Leila, 18 ans, porte de longs vêtements de bohémienne, un peu déchirés. Les cheveux colorés au henné, elle a un regard un peu perdu. Sa voix est douce mais posée. Avec ma collègue éducatrice, nous la recevons pour un premier échange. La jeune fille s’est rendue spontanément aux Urgences psychiatriques pour demander un suivi médical. Elle a été orientée vers la consultation Nineteen.
« Je n’ai besoin de rien »
Leila sort de sa poche une pièce d’identité déchirée. Nous lui demandons son adresse, elle répond qu’elle n’en a pas, elle vit dans le quartier, « chez des amis qui l’hébergent » et dort souvent dans des lits différents. Sa famille a quitté Paris quelques mois auparavant et Leila a coupé les ponts. Elle travaille en intérim et assure parfois des missions d’accueil, « quand j’ai des vêtements présentables pour ce genre de travail ». Nous essayons d’en savoir plus. A-t-elle besoin de vêtements neufs ? De nourriture ? Elle hausse les épaules. Notre inquiétude palpable semble à peine la toucher, elle nous regarde étrangement, hoche la tête et murmure : « ça va, je n’ai besoin de rien ».
Elle raconte ensuite ses difficultés psychiques, qui ont débuté « il y a longtemps », sans qu’elle puisse les dater. L’année dernière, durant quelques mois, peut-être trois, peut-être six ?…, tout était confus et étrange dans sa tête. Elle était angoissée et en même temps joyeuse, ne dormait plus, sentait qu’elle avait une mission à accomplir, pensait qu’elle était un oracle, qu’elle détenait la vérité et devait la transmettre aux autres. C’est à cette période qu’elle s’est violemment disputée avec ses parents, qui ont fini par la mettre dehors. Leila décrit des colères, des périodes d’exaltation thymique avec des mises en danger et de la prostitution pour pouvoir manger.
Aujourd’hui, elle se sent triste mais ne fait plus de crises d’angoisses. Elle attribue son « calme » à sa reprise du cannabis. Elle mange peu, reste au lit toute la journée, n’a pas envie de sortir. Dans la rue, elle a l’impression que ses pensées sortent de sa tête, elle entend des cris et voit des gens qui n’existent pas.
Nous lui proposons un rendez-vous avec un psychiatre dans la semaine pour mettre en place un traitement qui diminuera les hallucinations et l’aidera à se sentir mieux.
Leila acquiesce et, à notre grand étonnement, se présente à l’heure pour le deuxième entretien. Le psychiatre pose un diagnostic de premier épisode psychotique et prescrit un antipsychotique quotidien et un anxiolytique pour l’aider à dormir.
La semaine suivante, nous la revoyons pour surveiller les effets du traitement. Elle n’a pas pu le prendre car sa carte Vitale ne fonctionne pas, et la pharmacie ne lui a pas délivré les médicaments. Leila n’a pas pu nous appeler car son téléphone portable ne fonctionne plus. Nous joignons la pharmacie de l’hôpital qui lui délivre le traitement pour un mois.
Assez rapidement ensuite, Leila exprime qu’elle se sent mieux, qu’elle dort mieux et entend moins de voix. Elle reste toujours évasive sur ses journées et son emploi du temps… Une fois, elle se présente à un rendez-vous avec un coquard, et nous assure en souriant qu’elle s’est battue avec un homme qui l’a insultée dans la rue.
Du temps pour tisser un lien…
Nous avons peur de brusquer Leila, de lui proposer une prise en charge trop lourde (médicale, sociale… ), de l’étouffer, la noyer et de la faire fuir. Nous aurions envie de la materner, de la protéger, de lui trouver très vite un logement, un travail, des ressources financières… La jeune fille nous inquiète mais nous étonne aussi par sa rigueur : elle est toujours à l’heure aux rendez-vous, elle s’exprime avec aisance, décrit parfaitement ses troubles et a tout de suite adhéré au traitement, qu’elle suit de manière régulière. Il y a chez elle une volonté et une détermination qui forcent le respect, avec parfois aussi un contact un peu absent et des réponses évasives. Quand je lui ai expliqué qu’un suivi régulier avec un traitement d’au moins deux ans serait nécessaire, elle a tiqué : « Deux ans, c’est long ça, très long ».
Leila aimerait reprendre une formation dans la couture. Avant sa maladie, elle confectionnait elle-même ses beaux vêtements colorés. Elle dit qu’elle en parlera à la Mission locale puis se tait, passe à autre chose.
Si son état de sans-abri peut être appréhendé comme une rupture de liens avec la société, les proches, le travail, alors il va falloir du temps pour reconstruire une relation de confiance avec Leila. Nous espérons pouvoir l’accompagner à son rythme, l’aider à faire des projets et à construire la vie qu’elle aura choisie…
VIRGINIE DE MEULDER
Infirmière, Consultation jeunes adultes NineTeen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.