L’Igas recommande de redéfinir le statut des CMP

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Dans cet imposant rapport, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dresse un état des lieux des Centres médico-psychologiques (CMP). Elle formule une dizaine de recommandations, notamment à l'adresse de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), incitée à élaborer un nouveau statut, basé sur un régime d'autorisation. Points clés.

La ministre des solidarités et de la santé a demandé par lettre du 11 juillet 2019 à l’IGAS de diligenter une mission pour « évaluer et conforter la place des centres médico-psychologiques (CMP) de psychiatrie générale dans les parcours en santé mentale des patients adultes et améliorer la coopération indispensable avec les médecins de ville et les professionnels de santé de proximité. »

A titre d’appréciation globale, la mission souligne « l’extrême diversité des CMP pour adultes », en termes de taille, moyens, manières de travail ou rôle parmi les autres acteurs du soin psychique. Autre élément de contexte: « la mission a été interrompue par la crise liée à la COVID-19, ce qui a conduit à annuler un dernier déplacement, mais elle est quand même parvenue à se déplacer dans quatre régions et à auditionner près de 30 CMP répartis sur 14 départements. »

1- Le CMP, fer de lance de la psychiatrie ambulatoire, s’insère dans une offre de soins inégale qui doit faire face à une demande en hausse

Issus d’une évolution dans l’organisation des soins reposant sur la désinstitutionnalisation et la territorialisation, les CMP sont au cœur de l’offre de soins publique en psychiatrie. Pivot du secteur, le CMP est censé déployer un large spectre d’interventions en articulation avec d’autres acteurs, le tout en proximité. Or cette organisation est mise à mal par une augmentation de la demande de soins psychiques, qu’elle s’explique par un meilleur dépistage, une augmentation de la prévalence des troubles psychiques ou une moindre stigmatisation. (…)  Les territoires présentent cependant des situations très diversifiées. Plus que de refléter des choix voulus en matière d’organisation de soins afin de s’adapter à des besoins différenciés, ces disparités obéissent à des logiques d’implantation exogènes avec lesquelles les acteurs ont dû composer et que les différentes évolutions réglementaires ont eu de la peine à infléchir. L’analyse croisée des différents segments de cette offre montre que, s’il existe des endroits où les faiblesses d’offre d’un type de professionnels sont compensées par les autres, le plus souvent les difficultés se cumulent. Ainsi, dans près d’un quart des départements, tous les types de professionnels sont très faiblement présents.

2– Les différences de moyens des CMP mettent à mal dans certains lieux les principes de proximité, pluridisciplinarité et accessibilité

Selon la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), le nombre de CMP adultes s’élève en 2018 à 1780 soit 3,2 CMP pour 100 000 habitants de15 ans et plus. Cependant, l’absence de définition administrative précise rend ce chiffre peu fiable. La mission préconise à cet égard d’arrêter une définition administrative, juridique et organisationnelle des CMP qui permette d’en recenser le nombre tout en s’assurant d’un minimum de caractéristiques et de moyens communs, en envisageant la possibilité d’un régime d’autorisation fondé sur un cahier des charges à définir collégialement (fonctionnement, organisation, délégations, coordinations…). La mission pointe également des moyens très disparates, « puisqu’il existe des écarts de moyens rapportés à la population entre départements variant d’un facteur 15 pour les médecins et d’un facteur 22 pour le personnel non-médical. De telles différences de moyens se traduisent par des couvertures territoriales plus ou moins denses. » (…) En outre, la pluridisciplinarité n’est, elle non plus, pas toujours assurée. Il existe même des structures où la présence médicale n’est pas maintenue en permanence et où le CMP est piloté par un ou plusieurs infirmiers qui réfèrent des cas les plus complexes à un médecin à distance. (…)

Sur le plan des financements, l’absence de comptabilité analytique ne permet pas de tracer la part de la dotation pour la psychiatrie qui revient au CMP.

3– Le CMP : entre repli sur son cœur de métier et pivot du soin psychique

Le CMP aujourd’hui est le produit d’une évolution historique qui se caractérise par un élargissement progressif de son périmètre d’action (…) Dans les textes, les missions de service public se sont multipliées depuis une vingtaine d’années, des périmètres d’intervention particuliers ayant été signalés ou réaffirmés comme pouvant impliquer les CMP d’amont en aval (soins aux détenus, développement de l’aller-vers, gériatrie, détection des psychoses débutantes…) sans qu’on puisse établir dans quelle mesure cette extension des missions est effective.

En ce qui concerne la production de soins, l’analyse de l’activité des CMP montre que la plupart des CMP ont une vocation polyvalente et reçoivent tous types de patients qui s’y présentent, à la fois les profils sévères et chroniques (psychotiques, schizophrènes, dépressifs, bipolaires…) et les patients présentant des troubles de l’humeur plus classiques et d’intensité variable, des troubles réactionnels ou de l’adaptation et d’autres troubles psychiques d’allure modérée. Tous les interlocuteurs rencontrés par la mission font état d’une augmentation de ce dernier type de patientèle évaluée à près d’un tiers des patients. Pour partie, celle-ci ne relève pas stricto sensu d’une prise en charge pluri-professionnelle mais le choix est souvent fait d’accueillir tous les patients, faute de solutions alternatives (peu de psychologues ou problème de solvabilité) ou par position de principe conformément aux orientations historiques.

