06/04/2021

Santé mentale des étudiants : faut-il une pandémie pour révéler leurs difficultés ?

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Avec le confinement et la fermeture des universités liés à la pandémie de covid-19, politiques et médias semblent tomber des nues : nos étudiants n’iraient donc pas bien ? Pourtant, les scientifiques du monde entier étudient la question depuis de nombreuses années puisque 75% des maladies psychiatriques débutent avant l’âge de 25 ans (1).

LE CONSTAT

– Selon une méta-analyse parue en 2013, 30,6% des étudiants (2) présentaient des symptômes dépressifs ;

– En 2016, différents troubles psychiatriques étaient diagnostiqués sur la dernière année au sein de la population étudiante canadienne : schizophrénie (0.4%), trouble bipolaire (1.4%), anorexie (1.3%), insomnie (5.3%)… ;

– 27,2% des étudiants en médecine, population la plus étudiée, présentaient des symptômes dépressifs et 11,1% (3) présentaient des idées suicidaires (selon une méta-analyse de 2016 regroupant 193 études) ;

– Même constat pour les étudiants en odontologie, chez lesquels on retrouve une prévalence de 29% de symptômes dépressifs (4).

En France, une enquête nationale, menée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), révélait en 2016 la présence d’un Épisode dépressif caractérisé (EDC) chez 15% des étudiants (11% des hommes et 17% des femmes) et la présence d’idées suicidaires sur les 12 derniers mois chez 8.4% des étudiants (8.8% des hommes et 8.1% des femmes). Les facteurs associés à des taux plus élevés d’EDC étaient : le sexe féminin, la précarité financière, l’échec aux examens de milieu d’année, les spécialités droit/économie, sciences humaines et sociales, et la médecine.

Comparé à la population générale (données du baromètre santé des Fançais 2017) (5), les étudiants ont ainsi 1.5 fois plus de risque de faire un épisode dépressif (15% vs 10%) et près de 2 fois plus de risque d’avoir des idées suicidaires (8.4% vs 4.7%).

Des études réalisées respectivement en 2017, 2018 et 2019 retrouvent également la présence de symptômes dépressifs chez 25 à 28% des étudiants en santé (médecine, odontologie et pharmacie).

UNE SITUATION ALARMANTE

Dès le début de la pandémie de covid-19, les spécialistes se sont inquiétés de l’impact psychologique des mesures de confinement. L’enquête COVIPREV (7) suit ainsi, depuis mars 2020, l’évolution de la santé mentale de la population générale sur le territoire national. Les résultats soulignent des fluctuations importantes. Les symptômes dépressifs sont retrouvés chez 28,9% des 18-24 ans lors de l’évaluation du 28 au 30 avril 2020, 5.9% des 18-24 ans lors de l’évaluation du 24 au 26 août avant de remonter à 31.5% le 25 novembre. Une étude nationale menée par campagne mail entre le 17 avril et le 4 mai 2020 a obtenu les réponses de 69 000 étudiants (sur 1 400 000 contactés, soit un taux de réponse de 4.3%), non représentatifs de la population totale étudiante. Elle retrouve une prévalence de dépression de 16% et d’idées suicidaires sur les quatre dernières semaines chez 11.4% des étudiants. D’autres enquêtes existent, mais des limites peuvent être émises en regard de la taille de la population étudiée, du taux de réponse et des échelles utilisées (8).

Cette situation alarmante n’est pas une fatalité et, si la France a peu investi jusqu’alors la question, il n’en est pas de même dans le reste du monde.

Selon une méta-analyse parue cette année (incluant 84 études), les interventions psychologiques à l’université pour prévenir et traiter les troubles mentaux des étudiants montrent un bénéfice (thérapie cognitivo-comportementale, mindfullness, relaxation, soutien social…) (9). Mais ces interventions psychologiques ont une efficacité limitée dans le temps (10). Force est de constater que, dès qu’il y a une volonté institutionnelle de soutenir les étudiants, les résultats sont plus stables. À la faculté de médecine de Saint-Louis aux États-Unis, un ensemble de mesures a été pris : réduction de 10% du temps de cours, réduction de la quantité de détails enseignés, heures de cours sur la résilience et l’attention, option pour le dépistage de la dépression et de l’anxiété chez les étudiants… (11) Plus récemment, une étude sur 27 facultés de médecine américaine recense un nombre important d’initiatives en faveur du bien-être des étudiants : activités physiques et sportives mais également aide pour les règles hygiéno-diététiques (arrêt du tabac, nutrition…), conseils financiers, évènements sociaux, soutien psychologique… (12). Le mentorat est également plus développé que dans les universités françaises (13).

