« Vice Versa » : rendre visible les invisibles

FacebookTwitterLinkedInEmail

« Vice Versa » c’est d’abord un projet photo singulier et amusant visant à fédérer les acteurs de notre Ehpad nantais. Nous avons en effet choisi d’inverser les rôles entre les résidents et les salariés en prenant le parti de jouer des stéréotypes avec humour et bienveillance. La finalité première était de réaliser de jolis clichés – dans tous les sens du terme – afin de décorer nos locaux avec des tirages esthétiques et décalés qui interpellent, prêtent à sourire, mais aussi à porter un autre regard sur notre établissement. Nous avions également en tête d’éditer un livre photos ainsi que des calendriers à offrir aux résidents en fin d’année, mais également de les proposer à la vente pour permettre de financer un futur projet.

« Vice Versa », fera l’objet d’une exposition photo « pour changer notre regard sur les Ehpad ». Le vernissage aura lieu le jeudi 16 décembre de 16h30 à 19h à la Maison de retraite protestante , à Nantes.

Reflet d’une âme d’enfant !

J’ai lu les enquêtes d’opinions, regardé les médias, interrogé mon entourage et je me suis souvenu de la vision que j’avais avant de travailler ici. Le constat est sans appel : la majeure partie des Français a une mauvaise image des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Tristesse, maladie, dégradation des capacités physiques, isolement, manque de moyens et puis cette mort qui rôde… Miroir de nos peurs face au temps qui passe, reflet du vieillissement que l’on a tant de mal à accepter, souffrance que l’on n’ose imaginer. Soyons honnêtes, les EHPAD ne font pas rêver. Et pourtant, je vous l’assure, les gens qui vivent ici méritent d’être mis en lumière. C’est vous, c’est moi, c’est les gamins qu’ils étaient il y a quelques années, c’est l’écho de l’humanité.

Sous ces enveloppes marquées par la vie se cachent des âmes d’enfants qui ne demandent qu’à vieillir en cultivant l’amour et la joie. Mes collègues soignants vous le diront : le rire est le meilleur des remèdes. Dans ces lieux où l’on écrit le dernier chapitre du roman, gageons que l’épilogue soit heureux.

Marquer une pause en prenant la pose

La plupart du temps ici on court, on écoute, on rassure, on soigne, on répare, on nettoie, on accompagne, on accueille, on cuisine, on aide, on gère, on calcule et on anime. Et souvent on accélère, on quémande, on palie, on rafistole, on se casse le dos, on se casse la tête, on gère l’urgence. Nos conditions de travail difficiles font que nous n’avons plus le temps de prendre du recul et de donner du sens à notre quotidien. Ce projet photo est donc l’occasion de marquer une pause en prenant la pose, de s’arrêter dans cette course folle en faisant preuve d’un grain de folie.

Confondre les rôles, abolir les frontières entre les résidents et les salariés, proposer une action fédératrice, faire jaillir l’humanité de chacun, voilà ce qui se cache sous ce projet… un beau prétexte pour rassembler et s’amuser !

Changer le regard

J’ose croire que ce genre d’action peut participer à changer le regard porté sur nos anciens et ouvrir ce type d’établissement sur l’extérieur. Vieillir fait partie intégrante du cycle de la vie, il nous faut lever les tabous et accepter notre condition humaine avec sérénité et dignité. Nous avons un besoin viscéral, une habitude bien ancrée, de toujours tout catégoriser. L’âge n’est qu’une étiquette de plus. Confondons les rôles, abolissons les frontières entre les êtres, rions, amusons-nous, respectons-nous, rencontrons-nous les uns les autres.