En plus de prodiguer des soins le CMP assure également une fonction de pivot et de coordination des acteurs. Il est censé assurer les articulations d’amont, avec le réseau des soins primaires (premier recours non spécialisé incluant, outre les soins psychiques, des actions de prévention, de sensibilisation, de dépistage, et la prise en charge d’une partie des urgences), les professionnels du champ de la santé somatique et mentale (second recours spécialisé, assurant , outre les soins et les suivis non urgents, l’accueil et la prise en charge d’une partie des urgences et des soins non programmés) et, en aval, les professionnels et structures contribuant à la prise en charge du handicap psychique. Cette fonction est réalisée diversement selon les endroits.

Sur l’organisation de l’urgence : il ressort que, faute de moyens ou d’organisation adaptés, la question des urgences et des soins non programmés est diversement appréhendée par les CMP. Il convient de clarifier sur chaque territoire la participation de chacun (CMP, équipes mobiles, secteur privé) à la gestion coordonnée des urgences par le biaisde plateformes.

Sur la prévention : malgré les enjeux qui y sont attachés, la fonction de prévention des CMP est difficile à mettre en œuvre.

Sur le somatique : ce lien essentiel avec les acteurs du somatique est plus ou moins assuré selon les endroits. La mission a noté l’existence de dispositifs innovants: mise en réseaux avec le soin somatique, implantation de CMP dans les maisons pluridisciplinaires…

Sur le social et le médico-social : des dispositifs existent dans certains territoires pour accompagner le patient dans son insertion; il faudrait les systématiser.

4– Enjeux et perspectives d’évolution: la nécessité d’organiser les interventions et de piloter

Ces constats montrent la nécessité d’organiser et de réguler les demandes, à plusieurs niveaux.

• Au niveau des CMP

Il faut, sur le plan du fonctionnement des CMP, s’entendre sur un minimum commun avec des missions précises et réalistes (les priorités en termes de besoin et les obligations en termes d’accessibilité d’offre) en favorisant tant que faire se peut une approche graduée des soins. Un certain nombre de fonctions doivent être a minima assurées, d’autres pouvant faire l’objet d’une délégation (typiquement, et dans la mesure du possible, la prévention dans son ensemble et une partie des soins légers) ou d’un appui coordonné (typiquement, les urgences et les soins non programmés que les structures ne peuvent gérer elles-mêmes). Pour ce faire, il faut que les acteurs puissent s’adosser à une doctrine d’organisation partagée (…).

• Au niveau des territoires

Pour coordonner le fonctionnement des CMP entre eux et avec le reste des structures participant aux soins psychiques, il faudrait dans l’idéal désigner un chef de file suffisamment doté en moyens (CMP référent ou dispositif avancé issu de mutualisations intersectorielles) pour:
– Assurer l’accueil et l’orientation des demandes qui ne trouvent pas de solutions (urgences, soins non programmés, prise en charge des troubles légers à modérés ne relevant pas d’une prise pluridisciplinaire); cela pourrait prendre la forme d’un portail ou d’une plateforme d’évaluation et d’orientation physique;
– Informer et renseigner téléphoniquement les demandes de professionnels, de patients et de leurs proches sur l’offre territoriale (sorte de centre de ressources pour les demandes tout venant et pour les situations relevant de l’expertise);
– Constituer et animer un réseau sentinelle d’amont pour contribuer au repérage et à l’orientation précoce des pathologies émergentes potentiellement graves et chroniques.

La mission a également constaté que le pilotage tant sur le plan organisationnel que stratégique était inexistant et appelle la désignation de chef de file et la construction d’indicateurs d’activité plus solides que ceux existants(et reposant sur une cartographie détaillée de l’offre et des besoins).

En conclusion, la mission considère que les CMP ont démontré leur adaptabilité. Les événements récents liés au COVID-19 confirment que les équipes ont continué à prodiguer des soins en temps de crise, mettant en exergue l’intérêt des moyens d’écoute, d’expertise et de consultation à distance alors même que la crainte de la maladie et les contraintes du confinement ont mis les psychismes en tension en entraînant des troubles importants et/ou durables chez des malades connus mais aussi un accroissement de la demande chez les personnes jusqu’alors bien portantes. Cependant la mission voudrait attirer l’attention sur l’existence de territoires où le manque de moyens humains rend impossible la création des dispositifs d’appui et de structuration de la réponse à la demande. Maintenir une prise en charge équitable dans ces territoires suppose :
De créer de la ressource, en autorisant les psychologues cliniciens volontaires à entrer sous certaines conditions dans les parcours de soins sur la base des expérimentations en cours à la CNAM, en renforçant l’attractivité des postes de psychologues en CMP et également en mobilisant la ressource psychiatrique privée pour mieux «répartir le fardeau»;
– Dans les territoires où tous les segments de l’offre sont déficitaires, de répartir la charge au niveau régional : le département le mieux doté de la région fournirait un appui au département très démuni. Le déploiement de la téléconsultation à partir de centres urbains afin de pallier le manque de moyens de certaines zones péri-urbaines ou rurales est une solution possible. S’agissant des préconisations, l’amélioration des systèmes d’information est à mettre en œuvre sans délai, les mesures relativesà l’évolution des missions et modes d’organisation des CMP devant pour leur part reposer sur un état des lieux plus précis de la situation des territoires.

Les centres médico-psychologiques de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient, S. Dupays et Dr. J. Emmanuelli, Rapport Igas, en pdf