Parmi les pays les plus avancés, citons l’Australie. En 1988, des chercheurs ont commencé par s’intéresser à la psychose débutante avec le programme EPPIC (Early Psychosis Prevention and Intervention Centre) puis ont étendu leur activité aux patients à risque en 1995 (PACE clinic). Depuis 2001 et la création du programme Orygen Youth Health, les médecins aident tous les jeunes qui ont besoin d’aide pour leur santé mentale (14).

Le Canada n’est pas en reste. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, la commission de santé mentale canadienne a créé une « norme nationale du Canada sur la santé mentale et le bien-être pour les étudiants du postsecondaire » accompagnée d’une boîte à outils pour aider les universités à la mettre en place (15).

QUID DES INITIATIVES FRANÇAISES ?

Depuis 2006, la France dispose du réseau Transition (16) qui poursuit plusieurs objectifs : promotion de l’information, formation sur les pathologies émergentes et les états mentaux à risque des 15-25 ans, échange d’expériences dans l’organisation et la structuration des réseaux… Le nombre de structures dédiée a progressivement augmenté mais les soutiens restent faibles et hétérogènes. L’enquête de 2016 de l’OVE a été une des premières actions nationales sur la santé mentale des étudiants. Suite à l’enquête des associations d’étudiants en médecine en 2017, un rapport sur la qualité de vie des étudiants (17) a été demandé par le ministère de la santé au Dr Donata Marra, psychiatre.

Ce travail a abouti en 2018 à une déclaration commune des ministres de la santé et de l’enseignement supérieur autour de 15 engagements pour le bien-être des étudiants en santé (18) et à une feuille de route « santé mentale et psychiatrie » en juin (19). Elle prévoyait des actions spécifiques pour les jeunes telles que « former les étudiants aux premiers secours en santé mentale » ou « lettre en place l’expérimentation « Ecout’ émoi » (20) de l’organisation de repérage et prise en charge de la souffrance psychique chez les jeunes de 11 à 21 ans » et également « développer la recherche en psychiatrie ».

Le ministère de la santé a publié un bilan des actions prévues dans la feuille de route.

Pour les étudiants en santé, le Centre national d’aide (CNA) a été créé en juillet 2019 (21) et son action est très appréciée par les associations étudiantes et par les personnels des universités. Pour les étudiants en général, seuls 14 formateurs et 149 étudiants avaient été formés aux premiers secours en santé mentale au 1er décembre 2020. « Ecout’émoi » a été mis en place dans trois régions (Île-de-France, Grand-Est et Pays-de-la-Loire) avec 600 jeunes inclus. Au niveau recherche, le projet PsyCare (22) a été retenu dans le cadre de l’appel à projets « Recherche hospitalo-universitaire en santé » (RHU).

En dehors des actions gouvernementales, d’autres acteurs émergent et sont de plus en plus reconnus.

Il existe également des structures locales : les Bureaux d’aide psychologiques universitaires (BAPU) et les Services de santé universitaire (SSU, SUMPPS ou SIUMPPS) mais qui étaient déjà surchargés de travail avant la pandémie. 

D’autres services de soutien sont basés sur le bénévolat. Chez les étudiants en médecine, les syndicats d’internes ont mis en place des services comme SOS SIHP (23) : « une cellule de soutien psychologique gérée par des internes bénévoles au service de leurs collègues ». Pour l’ensemble des étudiants, se développent des lignes d’écoute, notamment Nightline qui a réalisé un site recensant l’ensemble des dispositifs d’aides pour les étudiants (24) et publié un rapport (novembre 2020) dénonçant le manque de psychologues universitaires (25). Selon eux, la France disposerait d’un psychologue pour 30 000 étudiants en France contre un pour 4 000 en Australie et un pour 1 600 aux États-Unis.

