« De trop nombreuses atteintes à la liberté d’aller et venir » en psychiatrie

FacebookTwitterLinkedInEmail

« C’est assez navrant, mais l’inertie est un mur auquel se heurtent les alertes incessantes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), sur l’état déplorable des lieux qu’il visite, prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative, locaux de garde à vue, centres éducatifs fermés pour enfants. Certes, il y a bien quelques progrès. Mais trop peu. L’État semble endormi » Ainsi s’exprime Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, en introduction du rapport d’activité 2022. En psychiatrie, elle dénonce les effets délétères du manque de soignants et des atteintes trop nombreuses à la liberté d’aller et venir, avec des pratiques très hétérogènes, en particulier concernant les mesures d’isolement et de contention.

En 2022, les contrôleurs se sont rendus dans 118 lieux de privation de liberté et y ont collectivement passé 394 jours. Ainsi, 158 « unités » de contrôle ont été réalisées au cours de 115 visites d’établissement et 3 vérifications sur place concernant 28 établissements pénitentiaires, 20 établissements de santé mentale, 10 hôpitaux recevant des personnes privées de liberté (chambres sécurisées), 5 centres de rétention administrative (CRA) et zones d’attente, 3 centres éducatifs fermés (CEF), 5 tribunaux, 43 locaux de garde à vue et de rétention douanière, et une procédure d’éloignement forcé. Les contrôleurs ont passé 132 jours en établissement de santé, 169 jours en prison, 56 jours en local de garde à vue, 10 jours en centre éducatif fermé et 17 jours en rétention administrative ou zone d’attente. 

Concernant les établissements de santé mentale, toutes les visites du CGLPL ont mis en lumière, à divers degrés, la situation déplorable de la démographie médicale et soignante. Partout les effectifs sont tendus et souvent insuffisants. Il en découle des emplois vacants, des lacunes dans l’organisation des soins, une prévention des crises insuffisante qui conduit à des hospitalisations en urgence que l’on aurait pu éviter, des soins somatiques irréguliers, un recours excessif à la contrainte et un accompagnement sommaire des patients.

« Toutes les visites du CGLPL dans des établissements de santé ont mis en lumière, à divers degrés, la situation déplorable de la démographie médicale et soignante »

La liberté d’aller et venir, et les restrictions imposées dans la vie courante, est très variable selon les lieux. Un lien encore trop systématique est fait entre le statut d’admission des patients et leur hébergement en unité fermée : les soins sans consentement n’imposent en aucune manière d’héberger qui que ce soit dans des locaux fermés. L’inverse n’est cependant pas vrai : les patients en soins libres doivent être exclusivement affectés dans des services ouverts.
Le recours à l’isolement et à la contention demeure l’objet de pratiques encore très diverses. Certains des établissements visités se sont résolument engagés dans la voie de la réduction en développant l’analyses des statistiques et même parfois au-delà, en effectuant des analyses des pratiques, en réduisant le nombre des chambres d’isolement, en appliquant avec rigueur la notion de « dernier recours » et en développant la prévention de la crise ou de la violence. Des politiques de réduction de l’isolement et de la contention se développent, certes, mais ne concernent pas encore la majorité des établissements visités : les uns semblent ne pas s’en préoccuper, d’autres ne les mettent en œuvre qu’en apparence et d’autres enfin les appliquent avec détermination mais sans effet.

Dans ses recommandations, le CGLPL rappelle « qu’il incombe au juge saisi d’une mesure d’isolement ou de contention de vérifier que le patient concerné était préalablement placé sous le régime des soins sans consentement. A défaut, la mesure litigieuse ne pourra qu’être invalidée. En tout état de cause, on ne saurait sérieusement soutenir qu’un patient, quel que soit le statut que l’on a choisi pour lui, puisse être regardé comme simultanément « libre » et « enfermé, voire attaché sur un lit ». La contrainte de fait doit suffire à entraîner au minimum l’application de toutes les garanties que le législateur a prévues pour la contrainte de droit« .

Le CGLPL observe en outre que nombre d’unités de soins intensifs en psychiatrie (USIP) du territoire – « des unités qui se développent dans le silence des textes « – sont utilisés pour l’accueil de patients détenus, ce qui revient à institutionnaliser pour eux une forme de prise en charge dérogatoire qui réduit la diversité des soins et alourdit les contraintes, sans lien avec leur état clinique.

