N° 239 - Juin 2019

Le handicap psychique vu par le législateur

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La notion juridique de handicap psychique vise plutôt une fonction symbolique que normative. La situation trouvant son origine dans une déficience du psychisme, il conviendrait davantage de parler de «handicap d’origine psychique».

En droit français, la loi du 11 février 2005 (1), définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions (…) mentales, cognitives ou psychiques (…) ».
Si l’altération des fonctions psychiques figure parmi les causes reconnues, le handicap qui en résulte n’est pas spécialement précisé. La loi décrit le concept général de handicap, sans distinction apparente entre ses variétés, et conçu comme une interaction entre la déficience d’une personne et un environnement inadapté (voir encadré). Le terme désigne ainsi la situation de cette personne rendue inapte à des activités usuelles, « normales ». Pour cette raison, la notion de « personne en situation de handicap » n’a pas intégré le langage législatif, l’expression relevant de la tautologie.
Par ailleurs, la définition législative semble exiger que la limitation ou restriction éventuelle soit substantielle, durable ou définitive. Dès lors, se pose la question du caractère cumulatif ou alternatif de ces critères : la restriction doit-elle être substantielle et durable ou définitive ou bien substantielle ou durable ou définitive ? Pour répondre, il conviendrait de rechercher le sens donné à « substantielle » par le législateur. Dans son acception stricte, l’adjectif n’indique pas un critère concret. En l’espèce, la portée de la définition paraît de fait moins normative que symbolique.
À l’époque de l’adoption de la loi, Serge Milano, directeur de cabinet de la secrétaire d’État aux personnes handicapées abondait en ce sens : « C’est la première fois que la loi donne une définition du handicap. Ce n’était pas nécessaire et c’est de faible portée juridique. Mais il fallait, sur le plan symbolique, marquer dans la loi la nouvelle conception qui allait désormais ordonner la politique du handicap. » (2)

Solidarité et compensation du handicap

Si le concept juridique de « handicap » ne définit pas une catégorie globale, normative, donc attachée à un régime général, certaines incapacités générées par la situation de handicap, en revanche, seront évaluées pour être reconnues par les Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), ouvrant ainsi des droits compensatoires à l’incapacité évaluée.
C’est donc à travers l’examen d’incapacités spécifiques que se pose la question du caractère cumulatif ou alternatif des critères, lorsqu’est en jeu l’accès à des droits particuliers. Ainsi, dans l’octroi de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), par exemple, quand l’incapacité de la personne se situe entre 50 % et 79 %, la restriction doit être substantielle « et » durable s’agissant de l’accès à l’emploi. Que cette restriction d’accès à l’emploi soit juste substantielle « ou » seulement durable et ce droit à l’AAH ne peut être ouvert. Il en va de même si la restriction est substantielle « et » durable mais affecte d’autres domaines de la vie de l’intéressé.
En raison de sa faible portée normative, cette définition du handicap ne doit pas être comprise comme arrêtant un sens impératif pour les termes employés. Elle n’oriente ni ne contraint la pratique des professionnels de santé. Aussi, pour résumer, elle peut être présentée comme une « note d’intention » du législateur aux branches de l’administration chargées des diverses reconnaissances et prestations du handicap.
Comme le relève Frédéric Tallier, médecin à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), une telle définition permet aussi (et surtout ?) d’exclure un certain nombre de personnes du champ du handicap et, incidemment, du bénéfice de la solidarité nationale de principe en la matière. Ce sont celles « ne présentant qu’une problématique sanitaire (altération de fonction sans limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société) ou sociale (limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société sans altération de fonction) » (3).

Le handicap "psychique"