« Regarde-toi un peu. Tu n’as pas honte, d’être si jeune ? À ton âge ! » Daniel Pennac

Construire ensemble

C’est grâce aux bénévoles, aux collègues, aux amis et surtout à Lucile Brosseau – infirmière à l’hôpital St Jacques et photographe – (cf. encadré ci-dessous) que le projet a pu voir le jour. Nous avions envie de décorer un peu l’établissement, s’en est suivi un florilège d’idées quant aux scènes possibles et imaginables. Vous n’imaginez même pas tout ce qui a traversé nos esprits farfelus…Chacun a pu proposer ses idées. Les scènes ont ensuite été soumises aux résidents volontaires pour participer au projet. Certains auraient pu croire qu’il y avait un fossé entre les générations et que les résidents se montreraient réticents à l’idée d’adhérer à cet humour décalé. Que nenni ! Tout le monde était enthousiaste ! La direction, le personnel administratif et les différents corps de métiers ont fait également preuve d’une belle ouverture d’esprit. Ainsi, nous avons pu jouer à fond les clichés et franchement nous marrer !

« J’aime rigoler, alors dès qu’il y a des bêtises à faire, je suis partante ! » Louise, résidente, 90 ans

Il était important pour moi d’être très vigilant vis-à-vis des résidents présentant quelques signes de désorientation. Est-ce que cette personne comprend le projet ? Est-ce que cette action est stimulante
et bénéfique pour elle ? Se montre-t-elle enthousiaste ? Qu’en dit la famille ? Il a ensuite fallu glaner quelques accessoires, coordonner les plannings et préparer les esprits avant le jour J… Dans un établissement où jamais rien ne s’arrête, cela a demandé de la flexibilité et de l’investissement de la part de tous les professionnels. Sans oublier les bénévoles qui ont assuré la continuité des animations pendant les deux séances photos, nous ont partagé leurs idées et fourni des accessoires.

« Sur les clichés, on peut sentir qu’il y avait une osmose entre la photographe et les sujets. Nous étions à l’aise et détendus. Cela nous a mis en valeur. J’ai adoré jouer le psychologue. Je suis partant pour ce genre de projet qui reflète notre humanité. » Émile, résident, 80 ans.

"Vice Versa" : c'était vivant, drôle et fédérateur !
Infirmière depuis 13 ans, j’occupe un poste spécialisé en multimédia au sein de l’Unité de Médiation Thérapeutique à l’hôpital Saint-Jacques au CHU de Nantes. Ce poste me laisse l’opportunité de photographier et filmer les divers projets thérapeutiques, de mettre en place des projets artistiques et de faire des reportages photo et/ou vidéo avec l’intra mais aussi l’extra-hospitalier. Par leur diffusion dans l’hôpital et plus largement dans la cité, ils ont favorisé la reconnaissance du travail des soignants en psychiatrie ainsi qu’à lutter contre la stigmatisation des patients. Depuis quelques mois, je propose des séances photos pour des patients qui ont besoin de travailler sur leur l'image afin de mieux s'accepter tel qu'ils sont. En dehors de l’hôpital, je suis photographe de famille depuis maintenant 10 ans. Je suis convaincue que mettre l’humain et ses émotions au cœur des images apporte une amélioration de l’estime de soi, une meilleure conscience de son corps, permet de resserrer les liens affectifs dans une famille, de laisser trace des souvenirs précieux, de se réconcilier avec son image, de réparer un traumatisme, de se libérer, de lâcher prise, de rire, de jouer... J’ai pu m’apercevoir des effets thérapeutiques de la photographie tant sur les patients et les équipes soignantes que sur les familles que je prenais en photos. Ce sont des rencontres, des confidences, des rires, du partage, des émotions, et du jeu. J’ai donc le projet de proposer ses séances photos dans différentes structures sanitaires et sociales, passant par des projets collectifs ou des prises en charge individualisées en ayant le parti pris de sublimer la différence et les particularités de chaque personne, en adaptant la proposition en fonction de la structure, leurs histoires de vie, leurs parcours de soin, leurs âges, et leurs attentes... Depuis quelques années, je pense ce projet. J'ai donc enfin pu me lancer en dehors de l'institution où je travaille. Etant une amie proche d'Adrien, (animateur de cette EHPAD et initiateur du projet), nous avons pu construire et collaborer ensemble sur ce projet photo "Vice Versa". J'ai adoré ces deux après-midi à la maison de retraite. C'était vivant, drôle et fédérateur ! L'investissement des bénévoles, résidents et professionnels a été remarquable. Le professionnalisme et l'humanité dont fait preuve mon ami Adrien m'a touché. C'est le genre d'expérience que je souhaite revivre encore et encore.
Lucile Brosseau

