Les 28 et 29 mars 2024 ont lieu à Lyon les 8es Rencontres pour la Recherche en Soins en Psychiatrie. Dave Holmes professeur et titulaire de la chaire de recherche universitaire à l’École d’infirmières d’Ottawa (Ottawa, Canada) en est l’invité phare. Entretien avec une référence en matière de travaux et d’engagement pour la promotion de la clinique infirmière.
Les 28 et 29 mars 2024 à Lyon, vous êtes l’invité phare des 8es Rencontres pour la Recherche en Soins en Psychiatrie. Après plus de 20 ans de recherches en soins infirmiers en psychiatrie quels points clefs comptez-vous partager avec vos collègues français ?
Je présenterai deux allocutions lors de ces 8es Rencontres pour la Recherches en soins psychiatriques (1). Il s’agira en fait de ma dernière participation à une conférence avant ma retraite qui se profile d’ici 5 ans. Je n’ai en effet pas pu refuser de participer à cet évènement qui est l’occasion non seulement de partager mes réflexions sur la discipline et la profession infirmières mais aussi de revoir des collègues que j’estime beaucoup et d’échanger avec d’autres sur des préoccupations communes. Mes objectifs, si je peux les caractériser ainsi, visent à partager ma vision d’une discipline infirmière ouverte aux influences extra-disciplinaires et discuter des effets positifs de cette ouverture sur la profession, donc sur la pratique clinique en soins psychiatriques et bien au-delà. Mes deux allocutions très personnelles s’appuieront entre autres sur les travaux incontournables de Gilles Deleuze, Félix Guattari et Michel Foucault pour les philosophes, et Robert Castel et Erving Goffman pour les sociologues.
En France la discipline infirmière émerge lentement. Quels leviers faudrait-il actionner ?
Je ne connais pas bien la complexité du système politique français mais il faut impérativement engager un travail de terrain concerté entre l’Ordre infirmier, les associations professionnelles et les structures d’enseignement afin de mettre en place une formation infirmière où la recherche occupera une place prépondérante (voir notre article sur la refonte de la formation). Sans recherche, pas de possibilité d’émergence d’une discipline infirmière ! Elle reste un levier incontournable pour le développement des connaissances. Idéalement, cette refonte de la formation infirmière devrait être dispensée par les universités au sein de structures académiques interdépendantes mais indépendantes de la médecine, de la santé publique ou de disciplines connexes. À cet égard, je crois fermement que tous les acteurs concernés par le développement de la discipline infirmière devraient s’inspirer des grandes facultés et écoles de sciences infirmières (Australie, Canada, Etats-Unis et Royaume-Uni) et de programmes de formation qui ont fait leurs preuves dans le monde. Simultanément, il faut aussi travailler à valoriser la profession, donc la pratique, car c’est là que les résultats de la recherche seront déployés. Là aussi le travail doit être sans relâche, et impliquer aussi les syndicats.
Quel regard portez-vous sur vos 20 ans de travaux liés aux mesures restrictives de liberté en psychiatrie ?
Très franchement, il y a encore beaucoup de travail à faire en ce qui concerne les mesures restrictives de liberté et la philosophie/perspective du « moindre recours ». Alors que la très grande majorité des recherches montrent les effets délétères de ces mesures du type contentions environnementales, physiques et chimiques, il me semble que les avancées sont très timides, malgré l’énergie investie depuis des décennies, par les chercheures et les cliniciennes en sciences infirmières. Cet état de fait est lié à la persistance d’organisations « violentes » et de directions qui semblent incapables d’opérer un véritable changement, à savoir l’abandon d’une culture du contrôle au profit d’une véritable culture de soins. Je ne sais pas qu’elle est la solution pour sortir de cette spirale qui perdure depuis la création du modèle asilaire, mais une chose est certaine, il faudra faire preuve de beaucoup de détermination pour que le « moindre recours » s’impose comme la seule philosophie de soins possible dans la gestion des mesures restrictives.
« Ma contribution la plus importante à la discipline des soins infirmiers reste la supervision de nombreux étudiants en études supérieures (50+), notamment au niveau doctoral. C’est probablement l’élément le plus déterminant de ma carrière qui s’achève ! ».
