Sexopsy, une étude pour mieux prendre en charge la santé sexuelle des patients schizophrènes et bipolaires

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Au CH Saint-Jean de Dieu, l’étude Sexopsy va explorer l’absence de prise en charge de la santé sexuelle des patients en psychiatrie et dégager des préconisations pour les infirmiers et aides-soignants. Premiers résultats attendus fin 2022.

Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé sexuelle, lorsqu’elle est considérée de manière positive, s’entend comme une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que comme la possibilité de vivre des expériences sexuelles agréables et sûres, exemptes de coercition, de discrimination et de violence. » (2021). L’OMS précise également les conditions de ce bien-être : capacité d’accès à une information de qualité, possibilité d’organiser ses connaissances au service de sa santé, accès à des soins ainsi qu’un milieu permettant l’épanouissement de cette santé sexuelle. La santé sexuelle et affective est un vaste domaine qui concerne « l’orientation sexuelle et l’identité de genre, l’expression sexuelle, les relations et le plaisir. Elles ont également trait à des éléments néfastes ou à des pathologiques telles que les infections sexuellement transmissibles (IST), les grossesses non désirées, les dysfonctionnements sexuels, les violences sexuelles. » (OMS, 2021).

Les personnes vivant avec une pathologie psychiatrique lourde souffrent d’une santé sexuelle et affective moins bonne que celle de la population générale. La notion de pathologie psychique lourde renvoie au concept anglo-saxon de « severe mental illness » (SMI), selon lequel une personne souffrant d’une maladie psychique lourde à des incapacités si importantes qu’elle impacte sa vie jusque dans ses besoins primaires. La schizophrénie et la bipolarité sont définies comme des maladies psychiques lourdes (Heller et al., 1997). Les troubles psychotiques sont en effet une réelle barrière pour créer et maintenir une relation affective (White et al., 2021). Les personnes ayant des problèmes de santé mentale auraient ainsi un plus haut taux de rupture de relation que la population générale (McCann et al., 2019). Les femmes sont plus impactées, notamment par le fait que les partenaires décrédibilisent leurs plaintes dans la relation, les étiquetant comme des « problèmes liés aux troubles mentaux » (Mizock et al., 2019). Les femmes qui souffrent d’une pathologie psychique lourdes sont également plus à risque de subir des violences sexuelles. Selon une étude de Khalifeh et al. (2015) au Royaume-Uni, 40% de la patientèle féminine en contact avec un service de santé mentale avait vécu un viol ou une tentative de viol à l’âge adulte, et 10% une violence sexuelle dans les 12 mois précédents (Khalifeh et al., 2015).

On retrouve également des chiffres plus élevés chez les hommes souffrants de pathologies psychiatriques lourdes. 13% d’entre eux seraient aussi victimes de violences domestiques l’année précédente contre 5% en population générale. Les personnes ayant des problèmes de santé mentale sont aussi plus à risque d’infection sexuellement transmissibles (IST) (Rosenberg et al., 2003) et plus vulnérables face à l’exploitation sexuelle (Higgins et al., 2006). L’impact de cette mauvaise santé sexuelle majore également le risque suicidaire. En effet, chez les femmes ayant un trouble psychique lourd et qui ont été agressées sexuellement à l’âge adulte, on retrouve un risque de tentative de suicide (TS) de 53%, contre 3,4% dans la population générale (Khalifeh et al., 2015). Les minorités sexuelles (gays, lesbiennes, hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et bisexuelles) ainsi que de genre (personnes transgenres) souffrent, de par leur identité, d’une discrimination permanente et d’une stigmatisation, appelé aussi stress minoritaire (Meyer, 2007). Ainsi, on retrouve dans le public lesbien, gay, bisexuel, transgenre (LGBT) un nombre plus important de problèmes liés à la santé mentale et au suicide (Meyer et al., 2021).

La sexualité, sujet tabou pour les soignants

Dans un contexte thérapeutique, les personnes souffrant de pathologies psychiques lourdes peuvent également présenter des effets secondaires importants liés aux traitements. Ainsi, une étude états-unienne (2010) déclarait que plus de 43% des personnes sous traitement antipsychotique souffraient de troubles sexuels pharmaco-induit (trouble de l’érection, de la lubrification ou baisse de la libido) (Muench & Hamer, 2010). Selon différentes études, les troubles de la fonction sexuelle induite par les antipsychotiques se retrouveraient chez 38 à 86% des personnes qui souffrent de schizophrénie (Bobes et al., 2003), (Uçok et al., 2007), (Montejo et al., 2010).

