À 48 ans, Stéphane Cognon a éprouvé le besoin d’écrire sur sa traversée de la maladie. Dans un extrait de son livre « Je reviens d’un long voyage », il témoigne de la place des activités thérapeutiques dans son parcours de rétablissement. Aujourd’hui, il est Médiateur santé pair en santé mentale.
Je me souviens de quelques pensionnaires de cette clinique. En premier lieu un jeune homme, appelons-le Jean, qui vint me parler assez rapidement afin de m’expliquer sa vision de l’établissement.
« Tu as voulu t’enfuir ?, avait-il appris. Grosse erreur, ne jamais sortir de l’établissement sans y être autorisé, sinon tu vas perdre tes droits à la sécu. On n’est pas bien là ? Nourri, logé, un petit cacheton pour dormir. Sauf si tu veux sortir, tu veux sortir ?
– Ben oui, moi j’aimerais bien…
– Alors là, c’est autre chose. Le programme : tu vas aux groupes de parole, tu participes aux séances d’ergothérapie, peinture, sculpture, loisirs au choix et tu vas au sport, tennis, foot basket. C’est la recette pour sortir au plus tôt et tu dis bien au psy que tu fais tout ça, compris ?
– Compris. »
Dans le parc, je croisais régulièrement une bonne sœur. Entendait-elle des voix elle aussi ? Dialoguait-elle avec Dieu ? Troublant, nous ne sommes pas égaux face aux voix, en tout cas elles peuvent parfois sembler légitimes, non ?
Pierre Desproges avait une réflexion là-dessus : « Si tu parles à Dieu tu es croyant, s’il te répond tu es schizophrène. » Un psy m’avait fait part également d’une anecdote sur un de ses patients dont les voix étaient bien orientées : il entendait son psy d’un air menaçant lui ordonner de prendre ses médicaments ! Ça peut marcher aussi comme ça.
Bref, je ne sais pas si cette bonne sœur était schizophrène, je restais avec mon trouble sans aller lui demander.
Un autre personnage m’intriguait. Je lui tournais autour et plus je le voyais, plus sa ressemblance avec Woody Allen me frappait. Je laissais passer plusieurs jours et lorsque je me sentis plus en forme, j’allais le voir.
« Bonjour.
– Bonjour, dit-il.
– Est-ce que l’on vous a déjà dit que vous ressembliez à Woody Allen ?
– Oui, oui, on me l’a déjà dit ! », me dit-il avec un grand sourire.
Et… et puis rien, pas une blague, pas une anecdote sur son psy, c’était pourtant bien le lieu. Je fus très déçu. Je le recroisais plusieurs fois en essayant de le relancer, mais à chaque fois le bide, tant pis.
Alors, j’allais à l’ergothérapie, pour faire passer le temps et suivre le programme que m’avait fait Jean.
Je choisissais la peinture. Je ne sais pas très bien dessiner, mais je choisissais les couleurs, je mis des à-plats sombres, du rouge carmin, marron en bas de la feuille, puis plus clair, des couleurs pastel vers le haut avec une flèche et le chiffre de l’année prochaine.
L’animateur vint me voir :
« Alors Stéphane, qu’est-ce que tu as voulu dessiner ? »
En fait, je savais exactement ce que j’avais voulu dire.
« Ça représente mon état à l’arrivée, mon amélioration puis ma guérison pour recommencer l’année. »
L’animateur me prit comme exemple auprès d’un jeune garçon qui ne parvenait pas à dessiner une ligne :
« Tu vois Paul, Stéphane ne sait pas dessiner, il a fait un peu n’importe quoi, mais il a osé et pour cela je vais afficher sa peinture. »
J’étais fier de mon demi-succès ; en sortant de la salle je tombais sur Jean.
Je l’appelais : « Jean, viens voir, je suis exposé ! »
Il se retourna : « Bravo, un pas vers la sortie ! »
Je fis du sport aussi.
L’éducateur sportif était plutôt du genre viril. Il nous faisait jouer au basket et pour encourager le jeu d’équipe, nous devions lâcher la balle lorsque l’adversaire nous touchait. Il jouait avec nous et lorsqu’il nous touchait, ce n’était pas des petites tapes, mais plutôt des grands coups dans le dos. Je peux vous dire que nous ne gardions pas la balle trop longtemps.
J’ai joué au tennis aussi. J’avais du style. Peut-être un peu trop… joli, mais pas très efficace. Lorsque je jouais contre l’éducateur, il me balançait des retours que je devais parfois éviter. Il m’appelait Monsieur le baron. Il ne devait pas avoir les aristocrates à la bonne.
Jean avait raison, l’ergothérapie, le sport, tout cela me socialisait et me remettait en forme. Il ne me restait que quelques jours. La sortie définitive avait été fixée. Mes parents allaient venir me chercher.
« Je vais m’en aller, dis-je à Jean.
– C’est bien si c’est ce que tu veux.
– Et toi ?
– Moi ? Oh tu sais je ne suis pas vraiment bien encore, je crois que je vais rester un peu ».
Et il partit en singeant le fou qu’il n’avait jamais été.
• Je reviens d’un long voyage – Candide au pays des schizophrènes (Les personnages de la clinique), Stéphane Cognon, Ed. Frison Roche, 2017