Les colères de Jonathan

N° 290 - Septembre 2024
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Jonathan, 18 ans, entre parfois dans des rages incontrôlables, dont il se sent très coupable. Il voudrait alors disparaître… Un entretien infirmier évalue ses difficultés et oriente sa famille.

Jonathan, 18 ans, est conduit par sa mère à la consultation Nineteen pour de violentes crises de colère. Avec mon collègue infirmier, nous le recevons d’abord seul, puis avec elle.

Quand l’énervement monte…
Nous rencontrons un jeune homme plutôt réservé, peu prolixe, avec un visage peu expressif. Tout juste bachelier, il débute une prépa littéraire dans un bon établissement parisien. Il vit avec ses parents, qui travaillent tous les deux, et un frère plus âgé, étudiant en prépa scientifique. Les deux jeunes partagent une chambre, ainsi qu’un ordinateur, dont le temps d’utilisation est strictement réparti entre eux.
Selon Jonathan, ses crises ont commencé trois ans auparavant, à son entrée au lycée. Depuis toujours, il aime les jeux vidéo et s’engage souvent dans parties en ligne avec des amis de sa classe ou virtuels. Au bout d’une heure, il montre parfois des signes d’impatience et s’agace lorsqu’il n’arrive pas à atteindre les performances souhaitées ou quand il perd. D’abord, il tape sur ses cuisses, malmène sa souris puis se met à crier, à insulter grossièrement ses adversaires voire à casser un objet en le projetant au sol… Alertés par le bruit, ses parents lui demandent de se calmer, sans succès tant le jeune homme est absorbé par sa colère. Quand son grand frère intervient, Jonathan s’énerve encore davantage.
Un après-midi, alors que son frère tente de lui expliquer un exercice de mathématiques, Jonathan sort brusquement de ses gonds. Furieux, il quitte l’appartement en claquant la porte, sans veste ni téléphone et ne réapparaît qu’en début de soirée. Après cette énième crise, il envoie un texto à son frère pour lui dire qu’il a envie de disparaître. Son aîné prévient ses parents, qui conduisent Jonathan aux urgences. Le psychiatre le fait sortir rapidement et recommande un suivi par un psychologue ou un psychiatre.

Cris et culpabilité
Nous questionnons Jonathan. Il dort bien, n’a pas perdu de poids, a des amis qu’il voit régulièrement. Ses résultats scolaires sont excellents, il ne consomme pas de toxiques. Il semble sincèrement désolé de l’inquiétude de ses parents : il ne voulait pas mourir, il cherchait plutôt à s’excuser. Il ne sait pas comment faire pour changer et cesser de s’énerver de la sorte. Il culpabilise. Quand nous évoquons une possible rivalité avec son frère, il hausse les épaules sans répondre. Il a l’impression d’être la bête noire de la famille, dit-il.
À l’instar du psychiatre des urgences, nous ne sommes pas inquiets pour ce jeune homme, qui n’a pas d’idées noires ni de symptômes dépressifs ou psychotiques. Reste que cette situation est problématique pour la dynamique familiale.

Dédramatiser, orienter…
Nous recevons alors Jonathan et sa mère. Elle nous semble angoissée et dépassée par les événements. Elle raconte que son mari et elle ont essayé de « mettre un cadre » et de diminuer les heures passées devant les jeux vidéo. Mais quand l’agacement de Jonathan se fait sentir, leur fils semble inaccessible. Après les crises, il n’y a pas vraiment de paroles échangées en famille et les parents éprouvent des difficultés à aborder avec leur fils ce qu’il ressent et le met dans cet état. Ces crises sont ainsi devenues un sujet tabou, que chacun évite d’aborder.
Nous questionnons cette mère sur les démarches entamées. Le médecin généraliste a conseillé aux parents de « laisser leur fils faire sa crise », d’attendre qu’il se calme puis de le rassurer, lui affirmant que « ce n’était pas grave et qu’ils avaient confiance dans sa capacité à se réguler tout seul ». Cette piste nous semble intéressante parce qu’elle permet de banaliser les choses et de diminuer la culpabilité de Jonathan, et donc, peut-être d’espacer les crises.
Nous proposons à la famille de les orienter vers un dispositif de parole et d’écoute pour adolescents et leurs familles. Des entretiens individuels et familiaux pourraient les aider à mettre des mots sur le mal-être de Jonathan, à réfléchir aux places et aux rôles de chacun et à ce qui se joue pour les autres quand un membre de la famille ne va pas bien.
Nous jouons ainsi parfois un simple rôle d’accueil et d’orientation des jeunes et des familles. Sans minimiser, écouter le désarroi ou la détresse de certains parents suffit parfois à désamorcer des engrenages négatifs… Face à une forme de pression sociale, qui exige des individus « parfaits », apporter une parole empathique et de bon sens peut aider à relativiser…