Décret sur l’irresponsabilité pénale, « un regrettable malentendu »…

N° 268 - Mai 2022
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Précisant la procédure d’application de la loi sur l’irresponsabilité pénale, un décret suggère que l’interruption d’un traitement pourrait constituer un fait volontaire à l’origine de l’abolition du discernement.

La loi du 24 janvier 2022 (1) a exclu l’application du mécanisme de l’irresponsabilité pénale pour abolition du discernement dans l’hypothèse où l’auteur des faits a consommé volontairement des substances psychoactives dans le but de commettre l’infraction. Elle a également créé de nouvelles infractions spécifiques en cas « d’intoxication volontaire » ayant précédé un homicide, un viol ou des violences. Cette loi a été adoptée dans le contexte particulier de l’affaire Halimi, cette sexagénaire rouée de coups puis défenestrée par un de ses voisins en proie à une bouffée délirante suite à une consommation massive de cannabis. La Cour de cassation avait jugé l’auteur des faits irresponsable pénalement sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal, qui prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Selon elle, « la circonstance que cette bouffée délirante soit d’origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis, ne [faisait] pas obstacle à ce que soit reconnue l’existence » d’un tel trouble à l’origine d’une abolition du discernement (2).

Une procédure complexe

Le décret d’application du 25 avril (3) traite principalement de la procédure de renvoi de l’auteur d’infraction devant la juridiction de jugement, en reprenant pour l’essentiel des éléments figurant déjà dans la loi. D’une part, le renvoi devant la juridiction compétente de l’auteur d’une des infractions d’intoxication volontaire suppose au préalable que le juge d’instruction ait déclaré la personne irresponsable pénalement pour le crime ou le délit ayant suivi cette intoxication (art. D. 47-37-1 CPP ; 706-139-1 CPP). D’autre part, lorsque le juge d’instruction, à l’issue de l’information judiciaire, estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait et qu’il existe une ou plusieurs expertises concluant que le discernement de la personne était seulement altéré, il est tenu de renvoyer l’auteur des faits devant la juridiction de jugement, qui statuera sur l’application de l’article 122-1 (Art. D. 47-37-2 CPP ; 706-120 al. 2 CPP). Cette disposition limite le pouvoir du juge d’instruction en présence d’expertises contradictoires puisque c’est alors à la Cour d’Assises ou au tribunal correctionnel, statuant à huis clos, qu’il reviendra apprécier si l’irresponsabilité pénale peut jouer ou non. Dans cette hypothèse, l’ensemble des experts, et « notamment ceux ayant rendu des avis divergents », devront être entendus à l’audience. Aux Assises, les jurés pourront en particulier leur poser des questions par l’intermédiaire du président (D. 47-37-4 CPP). Selon que l’existence d’un trouble psychique à l’origine d’une abolition du discernement sera retenue ou non, la juridiction rendra une déclaration d’irresponsabilité pénale ou renverra l’affaire à une audience ultérieure pour juger l’auteur des faits.

Interruption par le malade de son traitement

Quelles hypothèses les articles 706-120 et D. 47-37-2 visent-ils lorsqu’ils se réfèrent à une abolition du discernement de la personne qui résulte « au moins partiellement de son fait » ? Le texte réglementaire s’insère dans un chapitre du code intitulé « dispositions applicables lorsque l’abolition temporaire du discernement résulte de son fait et notamment de la consommation volontaire de substances psychoactives ». L’adverbe « notamment » laisse penser que d’autres hypothèses de rôle actif que la consommation de telles substances pourraient être visées. Curieusement, le préambule du décret suggère que pourrait constituer une hypothèse de fait volontaire à l’origine de l’abolition, l’interruption par le malade de son traitement. Cette précision, particulièrement maladroite, a à juste titre suscité les critiques de différents acteurs du champ de la santé mentale, psychiatres et associations de familles de malades. Elle est d’autant plus surprenante que le ministre de la Justice avait lui-même, dans une allocution, affirmé que le cas de l’interruption de traitement ne pourrait être considéré comme un fait privant l’intéressé du bénéfice de l’irresponsabilité pénale. L’interruption par un malade de son traitement peut bien souvent être liée à sa maladie et il est délicat d’y voir un fait volontaire (il en va de même au demeurant des conduites addictives). Elle ne saurait en outre être considérée comme fautive en vertu du principe légal selon lequel tout malade, y compris en psychiatrie, peut refuser un traitement (4). En pratique, l’existence d’un « fait volontaire » à l’origine de l’abolition du discernement dans le cadre de l’article 706-120 al. 2 devra être appréciée par le juge d’instruction. Il serait surprenant que ce dernier se contente d’une interruption de traitement pour caractériser cette condition légale.

Paul Véron
Maître de conférences à l’université de Nantes,
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)

1– Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
2– Cass. crim., 14 avril 2021, n° 20-80.135.
3– Décret n° 2022-657 du 25 avril 2022 précisant les dispositions de procédure pénale résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022
4– L. 1111-4 CSP