Hors des murs de l’hôpital, quelle conduite tenir lorsqu’un patient refuse un traitement ou se met en danger ? La contrainte peut-elle être envisagée pour une personne suivie en programme de soins et qui nécessite une réhospitalisation ? Repères juridiques sur la notion de responsabilité en ambulatoire.
En ambulatoire, l’infirmier en psychiatrie a parfois du mal à situer son niveau de responsabilité juridique face à un patient qui refuse des soins, n’ouvre pas la porte de son domicile ou ne se rend pas à un rendez-vous prévu au Centre médico-psychologique (CMP)… Nous rappelons ici succinctement les règles d’engagement de la responsabilité du soignant et/ou de l’établissement.
Définitions
Du latin respondere, la responsabilité est l’obligation de répondre des conséquences dommageables de ses actes ou de ses abstentions. Il ne faut pas confondre responsabilité « morale » et juridique ! En droit français, on distingue deux types d’engagement de cette responsabilité selon la finalité recherchée par la victime (ou ses ayants-droits en cas de décès) : la sanction de l’auteur (pénale, déontologique ou disciplinaire) ou la réparation financière. Les règles varient donc en fonction de la procédure engagée par la victime, qui doit démontrer la faute :
– une sanction découle d’une responsabilité personnelle de l’auteur ;
– une réparation financière s’appuie sur une faute, même involontaire. Les fautes commises par les agents dans l’exercice de leurs fonctions engagent la responsabilité de l’établissement, en vertu de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 (1), dans la mesure où c’est l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier « dans son ensemble » qui sont remis en cause (1). Quel est alors le champ de la responsabilité d’un soignant face à un patient qui refuse les soins, dans quelle mesure peut-il/doit-il agir ?
Le droit de refuser des soins
Selon le Code de la santé publique, tout patient est libre d’accepter ou de refuser les soins (2). On ne peut passer outre le refus de soins qu’en cas de « nécessité médicale », précise le Code civil (3). Dans le cadre d’une prise en soins en ambulatoire, il appartient au soignant d’évaluer la situation clinique en vue de définir les choix thérapeutiques et de les exposer au patient. Prenons l’exemple d’un patient diabétique qui ne respecte manifestement pas le régime alimentaire nécessaire. Un dispositif de contrôle plus étroit de la nutrition peut d’abord être mis en place. En cas d’opposition, l’infirmier doit respecter les souhaits du patient. Sa seule obligation réside dans l’information des risques encourus. En l’absence de signes d’urgence vitale, de péril, il ne peut aller au-delà. Des indicateurs peuvent cependant questionner l’opportunité d’une hospitalisation contrainte, notamment lorsque la recevabilité du refus de soins peut être discutée, mais il ne faut pas omettre la nécessité d’un fondement médical.
Motifs des soins contraints
À domicile, la perception d’un risque suicidaire, la détérioration de l’état de santé peut conduire l’infirmier à organiser une admission en établissement de santé mentale. Face à un refus, si les conditions de fond sont réunies, le patient peut être admis en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SDT), en péril imminent (SDTI) ou en urgence (SDTU).
Dans ces trois cas, les conditions de fond sont des troubles mentaux rendant impossible le consentement de l’intéressé et un état mental imposant des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète. Ce qui diffère relève des circonstances : la présence d’un tiers en mesure de signer une demande d’admission ; la demande d’un tiers sans présence de tiers conjuguée à un péril imminent (4) (c’est-à-dire l’immédiateté d’un danger pour la santé ou la vie du patient) ou à une urgence (soit l’existence d’un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade).
Pour une personne prise en charge à domicile, rares sont les mesures de soins à la demande du représentant de l’État, la condition de fond étant le trouble grave à l’ordre public ou la sûreté des personnes. Il importe ainsi de souligner l’existence de critères médicaux inscrits dans la loi (5) : un simple refus de soins ne peut aucunement justifier à lui seul d’une mesure de soins sans consentement. Rappelons à ce propos que le Juge des libertés et de la détention peut lever la mesure dès lors qu’il estime que le recours à une procédure dite de « péril imminent » ou « d’urgence » n’est pas justifié.
