Les personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA) bénéficient du droit fondamental à la protection de la santé, qui implique, outre la sécurité sanitaire, un égal accès aux soins ainsi que leur continuité. Leur prise en charge sanitaire est confiée aux unités médicales (UMCRA), présentes au sein de chaque CRA. Le CGLPL les a systématiquement visitées lors des 60 visites de CRA qu’il a effectuées depuis 2008. Ses constats, publiés le 21 février 2019 dans un Avis au Journal officiel, révèlent une grande hétérogénéité des pratiques au sein des centres de rétention, notamment concernant le répérage et la prise en charge des soins psychiques.
Dans le contexte de l’extension de la durée maximale du placement en rétention administrative, qui est passée de 7 jours lors sa création en 1981 à 90 jours à compter du 1er janvier 2019, il est apparu nécessaire au CGLPL de revenir en détail sur les conditions de prise en charge sanitaire des personnes retenues et de rappeler ses recommandations en la matière, sur plusieurs axes. Nous publions ici ses conclusions sur les soins psychiques.
- La connaissance des troubles psychiques dans les CRA doit être améliorée.
Des études démontrent que parmi les migrants, les personnes souffrant de troubles psychiques sont surreprésentées. Ces troubles constituent, avec les maladies infectieuses et parasitaires, la principale catégorie de pathologies concernées par la protection contre l’éloignement en 2017. Leur gravité, notamment les syndromes psychotraumatiques et les dépressions, peut conduire nombre de personnes à des idées suicidaires. L’enfermement dans un CRA en vue de l’éloignement ne peut, de toute évidence, qu’aggraver ces troubles. Tout personnel soignant doit donc être attentif aux conditions non seulement sanitaires mais aussi psychologiques et ou psychiatrique de la rétention.
Par ses visites ou les courriers qu’il reçoit, le CGLPL rencontre très régulièrement des situations de personnes qui sont en grande souffrance psychique. Toutefois, malgré ses précédentes recommandations, aucune initiative n’a été prise par les pouvoirs publics, pour mesurer l’importance et les caractéristiques des troubles psychiques rencontrés en CRA.
L’appréciation de l’existence de troubles psychiques est très variable selon les CRA même si beaucoup de professionnels rencontrés – soignants et fonctionnaires de police – identifient couramment au sein de la population retenue des syndromes « de dépression, d’angoisse, d’anxiété, de stress aigu, d’insomnie » préexistants ou aggravés par l’enfermement ou en résultant et déclarent, par ailleurs, être régulièrement confrontés à des problèmes d’addiction. Paradoxalement, il est fréquent d’entendre ces mêmes professionnels minimiser et banaliser les troubles psychiques, perçus comme un moyen de faire échec à l’éloignement (« ils font cela pour ne pas prendre l’avion »). Ainsi, dans la mesure où elle peut conduire à la levée de la rétention pour raison de santé, la demande de soins psychiatriques se heurte-t-elle à un soupçon d’instrumentalisation – particulièrement lorsqu’elle est formulée pour la première fois en CRA.
La réalisation d’enquêtes épidémiologiques pourrait utilement permettre de connaître les caractéristiques des troubles psychiques et psychiatriques dans les centres de rétention, mesurer leur importance, adapter les moyens et mettre fin à la suspicion généralisée.
- Le repérage et la prise en charge des troubles psychiques doivent être assurés par des spécialistes
A l’exception du CRA du Mesnil-Amelot qui bénéficie de la présence d’un psychiatre deux fois par semaine, les unités médicales ne disposent pas de postes de psychiatre ou de psychologue. Rares sont les CRA ayant conclu une convention avec le centre hospitalier spécialisé de proximité pour organiser l’accès aux soins psychiatriques. Aussi, en cas de besoin, les personnes concernées ne sont prises en charge qu’au titre de l’urgence, généralement par un appel au centre 15. Cette situation ne permet d’obtenir ni le diagnostic d’une éventuelle pathologie psychiatrique, ni une prise en charge adaptée de la souffrance psychique et des troubles mentaux.