Dave, vous êtes un chercheur en sciences infirmières mondialement reconnu, pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Mon parcours professionnel a débuté en 1987 alors que j’ai été admis en premier cycle universitaire en sciences infirmières. J’ai obtenu mon diplôme en 1991, et j’ai immédiatement travaillé en soins psychiatriques généraux puis 6 mois plus tard en tant qu’infirmier-responsable dans un hôpital en soins psycho-légaux à haute sécurité à Montréal. J’y ai exercé pendant plus de 10 ans pour ensuite me consacrer à des études supérieures en sciences infirmières (maîtrise puis doctorat) en travaillant du même coup comme « infirmier de rue » auprès d’une population itinérante, psychiatrisée et judiciarisée.
J’ai ensuite obtenu un poste de professeur à l’Université d’Ottawa en 2002 à la suite de mon doctorat en sciences infirmières. En 2003, j’ai poursuivi des études postdoctorales à la Faculté de médecine de l’Université de Toronto. Quelques années plus tard, et après avoir obtenu le titre de professeur agrégé, j’ai obtenu une Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa en soins infirmiers médico-légaux (2009-2025). À la suite de ma promotion au rang de professeur titulaire (2008), j’ai assumé les fonctions de vice-doyen aux études à la Faculté des sciences de la santé (2009-2011) et de directeur de l’École des sciences infirmières (2011-2015). En 2018, j’ai quitté l’Université d’Ottawa, pendant deux ans, afin de travailler comme professeur-chercheur et vice-doyen aux études à l’Université de Californie. Je suis rentré à l’Université d’Ottawa en 2020.
Pendant ma carrière académique, j’ai obtenu plus 13.5 millions de dollars canadiens ($CDN) de subventions de recherche pour conduire mes travaux dans le domaine de la gestion du risque en santé publique ainsi qu’en soins infirmiers psychiatriques et psycho-légaux. Mes recherches empiriques, commentaires, essais et analyses reposent principalement sur les travaux post-structuralistes de Deleuze, Guattari et Michel Foucault. Mes travaux ont été publiés dans des revues en sciences infirmières, en criminologie, en santé publique, en management, en sociologie et en médecine. Soit à ce jour, plus de 210 articles dans des revues avec comité de lecture et 55 chapitres de livres. Je suis également co-auteur de plusieurs ouvrages (2) et co-directeur scientifique de l’ouvrage Santé mentale et psychiatrie (3e édition) qui vient tout juste de paraître (Chenelière Éducation, 2023).
Depuis 2020, je fais partie des chercheurs les plus cités au monde (top 2%) (palmarès créé par l’Université Stanford, Californie). En 2019 et en 2021, j’ai été respectivement nommé Fellow (3) de l’Académie américaine des sciences infirmières (FAAN) et de l’Académie canadienne des sciences infirmières (FCAN). Enfin j’ai aussi eu le privilège d’être professeur-invité en Australie (University of Adelaide), au Canada (Toronto Metropolitan University), en Indonésie (Binawan Institutes of Health Sciences, Jakarta), aux Etats-Unis (Duquesne University, Pittsburgh), au Royaume-Uni (City University, London et University of Chester) et, tout dernièrement, au Luxembourg (Université du Luxembourg).
Cela étant dit, ma contribution la plus importante à la discipline des soins infirmiers reste la supervision de nombreux étudiants en études supérieures (50+), notamment au niveau doctoral. C’est probablement l’élément le plus déterminant de ma carrière qui s’achève !
(1)« Vers une révolution moléculaire en sciences infirmières » et « Mesures restrictives en soins psychiatriques : persistance de l’institution totale »
(2) Critical Interventions in the Ethics of Health Care (2009), Abjectly Boundless: Boundaries, Bodies and Health Care (2010), (Re)thinking Violence in Health Care Settings: A Critical Approach (2011), Power and the Psychiatric Apparatus (2014), Critical Approaches in Nursing Theory and Nursing Research: Implications for Nursing Practice (2017) et Radical Sex between Men: Assembling Desiring-Machines (2017).
(3) Le titre de fellow, aussi sociétaire, est généralement un titre honorifique attribué par une institution à une personnalité méritante, élue ou invitée.