Droits fondamentaux des patients… l’EPSM de Vendée sommé d’engager un plan d’actions

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La visite de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Vendée – Centre hospitalier Georges Mazurelle de La Roche-sur-Yon – par six contrôleurs du 27 juin au 6 juillet 2022 a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux. Les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ( CGLPL) qui ont suivi ont été prises en application de la procédure d’urgence (article 9 de la loi du 30 octobre 2007) et adressées au ministre de la santé et au garde des sceaux, ministre de la justice. Les observations du ministère de la santé ont été publiées au Journal Officiel du 27 octobre 2022.

Le CGLPL rappelle que l’EPSM de Vendée prend en charge les patients de quatre des cinq secteurs de psychiatrie générale adulte du département et des deux inter-secteurs de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ; il dispose de 822 lits et places dont 341 lits d’hospitalisation à temps complet répartis dans douze unités dont quatre unités d’admission, trois unités pour enfants et une pour adolescents. L’établissement dispose des moyens budgétaires et immobiliers suffisants pour assurer la prise en charge des patients dans des conditions matérielles dignes mais n’est pas épargné par de très graves difficultés de ressources humaines : dix-huit postes de psychiatres sont vacants et quarante d’infirmiers. Les médecins sont insuffisamment présents dans les unités ; les patients sont souvent vus de façon expéditive au cours d’entretiens dont la durée peut être inférieure à cinq minutes. Dans une partie de l’unité intersectorielle (soins de suite) et à l’« EHPAD/USLD » – service dont le statut est tellement flou qu’on ignore si les personnes qui y sont hébergées doivent être considérées comme patientes ou résidentes – les médecins ne se déplacent au mieux qu’une fois par mois.

Les atteintes aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées sont graves et généralisées


Les patients, même admis en soins libres, ne peuvent aller et venir librement – Les portes de cinq des douze unités d’hospitalisation sont fermées alors que toutes accueillent indifféremment des patients admis en soins libres et en soins sans consentement. Dans les unités fermées, l’accès au parc est conditionné à la disponibilité des soignants pour ouvrir la porte, mais aussi à des restrictions temporelles (autorisation de sortir uniquement une heure par jour, par exemple), à des conditions d’accompagnement (par un proche, par un soignant) et peut même faire l’objet d’interdictions totales de sortie, inscrites dans les « plans de soins » de chaque patient, y compris pour des patients en soins libres. Dans les unités ouvertes, la liberté d’aller et venir n’est pas davantage garantie et les mêmes restrictions ou interdictions sont imposées aux patients, quel que soit leur statut d’hospitalisation. Ces restrictions, de même nature que dans les unités fermées, portent sur les sorties hors unité comme à l’extérieur du site de l’établissement. Les patients libres d’aller et venir hors de leur unité constituent l’exception et plusieurs patients, y compris en soins libres, sont interdits de toute sortie.

Les patients en soins libres doivent pouvoir circuler librement à l’extérieur de l’unité ou de l’établissement et les restrictions imposées aux patients hospitalisés sans leur consentement doivent être justifiées par leur état clinique, adaptées et régulièrement réévaluées.

La protection de l’intégrité physique et de l’intimité des patients n’est pas assurée – Dans les trois unités de gérontopsychiatrie (qui comptent 100 lits), les patients ne peuvent fermer à clé ni leur chambre ni leur espace sanitaire – comprenant des toilettes, un lavabo et une douche – y compris dans les huit chambres doubles de ces unités. Toutes les portes des chambres sont percées d’une ouverture non occultable permettant d’observer, depuis le couloir, l’intérieur de la chambre. L’intimité des patients n’est pas respectée lorsqu’ils se lavent ou se rendent aux toilettes ; leur tranquillité ne l’est pas davantage, ni le jour ni la nuit, alors que certains sont hospitalisés pendant des mois, voire des années. Plusieurs personnes hospitalisées se sont plaintes de l’intrusion d’autres patients dans leur chambre, même la nuit, et ont exprimé un sentiment d’insécurité. La tutrice d’une patiente a déposé plainte contre un autre patient pour des faits d’agression sexuelle qui se seraient déroulés en avril 2022, dans l’espace sanitaire de la chambre de la victime. Au cours d’une mesure d’isolement, les patients peuvent être privés d’accès aux toilettes, situation indigne et dangereuse qui peut en outre aggraver les symptômes psychiatriques aigus. La sécurité des patients placés à l’isolement ou sous contention n’est pas assurée en cas d’incendie, le service de sécurité incendie n’étant pas systématiquement informé de ces mesures ; dans certaines unités, les équipes ignorent même que ce service doit être prévenu.