Pour autant, le dialogue sur ces questions reste difficile du côté des paramédicaux comme celui des patients. La sexualité est en effet un sujet peu abordé par les soignants en santé mentale (Deegan, 2001 ; Earle, 2001). Par ailleurs, 70% des usagers qui ont des troubles sexuels n’en auraient jamais parlés à leur psychiatre (Ucok et al., 2008). Ce silence sur ces questions est alimenté par le fait que l’histoire  des personnes avec des problèmes de santé psychique est semée de malentendus, de stigmatisation, de mythe et de négativité (Higgins et al., 2006).

Fort de ces constats et en appui de la stratégie nationale en santé sexuelle 2017-2030 et de ses recommandations, tel que l’axe IV objectif 2 : « prendre en compte la sexualité des personnes en situation de handicap […] » et l’objectif 3 : « prendre en compte la sexualité des personnes ayant une maladie chronique » ainsi que l’axe V, objectif 2 : « promouvoir la recherche interventionnelle et l’innovation en santé » (Ministère des affaires sociales et de la santé, 2017) les montre ; il nous semble pertinent de diligenter une étude pour explorer les représentations, perceptions et attitudes des infirmiers en psychiatrie (IDE) et des aides-soignants (AS) en psychiatrie face à la santé sexuelle et affective des personnes vivant avec une pathologie psychique lourde. En effet, si plusieurs études ont été menées sur le sujet, notamment dans les pays anglo-saxons (Higgins et al., 2008), (Quinn et al., 2011), il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude mettant en lumière la représentation des soignants en psychiatrie sur ce sujet.

Nous partons de l’hypothèse que les soignants ne parlent pas de sexualité avec les patients en psychiatrie car :

  • ils ne se sentent pas à l’aise avec ces questions, par méconnaissance des droits des patients, du fait de représentations négatives sur le sujet et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale
  • ils peuvent penser que cet aspect de la santé ne relève pas de leur mission, (illégitimité à parler de ce sujet avec le patient).

L’étude SEXOPSY permettra :
– de percevoir les « grilles de lecture » des infirmiers et aides-soignants exerçant en psychiatrie sur la santé sexuelle et affective des usagers souffrant d’une pathologie psychique lourde ;
– d’isoler les freins et facilitateurs à la prise en compte de la santé sexuelle et affective de ces usagers par les infirmiers et aides-soignants exerçant en service de psychiatrie.

À l’issue de cette étude, des préconisations seront proposées pour permettre aux infirmiers et aides-soignants d’être plus disponibles et compétents sur ces questions afin de mieux accompagner les usagers de soins en demande, tel que le recommande Quinn & Happel (Quinn & Happell, 2012).

Cette étude sera effectuée par Julien Martinez, Infirmier en santé mentale et communautaire, dans le cadre de ses études d’infirmier de pratique avancée (IPA), sous la direction d’Elise Vérot, PhD de la faculté de médecine de Saint Étienne. Elle a reçu le soutien de l’hôpital Saint Jean-de-Dieu, fondation Action Recherche Handicap et santé Mentale (ARHM) Lyon 8 et a été validée en comité d’éthique le 18 mai. Les premiers résultats sont attendus fin 2022.

