Le confinement est moins long quand on peut utiliser ses compétences et faire quelque chose pour le collectif, quel qu’il soit. Pierre, membre du Groupe d’entraide mutuelle (Gem), propose ses recettes sur Facebook.
Pierre était en maison de repos, à Briançon. Peu importe pourquoi. Il avait quitté Gap pour un mois. Il en était désolé mais ce n’était pas lui qui décidait. Il y avait une place, il n’a pas eu le choix et a du y aller. Il était donc parti, un peu la mort dans l’âme avec l’impression d’abandonner les copains. Nous devions préparer la journée de la Semaine d’Informations en Santé Mentale du 24 mars. Lui qui était toujours prompt à donner un coup de main, à préparer un de ces gâteaux dont il a le secret ne pourrait être avec nous. Avant de partir, il nous avait concocté un « poulet voyageur », une harmonie d’épices, en lien avec le thème du journal : « Voyages, voyages ». On s’était régalé. N’empêche que nous avons le nez creux au Gem. Sortir un journal sur le thème du voyage alors que toute la France se retrouve confinée, faut le faire. A moins que justement parce que la France est confinée …
Revenons à Pierre. Il était donc parti à Briançon. Il regrettait également de ne pouvoir participer au recrutement de la nouvelle animatrice. Il avait lu les C.V. et en avait élu une : « Vous vous souviendrez. Moi c’est Juliette que je choisis. D’abord elle a de l’expérience, et puis elle a travaillé avec des handicapés comme nous. » J’eus beau lui dire que le C.V., les expériences passées, ça ne disait pas comment le courant passerait avec les Gémiens, que seule la rencontre en chair et en os nous apprendrait si nous avions ou non des atomes crochus, il avait insisté. Bien sûr, c’était sa façon d’être avec nous, de participer aux décisions. Il était donc parti à Briançon. Il ne pourrait pas non plus être à l’Assemblée Générale du Gem le 31 mars. Une occasion ratée de préparer des pâtisseries. La sensation de ne pas participer à la vie politique de l’association. Il était donc parti en maison de repos à Briançon. Pour des soins. Parce que c’était la seule période possible. Le 6 mars.
« Les montagnes, ça va cinq minutes »
Hier, le 20 mars donc, mon portable sonne.
« Allo Dominique ?
– Allo Pierre ?
– Je suis rentré à Gap.
– Ils ne voulaient plus de toi ?
– Non c’est moi qui ne voulais plus d’eux.
– Ah bon ?
– Oui, il n’y avait plus d’activités à cause du confinement. On mangeait chacun seul dans sa chambre. Les soignants nous parlaient à peine.
– Ce n’était pas très reposant, alors ?
– Ça tu peux le dire. Les montagnes, ça va cinq minutes. Mais tout seul. J’ai préféré rentrer à Gap. Tant qu’à être confiné autant l’être chez moi. Je peux écouter ma musique.
– Johnny te manquait.
– Ouais on peut dire ça. Non et puis je peux aller sur Facebook. Tu as vu j’ai adhéré au Groupe Facebook du Gem. J’ai participé au jeu.
– Oui, j’ai vu … Le Gem est fermé. On a été obligé. Le recrutement a été annulé.
– Et la journée du 24 ?
– Annulée aussi.
– Et l’Assemblée Générale à la patinoire ?
– Pareil.
– Qu’est-ce qu’on va faire alors ?
– On s’appelle, on s’envoie des textos. On fait des jeux via la page Facebook.
– Ouais, on se débrouille, on bricole quoi !
– C’est ça Pierre, on se débrouille, on bricole. On évite de prendre des risques en sortant n’importe comment, n’importe quand. »
Avoir un rôle à jouer
Bricoler Pierre, ça lui convient. Il ne fait pas seulement la cuisine au Gem, il tond la pelouse, arrose les fleurs, plantes et arbres fruitiers. Il me téléphone régulièrement. Quand il a installé l’application WhatsApp sur son téléphone, j’ai été un des premiers qu’il a appelé. Avec la caméra, il n’allait pas rater ça. L’idée est de créer des temps collectif où ceux qui sont reliés pourraient partager un moment collectif voire convivial.
Comme chacun, Pierre, qui habite un studio au rez-de-chaussée, souffre du confinement. Ses bricolages habituels ne fonctionnent pas. Il s’ennuie. Et quand il s’ennuie il a peur. L’angoisse le gagne.
La maquette du journal m’a donné une idée.
« Pierre, que crois-tu que les Gémiens mangent en cette période de confinement ?
– Je ne sais pas … Du riz, des pâtes, des pommes de terre.
– Ouais, on va tous se retrouver obèses à la fin du confinement.
– Ça se pourrait bien Dominique oui. C’est sûr que les gens n’ont pas le goût à se faire la cuisine. On déprime à rester seuls comme ça. A tourner en rond.
– Est-ce que des conseils culinaires pourraient changer quelque chose selon toi ?
– Pourquoi pas ? Il faudrait qu’ils en aient envie.
– Pierre, est-ce qu’on ne pourrait pas proposer des recettes sur la page Facebook collective ?
– Ce serait une bonne idée, c’est sûr.
– Mais qui pourrait s’en charger ?
– Bah, si je peux écrire les recettes du journal, les préparer pour le repas partagé, je peux proposer mes recettes. Oui Dominique. … J’ai quelques idées.
– On essaie ?
– On essaie. »
La première recette qu’a écrite Pierre était celle des « Champignons farcis à la viande de ma maman ». C’est mon repas de midi. D’autres recettes ont suivi. Le studio de Pierre n’est pas plus grand, mais il s’y ennuie un peu moins. Il a un rôle à jouer : dénicher des recettes pour le groupe, les écrire et les mettre en ligne. Ça suffit à donner un sens à ses journées.
Dominique Friard