prend très à cœur cette mauvaise nouvelle. « C’est injuste, poursuit-il. Ça nous touche, nous patients, et nous sommes les plus faibles, les plus malades, nous ne pouvons rien faire. Ça retombe sur nous et on ne nous demande pas notre avis. Moi, j’aimerais bien leur dire ça, aux chefs, aux politiques, à ceux qui décident les suppressions de poste et les changements. Ce n’est pas juste d’enlever une infirmière. C’est modifier la vie des gens, des petites gens. C’est enlever à ceux qui n’ont pas beaucoup et qui ne demandent pas grand-chose. »
Bernadette observe et écoute tout ce qui se dit autour d’elle en plissant les yeux et en essayant de trouver du sens. « Est-ce qu’il y aura encore de l’ergothérapie? », demandet-elle finalement, très angoissée par tout ce qu’elle vient d’entendre. Je la rassure et elle semble s’apaiser. Gérald, qui pense que c’est la faute de Nicolas Sarkozy, prend la parole : « Messieurs dames, au moins vous saurez quoi voter en 2012. Maintenant qu’on vient encore de nous enlever une deuxième soignante, il faut le dire dans les urnes, il faut s’exprimer. Il reste au moins ça aux petites gens comme tu dis, Patrick. » Sofia propose d’écrire une lettre au directeur signée par tous les patients du CATTP pour exprimer leur colère, leur amertume même si, ajoute-t-elle, « ça ne servira probablement à rien.
– Pas grave, crie Gérald, au moins on aura fait quelque chose! ils ne pourront pas dire qu’on s’est laissé faire sans rien dire! »
« Et vous Virginie, m’interpelle Chantal, vous ne partirez pas, n’est-ce pas? Vous n’allez pas nous laisser. Maintenant, il n’y a plus qu’une infirmière au CATTP et c’est vous, alors on compte sur vous. »

Péril sur la continuité des soins 

Au CATTP, cela fait des mois que nous travaillons avec toute l’équipe pour poursuivre les activités, pour ne jamais laisser les patients sans un lieu ouvert de parole et de soin. Le CATTP est une structure de soin de secteur, qui permet aux patients stabilisés ou en cours de stabilisation de reprendre pied dans le quotidien, de rencontrer des soignants, d’autres patients comme eux et de créer du lien. Nous leur proposons des choses très simples comme cuisiner, partager des jeux de société, regarder des films et lire les actualités. Il y a aussi des visites de musée, un groupe lecture, un groupe écriture, de l’ergothérapie ou bien encore un journal et une chorale. On peut aussi surfer sur le net et s’initier à l’informatique.
Toutes ces activités demandent un long travail d’élaboration, une préparation et une réflexion pré et post-groupe. Chaque prise en charge est individualisée et chaque patient a son propre parcours de soin. Ce suivi nécessite une continuité, l’état de nos patients pouvant évoluer brusquement. Les soignants sont alors en première ligne pour détecter ces premiers signes et alerter les médecins traitants.
Supprimer un poste d’infirmière et un poste d’aide-soignant, c’est donc mettre en péril des activités sociothérapeutiques où l’accompagnement infirmier se situe au plus proche du quotidien du patient.

Virginie Jardel, Infirmière, CMP-CATTP Mathurin-Régnier, secteur 14, Paris (75)