29/04/2010

Le génogramme en contexte interculturel : un premier pas dans l’intervention

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Le génogramme est un outil précieux dans l’intervention en santé mentale en contexte interculturel. Il permet de créer un climat de confiance tout en mettant en évidence différents aspects de la situation des familles immigrantes, tels la composition familiale, sa santé, ses occupations, et ce, à travers plusieurs générations. En traçant un portrait de la situation globale, une lecture plus juste des événements qui peuvent affecter la santé mentale de la personne immigrante apparait. Mieux renseigner, l’infirmière est capable de cibler l’intervention prioritaire afin de répondre aux besoins de santé de la personne et de sa famille.

Madame Spéciose Josée est âgée de 35 ans. Originaire du Congo, elle vit en France depuis 6 mois. Alors qu’elle essayait de rejoindre son mari qui vit en Belgique depuis 4 ans, elle a séjourné en France sans papier. Depuis lors, elle essaie de rejoindre son mari mais en vain. Madame Josée vit avec ses trois enfants, deux filles, soit Alima, qui a dix ans et Hessa, âgée de six ans et un garçon, Jamil, âgé de douze ans. Jamil est né avec la paralysie cérébrale, ce qui fait que sa mère prend soin de lui à temps complet. Mme Josée consulte à la clinique de santé car dans les derniers trois mois elle a mal au dos, son fils devient lourd à porter. Elle se sent dépassée par sa situation.

Mme Josée et ses enfants logent dans le bâtiment des demandeurs d’asile. Une voisine, originaire de Bangladesh lui a conseillé de parler de sa situation avec une intervenante sociale. Cette dernière a suggéré à Mme Josée de placer son enfant dans une résidence pour les handicapés. Mme Josée rejette la proposition car  pour elle, rien ne le séparera de son fils. Sa voisine lui a ensuite suggéré de consulter l’infirmière de la clinique de santé. Mme Josée était réticente, car elle craint que cette demande de services ait un impact négatif sur son dossier à l’immigration. Une douleur au dos persistante l’a incitée à consulter. Lors de la rencontre, elle informe l’infirmière qu’elle veut quelque chose qui peut l’aider. Elle dit que son dossier de demandeur d’asile est en cours et qu’elle veut mettre toutes les chances de son coté. Afin d’établir un climat de confiance avec madame, l’infirmière choisi d’établir l’histoire familiale de Mme Josée en dessinant, avec madame, un génogramme.

Le génogramme
Le génogramme tire son origine de la théorie des systèmes de Bowen (1978). Il a été popularisé par les travaux de Mc Goldrick et Gearson (1988). Largement utilisé en psychologie, en sociologie, en intervention sociale, cet outil est d’un usage de plus en plus répandu en sciences infirmières dans les dernières vingt années. En pratique clinique, le génogramme permet de circonscrire la composition de la famille et de mettre en évidence des patterns intergénérationnels au plan de la santé, des événements de la vie et des ressources (Mc Goldrick, Gearson & Shellenberg, 1999).  Dans le contexte de l’immigration, le génogramme offre la possibilité de recueillir des informations sur le continuum dans les expériences d’immigration (Poulsen, Karuppaswamy, & Natrajan, 2005). Il se dessine sous la forme d’un arbre généalogique, avec des symboles spécifiques pour illustrer les hommes, les femmes, et leur place dans la famille. L’information découlant du génogramme inclue l’âge des membres de la famille, leur genre, leur rang, leur occupation, leur niveau de scolarité. Leur lieu de résidence, leur origine ethnique et linguistique, leurs croyances religieuses peuvent aussi être inscrits. Des patterns intergénérationnels peuvent être identifiés, par exemple au plan social, le niveau de scolarisation des membres de la famille, la présence de toxicomanie dans la famille; au plan de la santé, la présence récurrente d’un problème de santé spécifique dans cette famille; et, au plan relationnel, les séparations, les divorces, les adoptions, etc.

gnogramme

L’analyse du génogramme
L’analyse du génogramme de la famille de Mme Josée nous apprend que son mari, Ajmal, vit en Belgique. Ingénieur de formation, il travaillait au ministère du transport au Congo. Présentement, il travaille comme agent de sécurité sept jours par semaine. En bonne santé, il vit seul et pratique la religion musulmane. Les parents d’Ajmal sont décédés au Congo, il y a trois ans. Son frère ainé, Omar, vit en Allemagne, avec sa femme, Leila. Ils ont trois garçons, Elie âgé de 18 ans, Alain âgé de 15 ans et Marc âgé de 13 ans. Sa jeune sœur, Naila vit aux États-Unis avec son mari, Paul, et leur fils, Sinan, qui a 6 ans et est nouvellement diagnostiqué avec de l’asthme. 

De son coté, Mme Josée a une formation d’ingénieure agronome, elle travaillait dans un centre de recherche agricole au Congo.  Sa mère vit encore au Congo et son père est décédé depuis longtemps.  Elle a deux frères. Jean, le cadet, est toujours célibataire. Il est refugié au Kenya. Mme Josée n’a plus de nouvelles de lui, et elle a entendu qu’il est peut être rendu en Namibie. Mme Josée a déposé une demande de recherche au bureau de la Croix rouge Namibienne. L’autre frère, Pierre, est marié avec Louise. Ils ont deux enfants Luc, 5ans et Pauline, trois ans, tous en bonne santé.
Interventions potentielles.