Face à la pression médiatique, le gouvernement propose, depuis le 1er février 2021, un « chèque psy étudiant » avec le remboursement de trois séances. Pour obtenir un accompagnement psychologique, l’étdiant doit tout d’abord conseulter un médecin du Service de santé universitaire (SSU) ou un médecin généraliste, en étant muni de sa carte d’étudiant ou de tout document équivalent. Le médecin l’orientera vers un psychologue partenaire du dispositif auprès duquel l’étudiant prendra rendez-vous. (26)

Pour conclure, la fréquence élevée des troubles psychiatriques chez les étudiants est bien antérieure à la pandémie de covid-19 et, depuis longtemps, chercheurs et médecins, notamment en Australie et au Canada, œuvrent à prévenir l’apparition des troubles et à les prendre en charge de manière optimale.

La France reste très en retard, mais l’aggravation des troubles psychiatriques en raison de la pandémie a mis cette problématique en avant. Des structures existent, les volontaires sont nombreux, il faut maintenant la volonté politique d’investir des moyens pour venir en aide aux jeunes.

Ariel Frajerman, interne en psychiatrie

1– Kessler, R. C. et al. Age of onset of mental disorders: a review of recent literature. Current Opinion in Psychiatry 20, 359–364 (2007).
2– Ibrahim, A. K., Kelly, S. J., Adams, C. E. & Glazebrook, C. A systematic review of studies of depression prevalence in university students. J Psychiatr Res 47, 391–400 (2013).
3– Rotenstein, L. S. et al. Prevalence of Depression, Depressive Symptoms, and Suicidal Ideation Among Medical Students: A Systematic Review and Meta-Analysis. JAMA 316, 2214–2236 (2016).
4– Muniz, F. W. M. G., Maurique, L. S., Toniazzo, M. P., Silva, C. F. & Casarin, M. Self-reported depressive symptoms in dental students: Systematic review with meta-analysis. J Dent Educ 85, 135–147 (2021).
5– Léon, C. la dépression en france chez les 18-75 ans : résultats du baromètre santé 2017 / depression in france among the 18-75 year-olds: results from the 2017 health barometer. 8.
6– Carr, M. J. et al. Effects of the COVID-19 pandemic on primary care-recorded mental illness and self-harm episodes in the UK: a population-based cohort study. Lancet Public Health (2021) doi:10.1016/S2468-2667(20)30288-7.
7– Covid-19 : une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie.
8– Morvan, Y. & Frajerman, A. La santé mentale des étudiants : mieux prendre la mesure et considérer les enjeux. (2020) doi:10.31234/osf.io/8rkuq.
9– Barnett, P., Arundell, L.-L., Saunders, R., Matthews, H. & Pilling, S. The efficacy of psychological interventions for the prevention and treatment of mental health disorders in university students: A systematic review and meta-analysis. J Affect Disord 280, 381–406 (2020).
10– Frajerman, A. [Which interventions improve the well-being of medical students? A review of the literature]. Encephale 46, 55–64 (2020).
11– Slavin, S. J. & Chibnall, J. T. Finding the Why, Changing the How: Improving the Mental Health of Medical Students, Residents, and Physicians. Acad Med 91, 1194–1196 (2016).
12– Dyrbye, L. N. et al. Medical School Strategies to Address Student Well-Being: A National Survey. Acad Med 94, 861–868 (2019).
13– Farkas, A. H., Allenbaugh, J., Bonifacino, E., Turner, R. & Corbelli, J. A. Mentorship of US Medical Students: a Systematic Review. J Gen Intern Med 34, 2602–2609 (2019).
14– Our Story | Orygen Specialist Program. https://oyh.org.au/about-us/our-story.
15– La Norme nationale du Canada sur la santé mentale et le bien-être des étudiants du postsecondaire | Commission de la santé mentale du Canada. https://www.mentalhealthcommission.ca/Francais/norme-etudiants.
