Dans le cadre du renforcement des dispositifs de prévention de la radicalisation et à la suite de l’attentat de Mulhouse du 26 février 2025 (1), le gouvernement intensifie le suivi des individus inscrits au Fichier de Traitement des Signalements pour la Prévention de la Radicalisation à caractère Terroriste (FSPRT) (2) présentant des troubles psychiatriques. Les professionnels alertent pour leur part sur le risque d’amalgame entre affections psychiatriques et notion de dangerosité pour autrui.
A travers une instruction conjointe, publiée le 26 février 2025, Bruno Retailleau, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et Yannick Neuder, ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, ont chargé les préfets et les agences régionales de santé (ARS) de renforcer leur coordination afin d’assurer une prise en charge adaptée des individus inscrits au FSPRT présentant ou ayant présenté des troubles psychiatriques.
Cette démarche, conduite au sein de chaque département, s’inscrit dans le cadre des Groupes d’Évaluation Départementaux (GED) (3) et des Cellules de Prévention de la Radicalisation et d’Accompagnement des Familles (CPRAF) (4).
Dans cette perspective, plusieurs mesures prioritaires ont été établies :
- L’identification des individus inscrits au FSPRT souffrant de troubles psychiatriques, en lien avec les psychiatres des GED et la confirmation de la situation pour ceux qui y étaient déjà inscrits.
- La mise en place des mesures de suivi sanitaire nécessaires et la vérification de celles déjà mises en oeuvre, en partenariat avec les établissements de santé et les professionnels de ville, dans le respect du secret médical et des textes en vigueur.
Bruno Retailleau, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur a chargé les préfets d’assurer un suivi renforcé des étrangers en situation irrégulière, y compris en rétention ou en assignation à résidence.
Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et Yannick Neuder, ministre de la Santé et de l’Accès aux soins ont mobilisé l’ensemble des ARS pour permettre de renforcer la présence de psychiatres dans les GED afin d’assurer une évaluation et une prise en charge optimale des individus souffrant de troubles psychiatriques.
Les ministres rappellent l’importance d’une coopération étroite entre les services de l’État et les acteurs concernés pour assurer le suivi des personnes inscrites au FSPRT. Celles qui présentent des troubles psychiatriques doivent pouvoir bénéficier des prises en charge adaptées à leur pathologie. Parmi ces prises en charge adaptées figure la possibilité pour le préfet d’ordonner une mesure de soins sous contrainte qui s’exerce en milieu hospitalier fermé sous surveillance médicale et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
Plusieurs associations de professionnels et d'usagers de la psychiatrie réagissent à ces mesures dans un communiqué commun.
A la suite de l’attentat de Mulhouse le pays inquiet et affligé cherche des parades et la psychiatrie est, une fois encore, interpellée.
Nous alertons une fois de plus sur le risque d’amalgame entre affections psychiatriques et notion de dangerosité pour autrui. Les psychiatres et les soignants d’exercice public qui sont en responsabilité des soins sans consentement savent qu’en effet, des patients atteints de troubles mentaux délirants, animés par une conviction pathologique, peuvent réagir à leur délire par un passage à l’acte. Ceux-là relèvent d’une prise en charge psychiatrique étroite dans la période critique, puis d’un soin et d’une surveillance médicale au long cours. Mais fort rares ou exceptionnels sont les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique avérée impliquées dans un attentat terroriste.
Acteurs de la psychiatrie publique, nous travaillons déjà de concert avec l’ensemble de nos partenaires, agents issus du monde du social et de la justice, dans l’intérêt de nos patients. Ensemble nous participons déjà à la sécurité publique et à la cohésion sociale.
Tous les patients, y compris ceux souffrant de troubles psychiatriques, ont droit à une prise en charge respectueuse de leur liberté, de la confidentialité des échanges et de modalités thérapeutiques basées sur des critères strictement médicaux. Or le phénomène de la radicalisation n’est pas un concept médical.
Le rapprochement des préfectures et des ARS ne peut que questionner. Nous regrettons les réactions qui implicitement montrent du doigt les professionnels de la psychiatrie et qui en conséquence veulent étendre nos missions car notre légitimité est basée sur le soin au malade et sur le soin seulement.
Nous dénonçons les décisions politiques prises en un temps record et sans concertation avec les organisations professionnelles, quand par ailleurs, les réponses politiques tardent tant, en dépit de nos multiples alertes sur la dégradation croissante de la psychiatrie publique.
Nous ne pouvons accepter l’exigence gouvernementale d’assurer un suivi socio-sanitaire de quelque citoyen que ce soit. Notre préoccupation première restant d’avoir les moyens nécessaires pour accompagner correctement des patients dans un processus d’insertion sociale de qualité.
Nous rappelons au Gouvernement que les psychiatres hospitaliers sont des médecins responsables, soucieux de leur indépendance professionnelle et du respect de leur déontologie médicale.
(1) Attaque terroriste à Mulhouse qui a fait un mort et plusieurs blessés
(2) Créé par décret après avis de la CNIL en 2015, le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), administré par l’Unité de concours de la lutte antiterroriste au sein de la DGSI (UCLAT), est une base de données collaborative partagée avec les services de plusieurs ministères engagés dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente.
(3) Les groupes d’évaluation départementaux (GED) ont été créés par l’instruction de la garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre de l’intérieur du 25 juin 2014. Ils ont notamment pour mission, sous la présidence des préfets de département, de :
- organiser le décloisonnement interservices de l’information au niveau du département
considéré comme l’échelon opérationnel pertinent, dans le respect des règles de
confidentialité ; - s’assurer que chaque individu signalé pour radicalisation potentiellement violente
fasse l’objet, en premier lieu, d’une évaluation puis, si l’évaluation menée conclut à
cette nécessité, d’un suivi sécuritaire dans la durée
(4) la circulaire du ministre de l’intérieur du 29 avril 2014 a installé dans chaque département une Cellules de Prévention de la Radicalisation et d’Accompagnement des Familles CPRAF (communément appelée « cellule de suivi ») qui a pour double objectif, d’une part d’accompagner les familles qui signalent un proche et, d’autre part de prendre en charge, dans une perspective préventive pluridisciplinaire, les personnes signalées en voie de radicalisation (bas et très bas du spectre) lorsqu’un tel besoin est exprimé.