La présence d’une équipe soignante incluant un temps de psychologue et de psychiatre permettrait, au-delà du traitement des urgences, d’envisager les modalités d’une prise en charge adaptée.
Le ministre de l’intérieur indique que « la présence d’un médecin psychiatre dans chaque CRA ne s’impose pas, eu égard au faible nombre de retenus acheminés dans un service psychiatrique pour examen voire hospitalisation ». Or, le faible nombre d’hospitalisation s’explique par le fait les médecins somaticiens rencontrent des difficultés pour repérer les troubles psychiques et les diagnostiquer (entre pathologie mentale, simulation, troubles du comportement, etc.) ainsi que l’ont expliqué plusieurs médecins rencontrés en CRA. Dans un centre de rétention visité en 2018, accueillant jusqu’à près de 1 300 personnes par an, il a été constaté que les pathologies en lien avec la santé mentale constituaient le premier motif de consultations médicales, soit 37% des rendez-vous à l’UMCRA. Il doit être rappelé que seul un médecin psychiatre est à même d’établir un diagnostic de la pathologie mentale, puis de prescrire un traitement et mettre en œuvre des actes de prévention.
Dans ses vingt principes directeurs, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le retour forcé, a invité les Etats membres à former le personnel travaillant dans les CRA afin « de se familiariser avec les différentes cultures des personnes retenues (…) il serait préférable que certains membres du personnel aient des connaissances linguistiques appropriées et soient capables de reconnaître d'éventuels symptômes de stress chez les personnes et de prendre les mesures qui s'imposent. Si nécessaire, le personnel devrait être à même de faire appel à un soutien extérieur, notamment médical et social ». Le dépistage et la prise en charge des troubles psychiatriques se heurtent, en effet, à la barrière linguistique et aux différences culturelles, difficultés que les soignants ne sont pas toujours en mesure de résoudre ou d’évaluer.
Le CGLPL recommande que soit organisé, au sein des CRA, le recours à une équipe soignante dédiée à la prise en charge des soins psychiatriques. En outre, des formations spécifiques doivent être organisées afin de permettre aux soignants d’intégrer la dimension interculturelle dans leurs relations de soins.
- Le droit commun doit s’appliquer à l’hospitalisation pour troubles mentaux
Les professionnels de santé font régulièrement état de complications liées à l’absence de protocole avec le centre hospitalier en cas de besoin d’hospitalisation alors qu’à l’inverse, un accord facilite grandement les démarches de transfert et la prise en charge ultérieure. Pour chaque CRA, une convention sur les modalités d’hospitalisation des patients-retenus doit systématiquement être établie avec le centre hospitalier de rattachement.
De même, en cas d’hospitalisation, les modes d’admission sont disparates selon les centres de rétention, sans qu’ils ne soient nécessairement corrélés avec l’état de la personne retenue : soins psychiatriques libres, soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat ou soins psychiatriques à la demande d’un tiers. En l’absence de texte législatif spécifique relatif aux personnes retenues faisant l'objet de soins psychiatriques, les règles du code de la santé publique doivent être appliquées. Ainsi l’admission en soins libres doit-elle être privilégiée lorsque le patient retenu est consentant et que son état le permet. En revanche il n’est pas acceptable, comme cela a pu être constaté par le CGLPL dans une note de service en vigueur au sein d’un CRA, d’envisager la possibilité de recourir à la procédure d’hospitalisation à la demande du chef de centre faisant office de tiers demandeur ; ce dernier ne saurait en effet être regardé comme susceptible d’agir dans l’intérêt du malade, conformément aux dispositions de l’article L.3212-1 du code de la santé publique.
En cas d’hospitalisation d’une personne retenue en service de psychiatrie, le droit commun doit s’appliquer au mode d’admission. Le consentement du patient doit toujours être recherché et, dès lors qu’il peut être recueilli, conduire à une admission en soins libres.
- Avis du 17 décembre 2018 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatif à la prise en charge sanitaire des personnes étrangères au sein des centres de rétention administrative, JO du 21 février 2019. En savoir plus : www.cglpl.fr/ Photo © CGLPL