La réalisation du génogramme a permis à l’infirmière de glaner des informations substantielles à propos de la composition de la famille de Mme Josée. L’infirmière apprend ainsi que Mme Josée, bien que mariée, agit en fait comme mère monoparentale de trois enfants, étant incapable de rejoindre son mari en Belgique. Les deux conjoints sont scolarisés, mais n’occupent pas un emploi dans leur domaine de spécialisation. Mme Josée est l’ainée d’une fratrie de trois enfants, dont l’un des frères est disparu. Aucun membre de sa famille élargie n’est disponible pour la soutenir au quotidien.

Au fil de l’entretien, Mme Josée a aussi confié des éléments de son fonctionnement quotidien. Ainsi, elle avoue n’entretenir de lien avec personne, mis à part ses deux voisines, aussi réfugiées comme elle. Avant de se blesser au dos, elle allait à l’église. Maintenant, elle n’est plus capable de marcher aussi longtemps en poussant le fauteuil roulant de son fils. Chaque jour, elle se lève tôt pour préparer ses filles pour l’école, ensuite elle s’occupe de son fils. Elle participe rarement aux activités de l’école de ses filles.  Elle se dit fatiguée, elle dort mal, et elle se sent dépasser par sa situation En invoquant sa vie quotidienne, Josée pleure et dit qu’est c’est la première fois qu’elle se confie  réellement à une personne à l’extérieur de la famille.

Le génogramme a donc servi de brise-glace pour créer un climat de confiance avec madame Josée, tout en permettant à l’infirmière de saisir l’ampleur de la lourdeur des activités de la vie que porte madame au quotidien, ainsi que son isolement social et familial important. L’infirmière se préoccupe entre autres, de l’état de santé mentale de madame. L’infirmière constate que  la condition de santé de Jamil, les problèmes de santé physique de madame, et l’histoire de la famille sont trois dimensions inter-reliées. La condition de Jamil, ainsi que la séparation familiale influent sur l’état de santé mentale et aux problèmes de santé physique de madame. De même, les problèmes de santé physiques vécus par madame et son état de santé mentale influent sur le fonctionnement de la famille, en restreignant les activités sociales de tous les membres, par exemple ou encore, en déteignant sur la qualité des soins prodigués à Jamil. L’infirmière est maintenant en mesure de poursuivre ses interventions en investiguant, par exemple, les croyances de madame qui la restreignent dans ses demandes d’aide, ou encore, ses croyances qui faciliteraient la résolution de ses problèmes. Madame croit présentement que ses demandes d’aide auprès des intervenants de la santé peuvent agir négativement sur ses démarches de recherche d’asile politique. Si elle pouvait croire que ses demandes d’aide amélioreraient sa santé physique et mentale, elle serait plus réceptive aux interventions de l’infirmière. L’infirmière doit donc poursuivre ses efforts pour accompagner madame dans l’identification de solutions possibles, la soutenir dans ses choix et dans la mise en œuvre de petits changements qui peuvent améliorer sa santé physique et mentale.

Conclusion
 Le génogramme est un outil précieux dans l’intervention en santé mentale en contexte interculturel. Il permet de créer un climat de confiance tout en mettant en évidence différents aspects de la situation des familles immigrantes, tels la composition familiale, sa santé, ses occupations, et ce, à travers plusieurs générations.  En traçant un portrait de la situation globale, une lecture plus juste des événements qui peuvent affecter la santé mentale de la personne immigrante apparait. Mieux renseigner, l’infirmière est capable de cibler l’intervention prioritaire afin de répondre aux besoins de santé de la personne et de sa famille.

Auteurs : Francine de Montigny, M.Sc.Inf., Ph.D.en psychologie, francine.demontigny@uqo.ca
Professeure titulaire en sciences infirmières, Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada.
Assumpta Ndengeyingoma, M.Sc. Inf., Candidate doctorale en psychologie. 
Professeur en sciences infirmières, Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada.
Christine Gervais, M.Sc. N., Étudiante doctorale en psychologie, 
Chargée d’enseignement, Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada.
Lucila Castanheira Nascimento, Ph.D., 
Professeur en sciences infirmières, Université de Sao Paulo, École des sciences infirmières, Brésil 

Références
Bowen, M. (1978). Family Therapy in Clinical Practice, Northvale, NJ: Jason Aronson.
Mc Goldrick, M., Gearson, R. (1988). Genograms and the Family Life cycle, dans B.Carter et M. McGoldrick. The Changing Family Life Cycle : A Framework for Family Therapy. (2ed), New York: Gardner Press
Mc Goldrick, M., Gearson, R., & Shellenberg, S. (1999). Genograms : Assessment and Intervention. (2ed). New York: Norton, 1999.
Poulsen, S., Karuppaswamy, N., & Natrajan, R. (2005). Immigration as a Dynamic Experience: Personal Narratives and Clinical Implications for Family Therapists. Contemporary Family Therapy: An International Journal, 27(3), 403-414.

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