16– Le réseau Transition a pour mission de promouvoir à l’échelle nationale l’intervention précoce pour les pathologies émergentes et les états mentaux à risque chez des adolescents et des jeunes adultes, en réunissant au sein d’un même groupe de travail des professionnels impliqués et en favorisant la visibilité d’un réseau de dispositifs de soins dédiés à l’intervention précoce, la formation et l’information de l’ensemble des acteurs et de la population pour améliorer l’accès à des soins adaptés et spécifiques de cette tranche d’âge et de ce stade évolutif. Initié depuis 2006, le Réseau Transition est aujourd’hui intégré à l’Institut de psychiatrie, compte plus de 40 dispositifs sur le territoire national et se développe dans le cadre du programme de recherche hospitalo-universitaire (RHU) PsyCARE. www.institutdepsychiatrie.org/reseau-transition
17– DICOM_Jocelyne.M & DICOM_Jocelyne.M. Rapport du Dr Donata Marra sur la Qualité de vie des étudiants en santé. Ministère des Solidarités et de la Santé https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/documentation-et-publications-officielles/rapports/sante/article/rapport-du-dr-donata-marra-sur-la-qualite-de-vie-des-etudiants-en-sante (2020).
18– 15 engagements pour le bien-être des étudiants en santé. Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid128738/15-engagements-pour-le-bien-etre-des-etudiants-en-sante.html.
19– CAB_Solidarites & CAB_Solidarites. Santé mentale et psychiatrie : Agnès Buzyn présente sa feuille de route pour changer le regard sur la santé mentale et les personnes atteintes de troubles psychiques. Ministère des Solidarités et de la Santé https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/sante-mentale-et-psychiatrie-agnes-buzyn-presente-sa-feuille-de-route-pour (2021).
20– L’expérimentation Écout’Émoi a été lancée en 2018 dans 3 régions (Île-de-France, Pays de la Loire et Grand Est) pour une durée de trois ans. Elle est destinée aux jeune de 11 à 21 ans. Elle a pour objectif principal de mieux repérer des jeunes présentant des signes de souffrance psychique et de leur proposer une prise en charge adaptée et facilitée. Le dispositif prévoit une consultation médicale d’évaluation et la prescription d’un forfait de prise en charge auprès d’un psychologue libéral (sur la base d’un forfait de 12 séances pour le jeune et/ou les titulaires de l’autorité parentale). Le renforcement de la formation en santé mentale, pour les professionnels, et l’inclusion dans un parcours de soins, pour les jeunes, sont coordonnés par les Maisons des adolescents (MDA) de chaque territoire concerné.
21– Missions, organisation | CNA Santé. https://cna-sante.fr/missions-organisation.
22– Initié en 2020, PsyCARE présente 4 objectifs majeurs : identifier des marqueurs de progression de la psychose et les cibles thérapeutiques correspondantes, développer de nouvelles applications permettant un entrainement cognitif et un accompagnement personnalisés, mettre en place une plateforme de traitement des données, dispositif d’aide à la décision pour les professionnels de santé, et sensibiliser le public à la santé mentale et former les professionnels travaillant avec les adolescents et les jeunes adultes, en offrant des ressources online.
23– SOS SIHP a été créé fin 2014-début 2015 par le Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP) pour venir en aide aux internes en souffrance. Il s’agit d’apporter une aide rapide à la demande des internes de manière anonyme et gratuite. L’interne envoie un mail à sossihp@gmail.com et est recontacté. Pour la référence : https://www.sihp.fr/article.php?CleArticle=406.
24– Les services de soutien psychologique étudiant. Soutien Etudiant https://www.soutien-etudiant.info/services-soutien.
25– Rapport – En parler, mais à qui ? | Nightline. https://www.nightline.fr/publications/2020-11-15/rapport-en-parler-mais-qui.
26– Les psychologues partenaires sont référencés sur la plateforme santepsy.etudiant.gouv.fr, issue du site du ministère https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid156797/sante-psy-etudiants-un-dispositif-de-soutien-psychologique-aux-etudiants.html