Les patients doivent avoir la possibilité de verrouiller l’accès de leur chambre et de leur espace sanitaire. Les ouvertures (fenêtres ou oculus) dans les portes des chambres doivent être supprimées ou pouvoir être occultées par les patients. Le service de sécurité incendie doit être systématiquement avisé de tout placement à l’isolement. Les patients attachés doivent systématiquement faire l’objet d’un examen somatique régulier, conforme aux préconisations de la Haute Autorité de santé, pendant toute la durée de la mesure. Un dispositif d’appel accessible aux patients attachés doit impérativement être mis en place sans délai.

Adultes et mineurs sont soumis à des mesures d’isolement et de contention nombreuses, durables et souvent illégales


Les pratiques d’isolement et de contention sont considérées par toutes les catégories de personnel comme des « prescriptions » et non des décisions médicales susceptibles de recours – Les termes d’isolement « thérapeutique » et de « chambres de soins intensifs » continuent d’être employés, y compris dans les protocoles supposés mettre en œuvre la récente réforme, comme le protocole modifié le 8 avril 2022 intitulé « Protocole de prescription et de suivi : des soins en isolement thérapeutique – des soins sous contention mécanique ».

Les mesures d’isolement et de contention ne peuvent être qu’exceptionnelles et motivées par la seule nécessité de « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui ». Les motifs disciplinaires ou sécuritaires sont exclus et les « prescriptions si besoin », prohibées, doivent immédiatement cesser.

Les décisions d’isolement et de contention sont trop souvent infondées et leurs motifs illégaux – certains confinant à des motifs disciplinaires – En contradiction des termes de la loi qui limitent à 12 heures la durée de la mesure, de nombreuses décisions initiales d’isolement ou de renouvellement sont prises pour une durée de 24 heures. Les mesures d’isolement ou de contention ne sont pas toujours décidées par un psychiatre, notamment la nuit puisqu’aucun ne participe à la garde. Le protocole prévoit que le médecin non psychiatre ou l’interne – non médecin – qui décide de la mesure prenne l’attache du psychiatre d’astreinte supposé la confirmer ou non. En pratique, il est impossible de contrôler la réalité de ce contact, encore moins le délai dans lequel il intervient, ou la forme qu’il prend (confirmation téléphonique ou déplacement pour examen du patient) après la décision d’isolement. Les contrôleurs ont ainsi relevé dans un « avis médical motivé » accompagnant la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) en vue d’un renouvellement de mesure d’isolement : « risque de fugue, trouble du comportement » sans autre précision. Ou encore, dans un « avis médical motivé » relatif au renouvellement d’une contention : « l’évaluation clinique ce jour en chambre d’isolement montre un patient non-coopérant ne souhaitant pas s’exprimer sur sa situation actuelle d’où la nécessité des contentions ».

Les mesures d’isolement et de contention se déroulent régulièrement dans des espaces non dédiés et hors de tout cadre légal, pour les mineurs et les majeurs – L’établissement dispose de onze chambres d’isolement, appelées localement « chambres de soins intensifs », dont l’agencement est, dans l’ensemble, adapté à leur utilisation. Néanmoins, de nombreux patients sont enfermés dans des chambres dites « sécurisées », « d’observation » ou « d’apaisement » – dont certaines sont aménagées sommairement – et qui sont donc de fait utilisées comme chambres d’isolement. Les chambres hôtelières sont également utilisées pour des isolements, souvent la nuit entière. Alors que l’isolement et la contention ne peuvent être légalement mis en œuvre que dans le cadre de soins sans consentement et sous des conditions strictes, les contrôleurs ont constaté que des personnes en soins libres étaient régulièrement isolées, sans modification de leur régime d’hospitalisation. Tel est notamment le cas à l’« EHPAD/USLD » et au centre de soins pour adolescents. Les droits des mineurs ne sont pas davantage respectés à ce titre que ceux des autres patients. 

Isolement et contention ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète admis en soins sans consentement et doivent être réalisées dans des espaces aménagés à cet effet. Le recours à ces pratiques chez les enfants et les adolescents doit être évité par tout moyen. Les mineurs hospitalisés à la demande des titulaires de l’autorité parentale ne sont pas placés sous le régime juridique des soins sans consentement et ne peuvent donc faire l’objet d’une mesure d’isolement ou de contention.