Réintégrer un patient en programme de soins
Dans le cadre des soins sans consentements en psychiatrie, la situation d’un patient en programme de soins (PDS) en ambulatoire interroge régulièrement les professionnels sur leurs obligations (6). Si la loi est venue préciser les conditions de fond d’une réintégration à l’hôpital d’un patient en PDS, elle n’en a pas défini les modalités pratiques, à part l’élaboration d’un avis ou d’un certificat médical. De fait, aucune mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre à l’égard du patient qui refuse (6). En pratique, cette complexité conduit les soignants à user de persuasion et d’ingéniosité… Parfois les services de police acceptent d’intervenir en soutien des soignants, mais ils n’y sont pas obligés. Rappelons qu’il n’est pas possible de s’introduire au domicile d’un patient sans y avoir été invité. Les services de secours le peuvent en cas de péril. La traçabilité de la réflexion et des actions entreprises reste la consigne première afin de démontrer, en cas de besoin, ce qui a été mis en œuvre au regard de l’obligation de moyens. Dans ce type de situations, l’infirmier peut se questionner sur sa responsabilité dans le cadre de la non-assistance à personne en péril.
La non-assistance à personne en péril
Hormis les infractions pénales dites « intentionnelles » (violation du secret professionnel, coups et blessures, vol, détournement de biens…), l’infirmier est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée dans le cadre des délits « non intentionnels », et notamment celui qui inquiète les soignants : le délit de non-assistance à personne en danger. Force est de constater une discordance entre les responsabilités perçue et réelle. La notion de « péril » prévue par le Code pénal est alors essentielle : le péril doit être imminent et actuel. Cette infraction de « non-assistance » caractérise donc l’abstention volontaire et non justifiée d’un professionnel qui avait connaissance du péril, et qui pouvait agir sans risque pour lui-même. Dès lors, on comprend que le seul fait de s’interroger sur un possible dommage (la chute d’un patient, une inquiétude par rapport à une possible mauvaise observance…) ne rentre pas dans ce contexte et, de facto, n’engage pas une potentielle responsabilité pénale.
Le risque vital
La situation de mise en danger ou d’urgence vitale autorise l’intervention de l’infirmier dans l’intérêt du patient. Préserver la vie de la personne prime alors sur le respect de ses souhaits. Le soignant doit intervenir pour dispenser et organiser les soins imposés par l’état du patient sur les plans somatiques ou psychiatriques. L’abstention volontaire et injustifiée serait alors constitutive du délit de non-assistance à personne en péril. C’est précisément l’inaction illégitime qui peut constituer une faute. Le juge ne sanctionne pas la personne qui ne savait pas ou ne pouvait pas intervenir.
Traçabilité
Le grand principe reste la traçabilité de l’action. La responsabilité est souvent celle liée aux moyens mobilisés pour résoudre une difficulté qui doivent donc être clairement consignés dans le dossier du patient.
Valériane Dujardin-Lascaux
Juriste
1– Ce principe de protection des professionnels de santé connaît une exception : la faute personnelle détachable du service. Il s’agit généralement d’une grave et intentionnelle, ou, selon un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, « celle qui révèle un manquement involontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique » (Chambre criminelle de la Cour de Cassation, 02/04/1992).
2– Article L.1111-4 du Code de la santé publique : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin (…). Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L’ensemble de la procédure est inscrit dans le dossier médical du patient.(…) ».
3– L’article 16-3 du Code civil dispose : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».
4– Cette procédure peut être utile en cas par exemple d’absence de tiers connu, de refus des membres de l’entourage du patient de prendre une décision d’admission en soins psychiatriques jugée médicalement nécessaire.
5– Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
6– Article L.3211-2-1-III du Code de la santé publique.