Dans un rapport, la Cour des comptes alerte sur le recours aux emplois temporaires médicaux pour assurer le fonctionnement courant des hôpitaux, et non plus répondre à des situations conjoncturelles, ce qui traduit une fragilité structurelle et pèse lourdement sur leur situation financière. Elle formule six recommandations.
Dans un contexte de pénurie de médecins, le recours à l’intérim est resté limité dans les hôpitaux publics, mais d’autres formes de contrats d’emplois temporaires se sont largement développées pour assurer notamment la permanence des soins. La présente enquête, qui porte sur les emplois médicaux dans les hôpitaux publics, à l’exclusion des autres professions soignantes(1) et des établissements privés (2), s’inscrit dans un contexte de forte médiatisation du recours aux emplois intérimaires et des fermetures ou suspensions d’activités liées à des difficultés de personnel.
Les médecins représentent 10% des effectifs salariés du secteur hospitalier, soit un peu moins de 100 000 personnes. Mais la gestion des ressources humaines médicales à l’hôpital revêt une dimension stratégique encore plus forte. Le temps médical disponible conditionne en effet sa mission première d’offreur de soins. Or, le marché de l’emploi médical est soumis durablement à de fortes tensions. D’une part, les besoins d’emplois médicaux ont été accrus depuis la mise en oeuvre des 35 heures, la prise en compte du temps de garde dans le temps de travail, et sous l’effet de la définition réglementaire des ratios d’effectifs dans les conditions d’autorisations de certaines activités de soins. Entre 2013 et 2020, le nombre des médecins en nombre de personnes a ainsi progressé de 6,4 % entre 2013 et 2020 (3). De manière corollaire, les dépenses de personnel médical ont atteint 8 829 M€ en 2022, soit + 31 % par rapport à 2017. D’autre part, une démographie médicale déclinante et la perte d’attractivité de certaines spécialités, territoires et de l’exercice à l’hôpital, limitent les ressources disponibles.
Pour assurer leurs obligations de continuité et de permanence des soins, les établissements font appel aux emplois temporaires. Si le recours à l’intérim médical a été réglementairement conçu pour pallier les absences ponctuelles (4), les solutions de remplacement ne relèvent toutefois pas du seul recours aux prestations de service d’une société d’intérim. Les contrats à durée déterminée sont en particulier une modalité que mobilisent les hôpitaux.
Lorsque le recours aux emplois temporaires est nécessaire pour assurer le fonctionnement courant, et non plus répondre à des situations conjoncturelles, il traduit une fragilité structurelle de l’hôpital et pèse lourdement sur sa situation financière. En effet, à l’instar d’autres secteurs où les employeurs peinent à trouver des candidatures, les médecins sont en position de négocier des rémunérations élevées, au-delà des plafonds réglementaires.
L’ampleur du recours aux emplois temporaires, plus qu’aux intérimaires, et leurs conditions de rémunérations, ont des conséquences préoccupantes (1). Les mesures de maîtrise des rémunérations ne suffisent pas à limiter les dérives (2). Dans ce contexte, des évolutions structurelles adossées à une recomposition territoriale de l’offre de soins, sont à envisager à court terme. (3)
Conclusion
La mise en oeuvre en avril 2023 de l’article 33 de la loi du 26 avril 2021 dans les hôpitaux publics traduit la volonté de limiter les dérives constatées en matière de rémunération des emplois temporaires, recrutés pour pallier une insuffisance de temps médical. La démarche adoptée a tiré les enseignements d’une première tentative de régulation en 2017, mise en échec. Elle tient compte de la progression constante depuis 2017 du nombre de contrats de gré à gré ne respectant pas le cadre réglementaire.
Le report de 17 mois de son entrée en vigueur a permis de compléter le dispositif par la refonte des statuts de praticien hospitalier et de praticien contractuel, et de promouvoir le recours à la prime de solidarité territoriale, conçue comme un substitutif à l’intérim médical et aux contrats de gré à gré. La meilleure maîtrise du respect des plafonds de rémunération réglementaires repose en effet sur un contrôle renforcé confié au comptable public, mais surtout sur des leviers financiers : une revalorisation des montants-plafond autorisés pour les contractuels et la rémunération des heures supplémentaires en dehors de leur établissement, afin de développer la solidarité entre établissements.
Cette seule régulation par les tarifs a toutefois introduit des effets d’aubaine. Le marché de l’emploi tendu confère aux professionnels de santé un pouvoir qu’il convient de réguler. Les conséquences sont préoccupantes, sur le plan financier, sur le plan de l’attractivité des emplois permanents ou sur le travail en équipe dont dépend la qualité et la sécurité des soins.
La mobilisation des moyens, notamment financiers, n’empêche pas des fermetures ou réductions d’activité ponctuelles ou récurrentes. Une réorganisation assumée et volontariste de l’offre de soins permettrait, en densifiant les activités, de reconstituer des équipes médicales de taille suffisante et d’organiser des parcours de soins sécurisés.
Recommandations
Recommandation n° 1. (DGOS, HAS) : Définir une méthodologie visant à étudier l’effet sur la sécurité des soins du recours aux emplois temporaires. (recommandation de gestion).
Recommandation n° 2. (DGOS) : Définir de manière plus restrictive les règles de recours à certains contrats temporaires (contrat de motif 2) (recommandation de gestion).
Recommandation n° 3. (DGOS, SGMAS au titre des ARS) : Faire dépendre la revalorisation des indemnités de sujétion des gardes et astreintes de la mutualisation des ressources médicales au sein du territoire (recommandation de gestion).
Recommandation n° 4. (DGOS, SGMAS au titre des ARS) : Faire établir par l’Agence régionale de santé, pour chaque groupement hospitalier de territoire, un contingent des contrats de recrutement temporaire de médecins passés sur le fondement de difficultés particulières de recrutement non liées à la conjoncture (motif 2) et confier aux GHT leur gestion ainsi que celle de la prime de solidarité territoriale ; (recommandation de politique publique).
Recommandation n° 5. (DGFiP, DGOS) : Afin de suivre pour chaque établissement le recours aux emplois temporaires, organiser un double recueil obligatoire – extra-comptable et comptable – du taux de recours aux emplois temporaires ; (recommandation de politique publique).
Recommandation n° 6. (DGOS, HAS,) : Compléter les éléments d’évaluation du référentiel de certification par une analyse approfondie du fonctionnement des services présentant
1 Le recours à l’intérim médical ne concerne pas seulement la profession de médecin et les hôpitaux. Le phénomène s’étend aux professions non médicales et au secteur médico-social, se traduisant par des fermetures de lits. Il est à craindre que les dérives constatées s’étendent aux professions non médicales.
2 Cette double focalisation s’explique par la complexité des questions déjà incluses et ne signifie pas que les difficultés soient cantonnées au secteur public. Ainsi, en particulier, les niveaux de rémunérations accordées aux médecins exerçant en établissement privé contribuent aux tendances constatées.
3 Les établissements de santé. Les panoramas de la DREES, Edition 2022.Effectifs salariés en personnes physiques, rémunérés au 31 décembre.
4 La circulaire du 3 août 2010 relative aux modalités de recours à l’intérim dans la fonction publique.
Intérim médical et permanence des soins dans les hôpitaux publics, Cour des comptes, 23 juillet 2024.