Quant aux chambres sécurisés, « il reste anormal que ces locaux soient vétustes, dépourvus de lumière ou d’aération naturelles, irrespectueux de l’intimité, notamment des soins et de la toilette, et dépourvus de miroir, d’horloge, de télévision ou de la moindre lecture. On ne doit pas s’étonner que ces locaux aient en eux-mêmes un effet dissuasif de l’acceptation des soins« . L’usage des moyens de contrainte et plus généralement le poids des dispositifs de sécurité ne sont guère encourageants non plus pour le patient. La méconnaissance du statut des détenus et l’ignorance de leur diversité par les soignants, alliées à une conscience inégale des exigences du secret médical, ne favorisent pas non plus une évolution vers un meilleur respect des droits. « Aucune considération de droit ni de sécurité ne peut justifier de telles lacunes qui ne résultent que du fait que personne ne se préoccupe vraiment de les combler« .

« L’année 2022 est marquée par une légère augmentation du nombre de saisines relatives à la psychiatrie et de la part des médecins et du personnel médical, tous lieux confondus, malgré une baisse globale du nombre de saisines. La part des saisines en provenance des personnes concernées par une hospitalisation reste importante (57% du total des saisines reçues relativement aux hospitalisations psychiatriques). »

La pédopsychiatrie, en grande difficulté

Le rapport s’alarme également sur la situation des « enfants enfermés ». Au milieu des difficultés générales de la psychiatrie, un secteur se distingue en effet par une difficulté plus grande encore : la pédopsychiatrie, marquée par une grave carence de moyens et de graves défaillances qui peuvent être directement regardées comme résultant de l’absence de statut légal de l’enfant hospitalisé. « Ainsi, alors qu’est constatée l’inquiétante progression du nombre d’enfants et d’adolescents en proie à la maladie mentale, la pédopsychiatrie s’est enfoncée dans la crise. Au point d’avoir disparu de certains départements. Il arrive, dans certains services psychiatriques, que le CGLPL découvre des gamins mélangés aux adultes, avec tous les périls qui peuvent en découler. D’autres, placés à l’isolement ou sous contention, c’est-à-dire, attachés par des sangles à un lit ou à une chaise, parfois sans possibilité d’appeler à l’aide. Quant aux autistes, faute d’institutions spécialisées, il est fréquent de les rencontrer, confinés, des années, en psychiatrie, où ils n’ont rien à faire. Certes un plan se prépare au ministère de la santé, mais sans guère d’ampleur.« 

Le CGLPL rappelle dans ses recommandations « que la fiction juridique selon laquelle les enfants sont nécessairement hospitalisés en soins libres revient à les priver de toute protection au motif que la volonté du titulaire de l’autorité parentale est supposée être celle de l’enfant. Il réitère donc sa demande que tout enfant hospitalisé en psychiatrie sur décision du titulaire de l’autorité parentale bénéficie de garanties comparables à celles mises en place pour les soins sans consentement. »

« La pédopsychiatrie, secteur en grande difficulté, est marquée par une grave carence de moyens et de lourdes défaillances qui peuvent être directement regardées comme résultant de l’absence de statut légal de l’enfant hospitalisé. »

Des prisons qui débordent

Un surpopulation observée, comme chacun le sait, et la vétusté des conditions d’hébergement qui peut, en elle-même, constituer une réelle maltraitance. La protection des détenus contre les violences a donné lieu à plusieurs constats d’insuffisance alarmants. Et les appels à l’aide sont nombreux ! « Résultat d’une indifférence générale qui, au fil du temps, a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30% des prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques. »

« Tous les établissements ne sont pas concernés par l’ensemble de ces dysfonctionnements mais aucun n’en est tout à fait exempt, il n’existe pas de prison où il n’est porté atteinte à aucun droit ».

• Rapport d’activité 2022 – Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce rapport, publié aux éditions Dalloz, est disponible en librairie. Il sera téléchargeable sur le site du CGLPL à partir du 22 juin 2023 (délai conventionnel accepté pour ne pas interférer avec les actions promotionnelles de l’éditeur).

Crédit photo – Vidéosurveillance des chambres d’isolement dans un hôpital psychiatrique (© T. Chantegret pour le CGLPL)