« J’ai vécu un agréable moment de partage, j’ai observé pendant la séance photo que la résidente a vraiment pris son rôle à cœur. J’ai adoré le projet cela nous permet aux résidents comme à nous les salariés de voir chaque personne sous des angles différents ». Nathalie, lingère

Etre acteur

Pendant les photos, les résidents ont fait preuve de beaucoup d’entrain. Ils se sont volontiers prêtés au jeu en amenant leur touche personnelle. Nous avons pu constater qu’ils étaient heureux de vivre ce moment insolite avec nous et de se mettre en scène. Je crois qu’il y a peut-être habituellement un déséquilibre dans la relation entre les professionnels et les résidents de l’EHPAD. Possiblement, ce projet a pour ambition de permettre aux résidents d’être encore plus dans « le faire » que d’habitude , de se sentir utile et acteur d’un projet , de nous aider, nous soutenir, et de créer avec nous.

Ces photos nous montrent des hommes et des femmes qui prennent soin des autres à leur tour. Preuve d’humour et d’amour entre les générations. Pour certains, ces mises en scène ont fait écho à un métier autrefois exercé. La plupart était tellement dans leur rôle que le jeu d’acteur se poursuivait une fois les photos terminées.

« Pendant ces séances photos, la maladie, la vieillesse, les résidents et les salariés, tout s’est suspendu, pour qu’il ne reste plus que les moments présents à partager et de super souvenirs avec no papys et nos mamies, dont certains se sont déjà envolés« . Audrey, infirmière

Cultiver la joie de vivre…

Derrière ces quelques clichés se cache un rêve : celui de faire évoluer nos esprits face à la course inexorable du temps ; celui de redonner une place à nos ainés dans cette société folle ; celui de montrer que l’art appartient à tous ; celui de prouver que l’humour n’a pas d’âge. Derrière ces quelques illustrations se cache une ambition : celle d’interpeller sur nos conditions de travail, de montrer que les soignants ont besoin de renfort et qu’on leur prête attention. Cultiver la joie de vivre ne devrait-il pas être notre mission première ? Derrière ces quelques tableaux se cache également une volonté : celle de donner envie de nous rejoindre. Que
derrière l’urgence se cache de l’humain, du beau, du poétique et surtout une équipe capable de travailler avec sérieux sans se prendre au sérieux. Derrière ces quelques images se cache une envie : celle d’être soutenu pour poursuivre des projets originaux et insolites. Derrière ce petit projet se cachent plein de gens sympas, des bénévoles, des collègues, des amis, des familles et des résidents. Derrière l’objectif se cache Lucile Brosseau, la photographe idéale pour ce genre d’action. Merci à vous tous d’avoir gardé votre âme d’enfant !

« Ce projet photo m’a permis de découvrir des résidents mais aussi de faire porter notre voix en tant qu’aide-soignante. En effet nous souffrons du manque de personnel ainsi que les résidents. Ceci est un projet pour la résidence mais si cela pouvait avoir un impact tel que nous puissions aider d’autres résidences cela serait merveilleux. Nous avons réalisé ce projet dans la joie et la bonne humeur ce qui ne l’oublions pas est l’essentiel et cela nous a changé de notre quotidien. Un grand merci à Adrien notre super animateur qui nous a permis à tous et toutes de participer ! » Céline, aide-soignante

Adrien Lhote, animateur, Maison de retraite protestante, 4 rue Louis Martin, 44200 Nantes.