Bibliographie
– Bobes, J., Garc A-Portilla, M. P., Rejas, J., Hern Ndez, G., Garcia-Garcia, M., Rico-Villademoros, F., & Porras, A. (2003). Frequency of sexual dysfunction and other reproductive side-effects in patients with schizophrenia treated with risperidone, olanzapine, quetiapine, or haloperidol : The results of the EIRE study. Journal of Sex & Marital Therapy, 29(2), 125‑147. https://doi.org/10.1080/713847170
– Deegan, P. E. (2001). Human Sexuality and Mental Illness : Consumer Viewpoints And Recovery Principles. 17.
– Earle, S. (2001). Disability, facilitated sex and the role of the nurse. Journal of Advanced Nursing, 36(3), 433‑440. https://doi.org/10.1046/j.1365-2648.2001.01991.x
– Heller, T., Roccoforte, J. A., Hsieh, K., Cook, J. A., & Pickett, S. A. (1997). Benefits of Support Groups for Families of Adults with Severe Mental Illness. American Journal of Orthopsychiatry, 67(2), 187‑198. https://doi.org/10.1037/h0080222
– Higgins, A., Barker, P., & Begley, C. M. (2006). Sexual health education for people with mental health problems : What can we learn from the literature? Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, 13(6), 687‑697. https://doi.org/10.1111/j.1365-2850.2006.01016.x
– Higgins, A., Barker, P., & Begley, C. M. (2008). ‘Veiling sexualities’ : A grounded theory of mental health nurses responses to issues of sexuality. Journal of Advanced Nursing, 62(3), 307‑317. https://doi.org/10.1111/j.1365-2648.2007.04586.x
– Khalifeh, H., Moran, P., Borschmann, R., Dean, K., Hart, C., Hogg, J., Osborn, D., Johnson, S., & Howard, L. M. (2015). Domestic and sexual violence against patients with severe mental illness. Psychological Medicine, 45(4), 875‑886. https://doi.org/10.1017/S0033291714001962
– McCann, E., Donohue, G., de Jager, J., Nugter, A., Stewart, J., & Eustace-Cook, J. (2019). Sexuality and intimacy among people with serious mental illness : A qualitative systematic review. JBI Evidence Synthesis, 17(1), 74‑125. https://doi.org/10.11124/JBISRIR-2017-003824
– Meyer, I. H. (2007). Prejudice, Social Stress, and Mental Health in Lesbian, Gay, and Bisexual Populations : Conceptual Issues and Research Evidence. 39.
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– Ministère des affaires sociales et de la santé. (2017). Stratégie nationale de santé sexuelle agenda 2017-2030. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_sante_sexuelle.pdf
– Mizock, L., Mar, K. L., DeMartini, L., & Stringer, J. (2019). Relational Resilience : Intimate and Romantic Relationship Experiences of Women with Serious Mental Illness. Journal of Relationships Research, 10. https://doi.org/10.1017/jrr.2019.2
– Montejo, A. L., Majadas, S., Rico-Villademoros, F., Llorca, G., De La Gándara, J., Franco, M., Martín-Carrasco, M., Aguera, L., Prieto, N., & Spanish Working Group for the Study of Psychotropic-Related Sexual Dysfunction. (2010). Frequency of sexual dysfunction in patients with a psychotic disorder receiving antipsychotics. The Journal of Sexual Medicine, 7(10), 3404‑3413. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.01709.x
– Muench, J., & Hamer, A. M. (2010). Adverse Effects of Antipsychotic Medications. American Family Physician, 81(5), 617‑622.
– OMS. (2021). Santé Sexuelle. https://www.who.int/fr/health-topics/sexual-health#tab=tab_1
– Quinn, C., & Happell, B. (2012). Getting BETTER : Breaking the ice and warming to the inclusion of sexuality in mental health nursing care. International Journal of Mental Health Nursing, 21(2), 154‑162. https://doi.org/10.1111/j.1447-0349.2011.00783.x
– Quinn, C., Happell, B., & Browne, G. (2011). Talking or avoiding? Mental health nurses’ views about discussing sexual health with consumers. International Journal of Mental Health Nursing, 20(1), 21‑28. https://doi.org/10.1111/j.1447-0349.2010.00705.x
– Rosenberg, K. P., Bleiberg, K. L., Koscis, J., & Gross, C. (2003). A survey of sexual side effects among severely mentally ill patients taking psychotropic medications : Impact on compliance. Journal of Sex & Marital Therapy, 29(4), 289‑296. https://doi.org/10.1080/00926230390195524
– Uçok, A., Incesu, C., Aker, T., & Erkoç, S. (2007). Sexual dysfunction in patients with schizophrenia on antipsychotic medication. European Psychiatry: The Journal of the Association of European Psychiatrists, 22(5), 328‑333. https://doi.org/10.1016/j.eurpsy.2007.01.001
– Uçok, A., Incesu, C., Aker, T., & Erkoc, S. (2008). Do psychiatrists examine sexual dysfunction in schizophrenia patients? The Journal of Sexual Medicine, 5(8), 2000‑2001. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2008.00890.x
– White, R., Haddock, G., Varese, F., & Haarmans, M. (2021). “Sex isn’t everything” : Views of people with experience of psychosis on intimate relationships and implications for mental health services. BMC Psychiatry, 21, 307. https://doi.org/10.1186/s12888-021-03262-7