La revue Tendances publie les résultats de la 6e édition de l’enquête ENa-CAARUD, qui décrit les évolutions de la population de ces centres, de ses usages et de ses comportements à risque. En 2019, deux tendances sont notables : la montée très nette de la précarité et la progression importante des usages de cocaïne. Résumé de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Créés par la loi de santé du 9 août 2004, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) constituent un élément essentiel de la politique de réductiondes risques et des dommages (RdRD) développée en France vis-à-vis des consommateurs de substances psychoactives. Ils accueillent des populations souvent fragiles en termes de conditions de vie et dont les usages sont souvent plus problématiques que ceux observés par ailleurs. Les pratiques décrites ne peuvent donc être généralisées à l’ensemble de la population.
Quinze ans après leur mise en place, une nouvelle édition de l’enquête nationale auprès des usagers fréquentant ces structures a été réalisée par l’OFDT en 2019. Les premiers résultats de cette 6e édition d’ENa-CAARUD, dont le terrain s’est déroulé en juin 2019 et à laquelle ont participé 136 structures sur les 154 recensées au moment de l’étude, sont détaillés dans le numéro 142 de Tendances (1). Les principales conclusions sont ici présentées (2).
- Une population vieillissante et davantage précarisée
Si la répartition par sexe demeure stable depuis la première enquête ENa-CAARUD de 2006 (avec environ 80 % d’hommes), le vieillissement des usagers des CAARUD est constant depuis 2006. Ainsi, l’âge moyen des usagers est passé de 33 ans à 41 ans au cours de la période. Par ailleurs, alors que les moins de 25 ans représentaient près d’un cinquième de la population en 2006 et 2008, leur part est de 5,5 % en 2019 tandis que celle des plus de 45 ans a presque quadruplé passant de 9,6 % en 2006 à 37 % en 2019. Les usagers des CAARUD vivent aussi plus souvent seuls : ils sont 7 sur 10 dans ce cas en 2019 (contre un peu plus de 6 sur 10 en 2015) et leurs conditions de logement sont dégradées. Seule la moitié des usagers disposent d’un logement fixe alors qu’ils étaient presque 6 sur 10 en 2015. En outre, un quart des personnes interrogées sont sans domicile fixe. Concernant leurs ressources économiques, plus d’un usager sur 5 déclare ne disposer d’aucun revenu, même illégal. Ces données sont cohérentes avec les constats récents du dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND) de l’OFDT faisant état d’une précarisation croissante des usagers au sein de l’espace urbain (3). On observe également une détérioration de l’accès à la protection sociale : alors qu’elles étaient 8 sur 10 à en disposer en 2015, les personnes interrogées ne sont qu’un peu plus de 8 sur 10 en 2019.
- Forte poussée des usages de cocaïne basée
La cocaïne est le produit le plus souvent déclaré dans les consommations des usagers des CAARUD et la part de ses usagers au cours du mois précédant l’enquête a progressé entre 2015 et 2019 de 57 % à 69 %. Cette hausse est surtout sensible pour la forme basée du produit (4) dont l’usage concerne désormais plus de la moitié des usagers au cours du mois précédant l’enquête (54 %). Les autres substances stimulantes sont beaucoup moins souvent déclarées dans les usages des personnes interrogées. Les usages d’opioïdes au cours du dernier mois sont pour leur part rapportés par 7 usagers sur 10 comme en 2015. Pour cette catégorie de produits, on observe une hausse de la méthadone (thérapeutique ou non) consommée par presque plus d’un usager sur quatre : cette molécule est en 2019 plus fréquemment citée que la buprénorphine haut dosage ou que l’héroïne. Par ailleurs, 10 % des personnes interrogées déclarent dorénavant se l’injecter. L’usage des sulfates de morphine (Skénan®, surtout), mentionné par près un tiers des répondants, augmente également. Les usagers interrogés au sein des CAARUD sont par ailleurs, aux trois quarts, consommateurs de cannabis et la moitié en prennent quotidiennement. Un tiers des usagers boivent de l’alcool tous les jours et un sixième dès le réveil
- Signes de retour à des pratiques d’injection
Globalement deux tiers des usagers reçus en CAARUD (66 %) déclarent avoir pratiqué l’injection au moins une fois au cours de leur vie et 52 % durant le dernier mois. Ces proportions en légère hausse masquent en fait de fortes disparités générationnelles. En effet, avant 35 ans, 42 % des usagers n’ont jamais recouru à l’injection et ils sont 62 % dans ce cas avant 25 ans. À l’inverse, chez les plus de 35 ans, l’injection récente augmente nettement à 52 % (vs 41 % en 2015) des répondants. Il en va de même pour la pratique au cours de la vie (69 % vs 62 %). Ces résultats suggèrent à la fois des retours à l’injection d’usagers qui avaient abandonné cette pratique, mais aussi des initiations plus tardives : 8,4 % des primo injections ont effectivement eu lieu après 35 ans. À propos des substances concernées lors de la première injection, il s’agit à 57 % d’héroïne mais chez les plus jeunes (moins de 25 ans) le produit d’abord injecté est la cocaïne.
- Davantage de dépistages du VIH et du VHC sauf chez les moins de 25 ans
Les résultats de l’enquête montrent le retour à une évolution positive de la proportion de dépistages chez les usagers des CAARUD après le recul observé entre 2012 et 2015. Seules 13 % des personnes interrogées indiquent n’avoir jamais été dépistées pour le virus du sida et 9 % pour celui de l’hépatite C, contre, respectivement, 17 % et 10 % en 2015. Toutefois cette pratique de dépistage est bien moins fréquente chez les moins de 25 ans et diminue encore dans ce groupe : on y dénombre 44 % de non-testés en 2019 contre 24 % en 2015. Après deux décennies de recul régulier, la stabilisation des sérologies positives déclarées au VIH (4,9 % et 6 % chez les injecteurs au cours de la vie), incite à rester attentif aux évolutions ultérieures. S’agissant des prises en charge de l’hépatite C, les données d’ENa-CAARUD témoignent de l’effectivité de la stratégie d’accès universel au traitement et de son impact positif sur la part des usagers se déclarant porteurs du VHC.
Tendances, n°142, OFDT, décembre 2020.
1– Agnès Cadet-Taïrou, Eric Janssen, Fabrice Guilbaud « Profils et pratiques des usagers reçus en CAARUD en 2019) », Tendances n°142, OFDT 2020, 4 p.
2– Voir également une note sur d’analyse sur les rapports d’activité des CAARUD entre 2014 et 2018. Cristina Díaz Gómez, Christophe Palle « Les CAARUD : évolutions récentes (2014-2018) ».
3– Clément Gérome, Michel Gandilhon « Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances récentes (2019-2020) », Tendances n°141, OFDT 2020, 8 p.
4–Transformation de la cocaïne chlorhydrate par l’adjonction d’un composé basique, bicarbonate de sodium ou ammoniaque.