Appuyé sur une observation rigoureuse, cet ouvrage d’A. Nguyen met en lumière le rôle central des interactions langagières dans le travail de supervision des thérapeutes en psychiatrie. Une perspective originale pour répondre aux défis de la professionnalisation des superviseurs.
La supervision est un ingrédient essentiel de l’apprentissage de la relation thérapeutique. Comment s’y forme-t-on ? Intitulé Former les thérapeutes par les interactions. Au cœur de la professionnalité des superviseurs, cet ouvrage explore les pratiques de supervision en psychiatrie en s’appuyant sur une recherche empirique approfondie, pour en dégager les éléments clés. Associant rigueur scientifique et mise en pratique, Alexandra Nguyen, Infirmière et docteure en sciences de l’éducation, Professeur à l’Institut et haute école de la santé La Source, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) (Lausanne), documente la dynamique interactionnelle de séances de supervision à travers la transcription multimodale des interactions filmées et l’analyse détaillée de six tandems superviseur-thérapeute. La supervision y est analysée sous plusieurs angles : les pratiques langagières, les rapports de pouvoir, d’expertise et d’affectivité. L’autrice décrit cinq activités cardinales dans les séances de supervision : renseigner et documenter, enseigner, problématiser, évaluer et préparer les interventions futures.
Le cœur de la recherche porte sur le travail sur la relation thérapeutique. Une grande attention est portée à la dimension affective, au cœur d’une réflexion approfondie sur la posture professionnelle des thérapeutes. L’auteur met en évidence un phénomène clé : les trajectoires de l’affectivité. Ce terme désigne la manière dont les dimensions émotionnelles et affectives se déploient et évoluent au cours des séances de supervision. Leurs trajectoires constituent un levier central pour travailler sur la relation thérapeutique et développer les compétences professionnelles des thérapeutes. L’ouvrage montre également comment les superviseurs et les thérapeutes naviguent dans des cadres d’interaction complexes, notamment à travers des négociations de rôles et de places. L’étude met en avant la « professionnalité des superviseurs », caractérisée par leur aptitude à configurer les cadres interactionnels, gérer les affects, et soutenir le développement réflexif des thérapeutes.
Le travail montre également comment la relation de supervision met en abyme et influence les dynamiques de la relation thérapeutique. Par exemple, les superviseurs et thérapeutes coconstruisent des récits sur les expériences vécues, ces récits mettant en jeu des enjeux affectifs et interactionnels similaires à ceux présents dans la thérapie elle-même. Cela crée une sorte de « relation au carré », où les échanges verbaux et non verbaux servent à analyser une autre relation, tout en contribuant au développement des compétences professionnelles du thérapeute. Ce processus permet au thérapeute de mieux comprendre et gérer les dimensions émotionnelles et relationnelles de sa pratique avec ses patients.
L’ouvrage propose alors des clés pour améliorer les dispositifs de formation des thérapeutes et des superviseurs, en valorisant la réflexion collective et la gestion des dimensions affectives.
En somme, Former les thérapeutes par les interactions se révèle être une œuvre essentielle pour comprendre les enjeux de la supervision en santé mentale. Il combine des apports théoriques solides avec des applications pratiques, rendant hommage à la complexité et à la subtilité du travail de supervision. C’est une lecture incontournable pour quiconque souhaite approfondir le lien entre formation et interaction. Un travail d’un intérêt académique et professionnel majeur.
Une lecture de Jérôme Favrod, infirmier spécialiste clinique en psychiatrie et santé mentale, Société suisse de psychiatrie sociale, Goumoens-la-Ville, Suisse.
• Former les thérapeutes par les interactions. Au cœur de la professionnalité des superviseurs, Alexandra Nguyen, Presses universitaires de Rouen et du Havre (PUHR), A paraitre en janvier 2025.
