À 20 ans, Julie évoque un état dépressif plus ou moins présent depuis l’adolescence. L’infirmière lui propose de s’appuyer sur les moments agréables qui subsistent…
Julie, 20 ans, se rend à notre consultation Nineteen sur le conseil d’un médecin généraliste. Le psychiatre pose un diagnostic d’état dépressif avec idées suicidaires évoluant depuis quelques mois. Il introduit un traitement antidépresseur et prescrit un suivi infirmier, d’une part pour évaluer régulièrement son humeur et l’efficacité du médicament, d’autre part pour la soutenir dans son quotidien.
Julie n’a plus goût à rien…
Lors du premier rendez-vous, Julie me raconte son parcours. Étudiante en master d’histoire, elle vit seule dans un studio, dont le loyer est payé par ses parents. Ces derniers sont séparés et habitent tous les deux à Paris. Julie se sent proche de son père mais évite sa mère, qui ne manifeste pas d’empathie pour la détresse de sa fille. « Tu as tout pour être heureuse, je ne comprends pas pourquoi tu n’arrives pas à l’être », lui assène-t-elle…
Julie décrit un mal-être depuis l’adolescence avec des épisodes de scarifications et une tentative de suicide médicamenteuse à 16 ans, après une rupture amoureuse. Elle a alors été hospitalisée deux semaines en pédopsychiatrie puis a engagé un suivi avec un psychiatre libéral jusqu’à ses 19 ans. À cette période, elle a pris un traitement antidépresseur durant six mois. Elle l’a interrompu, seule, car elle estimait qu’il n’avait pas d’effet.
Actuellement, on note une dégradation de son état avec un repli sur soi, un amaigrissement, des ruminations, une clinophilie (le fait de rester au lit en journée) et surtout des idées suicidaires quotidiennes. La jeune fille s’imagine en train de se jeter par la fenêtre ou sous le métro. Elle se retient de passer à l’acte « pour son père » et surtout car elle craint « d’échouer, de finir handicapée et d’être encore plus mal ».
Le visage plutôt triste, ou inexpressif, Julie m’explique que depuis des années, elle n’éprouve plus de plaisir à faire ce qu’elle aime. Plutôt créative habituellement, elle ne parvient plus à peindre, dessiner et écrire… Sur le plan du traitement, elle ne signale pas d’effet secondaire mais a du mal à s’endormir et se réveille souvent la nuit, malgré une prise d’Atarax® au coucher.
Expliquer la maladie
Julie semble avoir besoin de soutien pour mieux connaître sa maladie et en particulier son impact sur ses émotions. En effet, les patients déprimés ont du mal à verbaliser les moments agréables qu’ils ont pu vivre. Il s’agit de les aider à décrire les situations, les personnes, se remémorer ce qu’ils ont éprouvé de positif pour déclencher en eux des sensations de bien-être. Je propose à Julie de chercher avec elle tout ce qui a pu lui faire plaisir dans la semaine écoulée.
Elle évoque la fête d’anniversaire de son père. Je lui demande de me raconter les préparatifs, le temps qu’elle a pris pour acheter un cadeau, si elle a mis une tenue particulière, quels étaient les invités… Elle me décrit le repas, la surprise et la joie de son père quand il a ouvert son cadeau, l’ambiance, les conversations, si elle s’est sentie joyeuse, si elle a aimé converser avec les autres personnes. Julie relate cette belle soirée mais me dit qu’elle a l’impression de ne pas pouvoir retenir les moments de bonheur. « Sur le moment, c’est bien, reconnaît-elle, mais vite, ils deviennent insipides, et disparaissent. »
Je reviens sur sa pathologie, qui fait précisément que ce sont les souvenirs négatifs qui sont retenus et ruminés. Pour essayer de modifier cette tendance, on peut raconter à quelqu’un ou noter les petits moments agréables du quotidien. Petit à petit, le cerveau va les « enregistrer » et la personne peut ressentir à nouveau du plaisir en y repensant. J’encourage Julie à relire d’anciens textes à voix haute, pour les « mettre en bouche », les « savourer », et tenter d’éprouver du plaisir. J’essaye toujours de partir de ce que le patient déprimé aime encore et de m’en servir comme matériel de travail pour ressentir et en parler avec les soignants.
Pour conclure ce rendez-vous, je donne à Julie quelques conseils pour le quotidien. Je l’encourage à sortir tous les jours, même un court moment, à marcher, à manger ce qu’elle aime, à rencontrer des personnes qui la soutiennent, ce qui peut l’aider à retrouver un peu d’estime de soi…
Lutter contre la dévalorisation
Dans ces entretiens infirmiers, il faut trouver le bon équilibre pour permettre aux patients de se confier mais aussi les encourager, renforcer leurs expériences positives et lutter contre les dévalorisations quotidiennes…