« Les jeunes chercheurs en sciences infirmières sont des agents de changement ! »

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Les 28 et 29 mars 2024 ont lieu à Lyon les 8es Rencontres pour la Recherche en Soins en Psychiatrie. Marie-Hélène Goulet, PhD en sciences infirmières de l’Université de Montréal, y présente son modèle de prévention de l’utilisation des mesures de contrôle en psychiatrie et santé mentale. Entretien avec une chercheuse engagée.

Pouvez-vous évoquer les étapes clefs de  votre parcours professionnel d’infirmière à professeure adjointe et chercheuse en sciences infirmières de l’Université de Montréal ?

 Si nous ne sommes pas responsables des interventions de nos collègues, en être témoin peut conduire à des dilemmes moraux et éthiques. Dans le service psychiatrique où je travaillais, chaque nuit, ma supérieure directe plaçait à l’isolement un patient, sous prétexte qu’il se promenait de chambre en chambre et que cela présentait un risque potentiel pour les autres. Chargée de ce patient pendant une absence de cette infirmière, je l’ai laissé dormir dans sa chambre, sans que cela pose problème, cette nuit là ni les suivantes. Comment impacter significativement une pratique problématique pour qu’elle change ?

Assistante de recherche dans le domaine du moindre recours à la coercition, j’ai alors décidé de diminuer mes heures en milieu clinique pour augmenter celles d’assistante de recherche, jusqu’au moment où je me suis inscrite en doctorat en sciences infirmières à l’Université de Montréal (UdeM). Après avoir soutenu une thèse sur le debriefing post isolement/contention, j’ai poursuivi à l’Université McGill avec un stage postdoctoral portant sur les programmes de soins. Professeure à l’UdeM depuis 2018, mes travaux de recherche ciblent aujourd’hui la prévention de la coercition. Trois principaux objectifs guident mon travail :

  • Diminuer le recours à la coercition en me remémorant cette citation de James Baldwin (1979) : « Vous écrivez pour changer le monde… Si vous modifiez, même d’un millimètre, la façon dont les gens regardent la réalité, alors vous pouvez la changer » .
  • Collaborer avec des patients partenaires qui, par le partage de leur vécu de la mise en isolement et de la contention, donnent un sens à la recherche (parmi lesquels Patricia Clavet, Chad Chouinard, Richard Breton et Luc Vigneault).
  • Inspirer (et m’inspirer d’) une génération de jeunes chercheurs – notamment mes étudiants au doctorat – qui sont des agents de changement. Avoir eu la chance d’être formée par Caroline Larue, professeure titulaire de l’UdM depuis peu à la retraite, je souhaite recréer un environnement où différentes perspectives puissent coexister.

Les 28 et 29 mars 2024 à Lyon, dans le cadre des 8es Rencontres pour la Recherche en Soins en Psychiatrie, quels aspects de votre modèle de prévention de la coercition en psychiatrie/santé mentale souhaitez-vous partager ?

Depuis plus de 16 ans je fais de la recherche sur la prévention du moindre recours et j’ai pu constaté l’absence de synthèse de ces travaux dans le monde francophone, ce qui limite le transfert des connaissances. Le Modèle de prévention des mesures de contrôle en santé mentale vise, par une approche systémique, à refléter la nature multifactorielle et complexe de la problématique liée à la réduction de mesures de contrôle. Je l’ai développé avec mon étudiante au doctorat Clara Lessard-Deschênes à partir de notre revue intégrative de 136 articles recensés. Lors des 8es Rencontres pour la recherche en soins, nous aborderons les interventions spécifiques à chacun des systèmes, lesquels interagissent et se transforment mutuellement : la personne à risque de mesure de contrôle, les intervenants, l’environnement thérapeutique, l’organisation institutionnelle et les politiques gouvernementales.

« Une multitude de facteurs sont associés au recours à la coercition formelle qui deviennent autant de cibles possibles pour favoriser le moindre recours »

Comment ce modèle peut-il changer la manière dont les professionnels, notamment infirmier.ères, abordent ces situations de moindre coercition en psychiatrie ?

Dès le premier regard, le modèle permet de se rendre compte qu’afin d’assurer la sécurité des patient.e.s et des infirmier.ères, la responsabilité doit être partagée. En effet, une multitude de facteurs sont associés au recours à la coercition formelle qui deviennent autant de cibles possibles pour favoriser le moindre recours. Je pense notamment à la relation thérapeutique, à l’évaluation du risque, aux techniques de désescalade, au débriefing post contrainte et au plan de crise conjoint, lequel sera justement présenté plus en détails par Pascale Ferrari et Caroline Suter lors des 8e Rencontres.

Vous soutenez une approche participative de la recherche.  Pouvez-vous illustrer concrètement comment ce type de collaboration entre usagers et soignants a contribué à faire évoluer les pratiques ?

Pour mon projet postdoctoral, j’ai codéveloppé le protocole d’une étude sur les programmes de soins avec une personne vivant avec la schizophrénie et ayant subi la coercition. Elle a influencé non seulement les questions de recherche, mais aussi le choix des méthodes, l’analyse et la diffusion. L’orientation des questions de recherche que j’anticipais a complètement été révisée. J’ai aussi proposé que ce soit une personne ayant une expérience de la coercition qui procède aux entretiens individuels auprès des usagers pour tenter de diminuer le déséquilibre des pouvoirs associé au fait que la recherche soit menée par une infirmière.

Encouragée par ces succès, j’ai par la suite initié des rencontres mensuelles entre mon équipe de recherche et des pairs aidants de la Société québécoise de la schizophrénie pour échanger nos réflexions respectives – académique, clinique et expérientielle – sur des sujets portant sur la prévention de la coercition formelle, informelle et perçue.

N° 286 - Mars 2024

Un modèle pour prévenir la coercition

Auteur(s) : Marie-Hélène GOULET, Infirmière, Ph.D, ProfesseureNbre de pages : 6

Le Modèle de prévention de l’utilisation des mesures de contrôle en santé mentale met en évidence cinq cibles d’intervention spécifiques pour réduire l’isolement et la contention mécanique. Il promeut ainsi une approche de responsabilité partagée entre les acteurs de plusieurs systèmes.

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