L’expression couramment déduite de la loi du 11 février 2005, « handicap psychique », pose problème, car elle semble désigner un état psychique identifié, un certain état de santé mentale. Pour les professionnels de la santé mentale, cette notion peut sembler redondante, voire concurrente d’autres notions. Elle vient s’ajouter, d’une part, à celle de trouble mental identifié par les soignants en psychiatrie et, d’autre part, à celle de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré le discernement, qu’évaluent les experts près les juridictions pénales.
Ces trois notions, en réalité, ne sont guère synonymes et n’ont pas vocation à se concurrencer, puisqu’elles n’interviennent pas dans les mêmes champs et ne servent pas les mêmes objectifs.
Le handicap psychique, en premier lieu, n’est pas le trouble mental. Les « troubles mentaux et du comportement », envisagés par la Classification internationale des maladies (4), forment une catégorie médicale à l’usage des professionnels de la santé mentale, pour faciliter l’établissement d’un diagnostic et l’élaboration d’une stratégie thérapeutique. Les troubles ainsi désignés recouvrent une large gamme pathologique, de la schizophrénie au syndrome de dépendance en passant par le retard mental, là où la loi du 11 février 2005 distingue l’altération des fonctions mentales de celle des fonctions cognitives et psychiques. Il faut y lire une volonté du législateur d’offrir une définition générale du handicap qui n’en néglige aucune cause, plutôt qu’une fixation rigide du sens des termes « mental », « cognitif » et « psychique ».
– En second lieu, le handicap psychique n’est pas le trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré le discernement. Ces vocables, issus de l’article 122-1 du Code pénal, s’adressent au psychiatre requis comme expert lors d’une instance pénale. Que les termes soient ou non appropriés en l’état actuel des connaissances médicales importe peu. Le législateur s’en remet au médecin pour déterminer s’il existe un trouble ressortissant de sa compétence chez la personne poursuivie et si ce dernier a pu abolir ou altérer son discernement ou le contrôle de ses actes. Il s’agit là de la traduction législative du vocable médical à l’usage du médecin expert, censée lui permettre de se prononcer, in fine, sur une notion juridique : la responsabilité pénale.
Le handicap dit « psychique » ne peut donc s’assimiler ni au trouble mental, ni au trouble visé par l’article 122-1 du Code pénal, il est, avant tout, un handicap. Dans sa définition générale, il recouvre les conséquences négatives d’une pathologie ou d’un trouble sur la vie de la personne qui en est porteuse. Il ne peut dès lors être assimilé à la maladie ou au trouble : ainsi, par exemple, la schizophrénie n’est pas en elle-même un handicap psychique. Elle n’est que l’altération de fonctions psychiques potentiellement génératrices d’une limitation d’activité ou d’une restriction de participation à la vie en société. L’apposition au concept « handicap » du qualificatif « psychique » vise donc plutôt une fonction symbolique similaire à celle que décrit Serge Milano (2) : la reconnaissance de ce que cette situation peut trouver son origine dans une déficience du psychisme. Dès lors, il serait plus approprié de parler de « handicap d’origine psychique ».

Anjela Gallais-Lavanant, doctorante en droit public, Lab-LEX EA 7480, Université Bretagne Sud

1– Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
2– La loi du 11 février 2005 : pourquoi avoir réformé la loi de 1975 ? Serge Milano, Revue de droit sanitaire et social, RDSS, 2005 p. 361.
3– L’évaluation du handicap et de l’aptitude à l’emploi, Frédéric Tallier, Revue de droit sanitaire et social, RDSS, 2011 p. 821.
4– Classification internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11), Organisation mondiale de la santé, 2018.

 

Handicap?: le modèle de Wood

Le diagnostic, s’il permet de décrire la maladie, est un outil clinique servant la prise en charge médicale du patient. Pour décrire la situation globale de la personne et les difficultés qu’elle rencontre et orienter l’action sanitaire et sociale en sa faveur, l’OMS propose donc un Manuel de classification des conséquences des maladies, (sous-titre de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé). Cette classification, dite aussi modèle de Wood (1), précise trois concepts :

• Déficience
« Dans le domaine de la santé, la déficience correspond à toute perte ou altération d’une fonction ou d’une structure psychologique, physiologique ou anatomique. » Ainsi, en santé mentale, le retrait social, les difficultés de concentration ou d’attention, les troubles du sommeil, de la communication, du traitement de l’information, sont considérés comme des déficiences, qui risquent d’entraîner des incapacités.
Incapacité
« Dans le domaine de la santé, une incapacité correspond à une réduction (résultant d’une déficience), partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales par un être humain. » Par exemple, le retrait social (déficience) peut empêcher une personne de sortir de chez elle (incapacité) et d’aller faire ses courses (incapacité).
Handicap (ou désavantage social)
« Dans le domaine de la santé, le désavantage pour un individu donné résulte d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels). » Par exemple, les troubles de l’attention et de la concentration liés à la schizophrénie risquent de mettre la personne souffrante dans l’incapacité de poursuivre des études. Ces déficiences et incapacités entraînent un réel désavantage en termes d’orientation professionnelle et d’autonomie financière. La personne souffrante est ainsi contrainte d’occuper un emploi peu qualifié et/ou à temps partiel et/ou de vivre avec une allocation aux adultes handicapés.

 

1– Chapireau F., La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, Gérontologie et société, 2001/4, n° 99, p 38.