Une équipe de chercheurs français vient de publier les résultats prometteurs d’une étude pilote évaluant l’utilisation de la psilocybine, une substance psychédélique, en complément d’une psychothérapie chez des patients récemment sevrés vivant avec à la fois avec un trouble sévère de l’usage d’alcool et une dépression.
Menée au sein d’un programme de soins intensifs en addictologie, cette étude contrôlée randomisée, en double aveugle, est la première en France à explorer cette approche thérapeutique innovante.
Des résultats encourageants sur l’abstinence et les symptômes dépressifs
Trente patients adultes, sevrés depuis deux à huit semaines, ont participé à l’essai. Ils ont reçu deux séances de psilocybine à dose élevée (25 mg) ou très faible (1 mg, placebo actif), espacées de trois semaines, en complément de leur prise en charge habituelle.
Les patients ayant reçu la dose élevée ont présenté des taux d’abstinence significativement plus élevés à 12 semaines (55 % contre 11 % dans le groupe placebo), une réduction plus importante des jours de consommation d’alcool, ainsi qu’une diminution des envies de consommer. Les symptômes dépressifs ont également été réduits dans les deux groupes.
Une faisabilité démontrée dans un cadre hospitalier sécurisé
L’étude montre que ce protocole est faisable et bien toléré dans un cadre hospitalier français, malgré quelques effets indésirables mineurs et un taux élevé de reconnaissance du groupe de traitement, phénomène classique dans les recherches sur les psychédéliques.
Vers de nouvelles options thérapeutiques ?
« Ces résultats, bien que préliminaires, renforcent l’intérêt croissant de la communauté scientifique pour les psychédéliques encadrés dans le traitement des addictions. Ils ouvrent la voie à des recherches à plus grande échelle pour mieux définir leur place dans l’arsenal thérapeutique face au trouble de l’usage de l’alcool, un problème de santé publique majeur souvent associé à la dépression » déclare le Pr Amandine Luquiens, médecin addictologue au CHU de Nîmes et pilote de l’étude.
Cette étude, baptisée PAD (Psilocybin in Alcohol Dependence), a été récemment publiée dans la prestigieuse revue scientifique internationale Addiction, soulignant la portée mondiale de ces travaux.
Abstract
Contexte et Objectifs :
La psilocybine a émergé comme un traitement potentiel pour le trouble de l’usage d’alcool (AUD), mais les données d’efficacité initiale sont inconsistantes. La dépression suivant le sevrage alcoolique augmente significativement le risque de rechute. Cette étude pilote visait à évaluer la faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité préliminaire de la psychothérapie assistée par la psilocybine pour les patients vivant avec d’AUD et de dépression comorbide.
Méthodologie :
Une étude pilote prospective, monocentrique, en double aveugle, parallèle (2:1), randomisée et contrôlée.
Cadre :
L’étude a été menée dans un programme de traitement hospitalier pour l’addiction offrant des interventions intensives de prévention de la rechute.
Participants :
Sur 350 patients dépistés, 30 adultes (âge moyen 49±10 ans ; 43 % de femmes) avec un AUD sévère (critères DSM-5) et un score BDI-II ≥14 ont été inclus. Les participants avaient terminé leur sevrage entre 14 et 60 jours avant l’inclusion.
Interventions :
Les participants ont reçu soit deux sessions orales de 25 mg (n=20) ou 1 mg (n=10) de psychothérapie assistée par la psilocybine espacées de trois semaines, en complément des soins standards. Les patients, les investigateurs et les évaluateurs de résultats étaient tous en aveugle concernant le groupe des patients.
Mesures :
Le critère principal était la faisabilité, selon la participation aux deux sessions de dosage et les taux de recrutement/inclusion. Les critères secondaires incluaient l’usage d’alcool (Alcohol Timeline Followback), le temps jusqu’à la rechute, le craving (Craving Experience Questionnaire), la dépression (BDI-II), la sécurité et l’intégrité de l’aveugle.
Résultats :
Un participant dans le groupe 25 mg n’a pas pu recevoir la seconde dose en raison d’un infarctus du myocarde survenu trois jours plus tôt, sans lien avec le traitement. Quatre participants dans le groupe témoin ont refusé la seconde session après avoir deviné leur assignation de groupe (p-valeur=0,019), avec un participant s’autoadministrant du MDMA. À 12 semaines, le groupe 25 mg a montré un taux d’abstinence significativement plus élevé (11/20 (55 %) vs 1/9 (11 %) (un suivi perdu) (différence = -44 %, [IC 95 % : -82 % à -5,9 %]), p = 0,043), des réductions dans les jours de consommation -100 (-100 à -49) vs -93 (-96 à 0), p = 0,038 et la fréquence du craving -8 (-23 à -1) vs +7 (-2 à 11), p = 0,045, respectivement dans les groupes 25 vs 1 mg (médiane (25;75)). Les taux de rechute étaient de 35 % dans le groupe 25 mg et de 50 % dans le groupe témoin (HR = 0,52 [0,16 à 1,65]). Aucune différence d’efficacité n’a été observée en fonction de l’utilisation d’antidépresseurs en termes de consommation d’alcool et de dépression. L’aveugle était imparfait (deviné correctement par les patients : 93,3 % ; les investigateurs : 86,7 %). Vingt-cinq événements indésirables ont été rapportés chez 10 patients (50 %) dans le groupe 25 mg versus 6 patients (60 %) dans le groupe témoin.
Conclusions :
La psychothérapie assistée par la psilocybine semble faisable, acceptable et sûre chez les patients récemment sevrés souffrant de trouble de l’usage d’alcool et de dépression comorbide.
Communiqué de presse, CHU de Nimes, 24 juillet 2025