La décision rendue le 3 juillet (1) dans l’affaire Romain Dupuy met fin à une regrettable incertitude sur la question de l’ordre juridictionnel compétent pour contrôler la légalité du maintien d’un patient au sein d’une unité pour malades difficiles (UMD) (2).
Ce patient, déclaré irresponsable pénalement à la suite du meurtre de deux soignantes au Centre hospitalier psychiatrique de Pau, avait été admis à l’UMD de Cadillac à partir de 2005 sur décision du Préfet de Gironde, cette mesure ayant été depuis systématiquement prolongée. Rappelons que l’admission ou la sortie d’UMD sont des décisions administratives prononcées par le Préfet (3) et que seuls peuvent être accueillis au sein de ces unités les malades admis sans leur consentement à la demande du représentant de l’État ou à la suite d’une décision du juge pénal (4). À plusieurs reprises, par l’intermédiaire de ses avocats, Romain Dupuy a demandé à sortir de l’UMD, en vue d’une hospitalisation sous contrainte dans un établissement de santé ordinaire. Cependant, les juridictions de l’ordre judiciaire (5) , comme les juridictions administratives, se sont déclarées incompétentes pour se prononcer sur la contestation de la décision préfectorale (refusant la sortie du patient de l’UMD). C’est dans ce contexte que l’intéressé a saisi une nouvelle fois le tribunal administratif de Bordeaux, afin d’obtenir, d’une part, l’annulation de la décision préfectorale refusant sa sortie de l’unité, d’autre part, l’injonction sous astreinte faite à cette autorité de procéder à la mainlevée de la mesure. Bien inspiré, le juge administratif a cette fois saisi le Tribunal des conflits (TC), juridiction spéciale chargée de trancher les conflits de compétences entre les deux ordres de juridictions, soit lorsque les deux juges s’estiment compétents pour connaître du litige (conflit positif), soit, au contraire, lorsqu’aucun d’eux ne reconnaît sa compétence (conflit négatif), comme c’était le cas en l’espèce.
Compétence du juge judiciaire
Pour le TC, « la juridiction judiciaire est (…) compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le pré- fet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ». À l’appui de sa solution, le juge des conflits rappelle que, depuis 2011, le juge judiciaire est compétent pour contrôler la régularité et le bien-fondé des décisions administratives d’admission ou de maintien sous un régime de soins psychiatriques sans consentement, cet office étant confié au juge des libertés et de la détention (JLD). L’article L. 3216-1 du Code de la santé publique (CSP) dispose en outre que « la régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire ». Les trois chapitres visés concernent les différentes hypothèses d’admission d’une personne en soins psychiatriques sans consentement, mais pas directement, en revanche, le placement en UMD, qui constitue une décision administrative distincte et dont le régime est fixé par les dispositions réglementaires précitées au sein d’un titre consacré à l’« organisation » des secteurs et établissements psychiatriques. Si l’on s’en tient à une lecture formelle et littérale du CSP, donc, la compétence du juge judiciaire ne relève pas de l’évidence, sans l’intervention du législateur pour l’instituer explicitement, comme ce fut le cas pour le contrôle des décisions médicales de mises à l’isolement ou sous contention (6). Malgré tout, la solution du TC mérite sans doute d’être approuvée au regard d’un double impératif de bonne administration de la justice et de garantie des droits fondamentaux du patient. Privative de liberté, la décision préfectorale d’admission en UMD est certes distincte mais néanmoins très étroitement liée à l’admission sous un régime de soins sans consentement, et il apparaît préférable d’en confier le contrôle au même ordre de juridiction.
Et en pratique ?…
La décision du TC laisse cependant demeurer plusieurs interrogations. Au sein de l’ordre judiciaire, à quel juge le patient devra- t-il s’adresser ? Le TC entend-il implicitement confier le contrôle des admissions ou maintiens en UMD au JLD? Et ce dernier pourra-t-il alors, même sans texte, prononcer la mainlevée de telles décisions, par exemple au moment du renouvellement de la mesure d’admission en soins sans consentement ? Le patient devra-t-il, au contraire, s’adresser à un autre juge de l’ordre judiciaire, le cas échéant dans le cadre d’une action en référé? Et si la décision préfectorale se révèle illégale, le juge aura-t-il le pouvoir de faire cesser une situation illicite en prononçant directement la sortie du patient de l’UMD ou pourra-t-il « seulement » prononcer une injonction sous astreinte à l’endroit de l’autorité administrative ? Une nouvelle intervention du législateur pourrait être nécessaire pour clarifier ces différents points.
Paul Véron
Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes, Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)
1– TC, 3 juillet 2023, n° 4279.
2– Affaire Romain Dupuy : l’impossible sortie d’UMD… P. Véron, Le Droit en pratique, Santé mentale n° 270, septembre 2022.
3– CSP, art. R. 3222-1, II et R. 3222-6.
4– CSP, art. R. 3222-1.
5– CA Bordeaux, ord. 17 juin 2022, n° 22/02802 ; 12 mai 2021, n° 21/00649.
6– CSP, art. L. 3222-5-1.