« Dessiner la réalité crue du métier de psychiatre, c’est aussi faire œuvre de témoignage »

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Si la psychiatrie est un art, l’art peut-il aider le psychiatre dans son exercice ? Thomas Le Guillou, psychiatre au CHRU de Brest, explore cette question à travers un travail graphique sur les interactions entre corps soignants et corps soignés d’une part, et le métier de psychiatre d’autre part. Du très bel ouvrage qui interroge tout un chacun en son for intérieur : et moi, dans tout ça ?

« Le psychiatre soigne avec ses tripes autant qu’avec ses compétences. » Thomas Le Guillou

Une éthique de l’intersubjectivité

Entre identification, empathie, rejet, contre-transfert, la question de la santé mentale ne s’arrête jamais à l’histoire singulière du patient : cette dernière entre en résonance avec celle de son soignant. Ces interrogations permettent à l’auteur de réfléchir autour d’une éthique de l’intersubjectivité dans une rencontre entre deux êtres autour de la santé mentale et du parcours de vie de l’un et de l’autre. Cette éthique de l’intersubjectivité donne alors tout son sens à la psychiatrie et la prise en charge de la santé mentale comme co-construction et compagnonnage (cheminer ensemble), certes parfois difficiles et complexes. Mais dans ce cheminement commun se développent le plaisir et la passion de son métier, ce qui lui confère un sens encore plus profond par rapport à celui qui arrête la psychiatrie à ses seuls fondements scientifiques.

« La psychiatrie est donc toujours tributaire de son époque, il faut le clamer avec force. Elle est tributaire
des représentations qui circulent à un certain moment sur le fait psychique, le fait psychiatrique, et
des discours de la science, de la norme sociale et sexuelle ».
Thomas Le Guillou

Une éthique du témoignage

La rencontre, le partage, et le cheminement commun vers le rétablissement du sujet ouvrent la porte à des aveux qui se chuchotent tout bas pendant la visite. Pour l’auteur, ces chuchotements sont perçus comme des éléments annonciateurs des changements de fond qui s’opèrent dans une société que le psychiatre perçoit en première ligne. Le témoignage des patients trouve alors un corps et une voix à travers le psychiatre qui, fort de leur souffrance, devient ainsi un lanceur d’alerte social. Malgré sa position discrète à l’avant-poste des bouleversements sociaux, l’auteur souligne cependant toute la difficulté de la psychiatrie française à se faire entendre, obligée de cacher sa part de sensible dans le soin pour ne fonctionner que sur l’evidence-based medicine. Il souhaite également, à travers ce travail, sensibiliser par le dessin sur l’état délétère de la psychiatrie française en 2023.

« Dessiner la réalité crue de ce métier, c’est aussi faire œuvre de témoignage, d’interpeller la société française sur le fait que, comme disait Jean Jaurès : « Le service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas » » Thomas Le Guillou

Thomas Le Guillou s’interroge sur le sens de ce travail : « Qu’apporte la représentation graphique des paroles d’un patient aux métiers du soin ? Après quatre ans et près de 70 croquis de patients, je comprends maintenant que j’ai travaillé inconsciemment à éduquer ma subjectivité à travers la caresse du pinceau. Représenter l’autre, c’est réparer symboliquement la relation : la sublimer, la soigner quand elle est blessée et faire l’expérience subjective du plaisir à être avec l’autre. Le psychiatre se reconnaît et se construit en tant que tel à travers ses patients. Qu’apporte cette pratique à la société civile ? Représenter, c’est également témoigner : une forme de résistance face à un travail qui aliène et provoque de la souffrance dans le corps médical comme chez nos patients. Un questionnement également, toujours renouvelé, sur la frontière si ténue entre le normal et le pathologique, et enfin une tentative artistique de replacer le patient dans une trajectoire de vie singulière par le truchement des infinies nuances du visage humain. Au terme de ce travail, je gage que chacun répondra en son for intérieur à cette question : et moi, dans tout ça ?« 

•Ligne claire en eaux troubles – Réflexions sur le métier de psychiatre à travers le dessin, Auteur et dessins Thomas Le Guillou, Chaire de Philosophie à l’Hôpital Savoirs Expérientiel. Janvier 2022, Consultation libre (PDF).