Réhumaniser l’hôpital public !

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Dans un avis, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) appelle à remettre l’éthique et les valeurs au centre de la santé. Deux principes éthiques majeurs doivent guider la rénovation qui s’annonce : un accès égal pour tous au système de santé et de soins (principe de justice sociale) et le respect inconditionnel des personnes soignées et de ceux qui les soignent (principe de respect de la personne).

Alors que la refondation du système de santé est à l’agenda politique, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) propose dans son avis 140 de « Repenser le système de soins sur un fondement éthique ». Cet avis vient d’être remis au ministre de la santé et s’inscrit dans le prolongement de l’avis n° 137 « Éthique et santé publique » qui, en juillet 2021, insistait sur les risques de tensions entre l’éthique individuelle du soin et l’éthique liée à une juste allocation de ressources limitées. Il appelait de ses voeux une participation citoyenne à une réflexion collective et la mise en oeuvre d’états généraux de la santé.

L’avis 140 est centré principalement sur la situation tendue de l’hôpital public qui est « le symptôme le plus saillant de la crise du système de soins ». Le CCNE, qui a fait du système de soins et de la santé publique, un thème deréflexion prioritaire, consacrera de futurs travaux aux autres secteurs, tels les établissements médico-sociaux, ou encore la prévention et promotion de la santé.
Dans cet avis, le CCNE analyse la manière dont la pandémie de Covid-19 a contribué à révéler une crise morale de l’hôpital public et la souffrance des professionnels de la santé. Il analyse la persistance, voire l’aggravation, de certaines inégalités en matière de santé et la crise de confiance de la population. Il s’intéresse enfin aux racines sociales, historiques, économiques et politiques de cette crise morale avant de proposer des pistes en vue de la rénovation du système de soins et place les valeurs de l’éthique au centre de celle-ci.

La pandémie de Covid 19 a mis en lumière la vulnérabilité du système de soins et les faiblesses de la santé publique en France ainsi que dans nombre de pays considérés comme ayant des systèmes de santé robuste. Les racines de la crise historique traversée par l’hôpital et les soignants sont anciennes et multiples. Elles sont liées à l’organisation du système de soins, à une « technicisation » de plus en plus importante de la pratique soignante avec un modèle économique qui privilégie les actes techniques au détriment du temps de la relation de soin, ou encore aux transformations structurelles de notre société – son vieillissement, le rapport au travail …S’y ajoutent des salaires peu élevés au regard de l’engagement demandé, une approche de la santé trop focalisée sur le traitement de la maladie plutôt que sur une prise en charge globale de la personne.

Si ces considérations ont été souvent dénoncées par les professionnels et les usagers, elles ne peuvent résumer à elles seules les causes de l’ébranlement de notre système de santé. A une crise structurelle s’ajoute une crise morale aboutissant à une crise globale, « systémique ». Les soignants interrogent le sens profond de leur métier et témoignent d’états « de souffrance éthique » – voire de souffrance psychique- s’estimant contraints d’agir parfois en opposition avec les valeurs éthiques du soin sans espaces pour en parler. Cette « crise du respect du patient » est exprimée en retour par le malade qui se plaint du manque de temps et d’écoute qui lui est consacré. « Le temps des soignants croise de moins en moins celui des malades », selon le CCNE. Un patient – par ailleurs citoyen – qu’on n’a pas suffisamment sollicité pendant la pandémie alors que sont en place les outils de la démocratie sanitaire. Par les inégalités qu’elle a révélé face à la maladie, sa prévention et sa prise en charge, la pandémie de Covid a enfin montré que notre système de santé, pourtant fondé sur une approche égalitaire, n’est pas toujours adapté aux plus fragiles.
Tous ces éléments concourent à une crise sans précédent des fondements de notre santé collective et il est urgent pour en sortir, selon le CCNE, de remettre l’éthique au coeur de la santé. « Nous affirmons par cet avis que la réponse à la détresse des soignants comme à celle des usagers passe nécessairement par le positionnement de l’éthique comme socle et fondement des actions à mener ».

Reconnaître que ce respect de l’humain est une valeur essentielle au bon fonctionnement du système de santé, c’est reconnaître l’importance du temps consacré à la relation et donc la nécessité, d’une part de revaloriser les métiers du soin, d’autre part de disposer de suffisamment de professionnels de santé sur le terrain. Le CCNE appelle donc à ce que les métiers du soin, et en particulier ceux qui sont au contact quotidien des patients (techniciens, aides-soignantes et soignants, infirmières et infirmiers), bénéficient de conditions d’exercice (salaires, qualité de vie au travail, nombre de postes par service, perspectives d’évolution de carrière etc.) qui les rendent attractifs et témoignent de la reconnaissance par la société de la valeur de ce travail et de la dimension relationnelle du soin.


Deux principes éthiques majeurs doivent guider la rénovation qui s’annonce : un accès égal pour tous au système de santé et de soins (principe de justice sociale) et le respect inconditionnel des personnes soignées et de ceux qui les soignent (principe de respect de la personne). Cette vision suppose de réintroduire et de reconnaitre le temps de l’écoute des patients et de développer le temps de la réflexion éthique individuelle et collective pour des orientations et des décisions justes. Le CCNE propose ainsi que l’éthique sorte des cercles dédiés pour irriguer tous les niveaux du soin, des organisations et des politiques de santé publique, et développer ainsi une culture du questionnement éthique. La refonte du système de santé devra nécessairement s’accompagner d’une dynamique plus forte de la démocratie en santé. Le CCNE appelle à nouveau à l’organisation d’états généraux pour une éthique de la santé publique.
Cet avis sera discuté avec des soignants, des chercheurs des responsables de la santé et des associations de patients le 8 décembre après-midi à l’HEGP, lors du premier Forum Santé sciences, société, organisé conjointement par le CCNE, l’ENS et l’AP-HP.

Avis 140 « Repenser le système de soins sur un fondement éthique. Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives »