Que veut dire exercer dans le champ de l’addictologie ?

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L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publie le Tendances n°150 sur l’analyse des pratiques des intervenants en addictologie : que veut dire exercer en centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et en centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) ?

L’enquête s’appuie sur un travail d’observation ethnographique et d’entretiens individuels et collectifs réalisé entre 2019 et 2021 (En dehors des périodes de confinement intervenues lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19) dans deux CSAPA et deux CAARUD. Elle montre la transdisciplinarité et la flexibilité des structures et des intervenants auprès des usagers. Si, parfois, le rapport de l’usager aux produits consommés n’est pas abordé lorsque la personne ne le souhaite pas, la gestion plus large de ses problématiques relationnelles et émotionnelles est, elle, systématique. Ce numéro décrit donc les pratiques d’intervention en CSAPA et en CAARUD et les discours des professionnels sur leurs pratiques d’accueil et d’accompagnement des usagers. Des pratiques partagées entre professionnels pour placer l’usager au cœur de l’accompagnement. Quels que soient leur parcours antérieur et leur profession, les intervenants mettent en place un accompagnement au plus proche de l’usager, en définissant et réajustant les objectifs avec lui. La pratique est fondée sur la sensibilité et la singularité des situations plutôt qu’à partir d’un cadre d’intervention fixe.

Julie, psychiatre en CSAPA, témoigne : « J’ai un exemple marrant d’un patient avec qui le premier objectif, c’était qu’il change les lacets de ses chaussures. (…) Déjà, ça avait créé un jeu avec lui (…). Mais il y avait aussi cette idée qu’en fait n’importe quel petit changement, quelque soit l’endroit du changement (…) permet de réouvrir des possibles.« 

Alessandro, infirmier en CSAPA, explique : »(…) Si la personne, je ne sais pas moi, elle est en train de se faire battre par son mari et qu’elle est à la rue, on ne va pas lui demander d’arrêter de consommer de l’héro (…). Donc, il faudrait déjà régler tout ce qui est autour (…). »

Pour s’adapter aux besoins de l’usager, les professionnels se mobilisent indépendamment de leur profession d’origine, se forment en fonction de besoin émergeant du terrain et appliquent différents outils selon les situations.

Eclairages sur les limites de l’accompagnement

Néanmoins,les structures sont plus ou moins ouvertes et les intervenants plus ou moins flexibles dans l’accompagnement. Les divergences entre « haut seuil » ou « bas seuil » d’exigences ne sont pas liées aux mandats des structures. Elles semblent imbriquées aux émotions difficiles produites par certaines situations de travail. Elles traduisent également des divergences éthiques et morales sur les imites de l’accueil. Certains profils d’usagers, comme par exemple ceux qui présentent des comorbidités psychiatriques, suscitent de nombreux débats entre les intervenants: peut-on les accueillir ? Doit-on continuer à les suivre ? Ne seraient-ils pas mieux accompagnés ailleurs ?

Milena, assistante sociale en CAARUD, témoigne : « Il avait une pathologie un peu psychiatrique… Plusieurs fois, on a été l’orienter vers l’hôpital et ils nous avaient répondu un truc horrible, en disant «cette personne-là, sa place, elle n’est pas en psychiatrie, ce mec-là c’est un psychopathe et sa place est en prison entre quatre murs (…) ». Ça avait été discuté en équipe et (…) enfin nous, on n’a pas de psychiatre, on a une psychologue, mais, enfin voilà, on ne peut pas se permettre, au vu des autres usagers, de faire entrer cet usager-là, il ne relevait pas de notre dispositif. Ça a été de longs échanges, en réunion, savoir où l’orienter, quoi faire. Du coup, après, on lui a refusé l’accès. »

Répondre systématiquement aux demandes des usagers est parfois considéré comme contraire à la relation d’aide. Limiter les services proposés ou suspendre un accompagnement sont dans certains cas perçus par les intervenants comme davantage bénéfique à l’usager ou nécessaire pour préserver l’équilibre émotionnel de l’intervenant, voire de l’ensemble de l’équipe.

Le Tendances n°150 souligne les écarts entre le « travail prescrit » (mandat institutionnel et recommandations de bonnes pratiques) et le « travail réel » réalisé au quotidien. Il montre une adaptation aux situations concrètes et aux personnes rencontrées. Les pratiques professionnelles se révèlent transdisciplinaires et sur-mesure pour œuvrer au mieux-être et à la santé globale de l’individu. La difficile prise en charge de certains profils d’usagers et les moyens disponibles questionnent les limites du rôle des structures d’addictologie et des pratiques professionnelles de ses intervenants.

A retenir

Les pratiques des intervenants en addictologie sont structurées autour d’un travail relationnel conceptualisé en sociologie de l’intervention sociale . Il peut être défini comme un « genre professionnel de l’intervention auprès d’autrui (…) fondé sur une éthique pratique, ancrée dans la sensibilité et la singularité des situations plutôt qu’attachée à des principes abstraits prédéfinis« . Quelle que soit l’identité professionnelle, l’intervenant met en place un accompagnement au plus proche de l’usager, caractérisé par une coproduction de la relation car « accompagner, c’est faire un bout de chemin avec l’autre, et non pour ou malgré lui ; lequel est considéré par là même comme une « personne à part entière », un « acteur » plutôt qu’un « patient »« .

En résumé
Fondé sur une enquête qualitative menée auprès d’intervenants en addictologie, ce numéro de Tendances montre d’abord que, au-delà des identités professionnelles et des mandats des structures, les interventions auprès des usagers placent l’impératif d’adaptation à l’usager au coeur d’une activité de soutien. Celle-ci est pensée comme un accompagnement de la personne au jour le jour dans la gestion de ses difficultés relationnelles, émotionnelles et dans son rapport aux produits consommés. Ensuite, ce numéro met au jour des divergences entre les intervenants et entre les structures concernant l’accueil et le suivi d’usagers parfois perçus comme « non conformes ». Ces divergences mettent en lumière des seuils variables à partir desquels les intervenants estiment que l’accompagnement doit être limité ou suspendu.

En savoir plus : Tendances n°150 – Les pratiques professionnelles dans le champ de l’addictologie (PDF)Auteurs : Maitena Milhet, Caroline Protais, Cristina Díaz Gómez, Fabrice Guilbaud