Les outils d’observation des pratiques d’isolement et de contention et la politique de l’établissement en vue d’en limiter le recours sont très insuffisants


Les systèmes d’enregistrement mis en place sont inadaptés, rudimentaires, multiples, souvent mal maitrisés par les utilisateurs et, en conséquence, mal renseignés. Certains isolements ne sont pas enregistrés, dans des proportions qui ne sont évidemment pas quantifiables. Les contrôleurs ont constaté que certains isolements en chambre hôtelière ne sont pas tracés. Enfin, les « temps fermés en chambre de moins de 2 heures » des « plans de soins », l’ensemble des mesures d’isolement et de contention des patients hébergés à l’« EHPAD/USLD » et celles des patients de la seule unité pour enfants pratiquant l’isolement ne font jamais l’objet d’aucun enregistrement, quelle que soit leur durée. La quantification des isolements et des contentions reste donc très incertaine.

Le recours à l’isolement et à la contention doit être réduit. A cette fin une réflexion doit être engagée et des actions menées pour permettre le développement d’alternatives. Le bon enregistrement de l’ensemble des mesures d’isolement et de contention doit être assuré et l’effectivité des politiques de réduction assurée. L’ensemble du personnel doit recevoir une formation sur le régime juridique de ces pratiques et sur les droits fondamentaux des personnes hospitalisées en soins libres ou sans consentement.

 L’accès au droit des personnes hospitalisées sans leur consentement n’est pas garanti


Ce contexte préoccupant d’atteintes multiples à leurs droits se trouve aggravé par les obstacles que les patients rencontrent dans leur accès au droit. L’hospitalisation complète sous le régime des soins sans consentement est une privation de liberté ; les textes qui la régissent sont d’interprétation stricte et prévoient qu’elle ne peut être mise en œuvre que dans un certain cadre, pour des motifs précis et limités et dans des délais contraints. Or, l’administration de l’EPSM de Vendée et la communauté soignante ignorent nombre des dispositions de la loi du 5 juillet 2011 : le patient n’est pas considéré comme un sujet de droits.

 L’information due aux patients en soins sans consentement est incomplète et tardive


A leur arrivée, les personnes en soins sans consentement ne reçoivent aucun document les informant de leur situation juridique, de leurs droits, des voies de recours qui leur sont ouvertes et des garanties offertes. Un document intitulé « Information relative à vos droits dans le cadre de vos soins sous contrainte » a pourtant été rédigé en octobre 2021 mais le bureau des usagers chargé de transmettre aux secrétariats des unités les documents à notifier aux patients n’en a pas connaissance. Un grand nombre de soignants déplorent ne pas être suffisamment formés pour assurer l’information des patients.

Un livret d’accueil comportant des informations à jour doit être donné à chaque patient dès son admission. Les patients en soins sans consentement doivent, à chaque étape de la procédure, recevoir toutes les informations relatives à leur statut, leurs droits, ainsi qu’aux moyens de formuler des requêtes auprès de l’établissement et des autorités hiérarchiques, judiciaires, de tutelle ou de contrôle. A ce titre, ils doivent être clairement informés des motifs de la mesure dont ils font l’objet par la transmission d’une copie des certificats médicaux qui en sont le support ou par la reprise de leurs termes. Ces informations doivent leur être transmises sur un support qu’ils peuvent conserver.

Le cadre juridique des soins sans consentement n’est pas respecté


En premier lieu, les décisions d’admission ou de maintien en hospitalisation complète du directeur sont préparées par les agents du bureau des usagers. Lorsque le patient arrive en dehors des horaires de fonctionnement de ce bureau, les décisions sont rédigées à sa réouverture, qui peut intervenir au mieux le lendemain matin pour un patient admis après 17 heures, trois jours plus tard lorsque l’admission a lieu un vendredi soir, voire quatre si le lundi est férié. La décision est alors antidatée pour couvrir ces défaillances et correspondre à la date de l’entrée réelle du patient.
En deuxième lieu, dans de nombreuses situations, les termes des certificats médicaux mensuels sur lesquels s’appuient les décisions de privation de liberté sont de purs et simples copiés-collés – parfois sur de très longues périodes – des libellés précédents. Dans l’un des dossiers étudiés, l’ensemble des certificats mensuels établis entre décembre 2020 et juin 2022 sont rédigés en termes identiques (les certificats médicaux antérieurs, déjà archivés, n’ont pu être consultés). Bien que cette pratique ait été relevée à plusieurs reprises par la commission départementale des soins psychiatriques sans consentement (CDSP), des médecins ont choisi de ne pas répondre à ses courriers en dépit de l’obligation légale qui leur incombe.
En troisième lieu, selon plusieurs témoignages de soignants, de nombreux certificats médicaux rédigés en vue de la prolongation mensuelle de patients hébergés dans l’unité « EHPAD/USLD » sont établis sans que le médecin ait rencontré le patient et en parfaite contradiction des termes du document, le signataire y certifiant « avoir informé oralement [Mr ou Mme X] du projet de décision le concernant, ainsi que de la possibilité qui lui est offerte de présenter ses observations par tout moyen adapté et de manière appropriée à son état », cette dernière information étant, de toute évidence, inexacte.

Il doit être mis fin aux hospitalisations arbitraires : les décisions d’admission en soins sans consentement et les certificats médicaux qui les fondent doivent être établis dans les conditions et les délais légalement prévus, dûment motivés et remis aux patients. Les patients doivent être à même de présenter leurs observations à chaque étape de la procédure. L’hospitalisation complète de patients en programme de soins doit être immédiatement levée.

L’accès des patients au juge n’est pas assuré


De très nombreux patients hospitalisés sans consentement ne comparaissent pas à l’audience du juge des libertés et de la détention, alors que celle-ci se tient sur le site de l’hôpital. Les certificats médicaux attestant de l’incompatibilité de l’état de certains patients avec leur audition par le JLD sont des documents types non motivés, alors que le code de la santé publique exige qu’ils le soient et précise que les motifs doivent être médicaux et faire obstacle à l’audition du patient dans l’intérêt de ce dernier. De plus, ces certificats médicaux sont souvent rédigés plusieurs jours avant la date de l’audience, jusqu’à quatre ou cinq jours, alors que l’état de santé du patient, s’il est réellement en cause, peut évoluer favorablement dans l’intervalle. Le juge ne se déplace jamais dans les unités pour rencontrer ces patients. Ceux-ci n’ont pas davantage l’occasion de s’entretenir avec leur avocat qui ne cherche pas non plus à les voir. De même, dans le cadre du contrôle du JLD relatif aux renouvellements des mesures d’isolement et de contention, les avis médicaux motivés, joints à la saisine du JLD par le directeur, précisent systématiquement que l’état de santé du patient « ne lui permet pas d’être entendu par le juge des libertés et de la détention », sans que cette précision ne soit étayée par un argument clinique. Enfin, lorsqu’elles ne sont pas directement remises aux patients par le magistrat, les ordonnances du JLD sont parfois notifiées tardivement, voire jamais, aux patients, ce qui compromet l’exercice d’un recours.

L’effectivité de l’accès au JLD, le respect du contradictoire et des droits de la défense doivent être garantis. Les ordonnances du JLD doivent être notifiées dans les plus brefs délais et permettre au patient d’exercer ses recours.

Un plan d’actions demandé à l’EPSM de Vendée, accompagné et contrôlé avec la plus grande attention par l’ARS Pays de la Loire


Suite à ces recommandations, l’EPSM de Vendée s’est engagé à poursuivre sa réflexion sur l’évolution de ses pratiques en matière d’isolement et de contention vers une conformité aux dispositions législatives, réglementaires et de bonnes pratiques, en associant étroitement la communauté médicale, notamment sur la motivation de ses décisions. Le plan d’actions engagé par l’établissement va en effet nécessiter une adhésion de la collectivité soignante pour une nécessaire évolution des pratiques. L’ARS Pays-de-Loire prendra toute sa part pour accompagner l’établissement dans cette évolution, en privilégiant les mesures de prévention des décisions d’isolement-contention et en facilitant la mise en oeuvre médicale des mesures quand elles restent nécessaires, notamment chez les adolescents. En complément, la structure régionale d’appui et d’expertise « Qualirel » Pays de Loire a été sollicitée pour un soutien renforcé. Il a été demandé par ailleurs que l’établissement engage très rapidement une réflexion sur l’utilisation des chambres dites « sécurisées ». La direction de l’établissement a en effet confirmé que ces chambres pouvaient être fermées à clé. A ce titre, elles pourraient en effet être considérées comme de véritables chambres d’isolement. Le plan d’actions de l’établissement, dans ses différentes composantes, sera accompagné et contrôlé avec la plus grande attention par l’ARS Pays de la Loire, qui va mettre en place un comité de suivi à cet effet. L’établissement à d’ores et déjà été incité à plus échanger sur les difficultés de mise en oeuvre des modalités de cette réforme avec les établissements de santé voisins.

Contrôleur général des lieux de privation de liberté – Recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 19 août 2022 relatives à l’établissement public de santé mentale de Vendée à La Rochesur-Yon (Vendée) – Journal Officiel, 27 octobre 2022 (PDF)