« Moi l’alcool, j’arrête quand je veux » (ou La faute à la tapisserie)

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Exerçant en psychiatrie, l'infirmière SuzyQ s'interroge dans son blog sur la profession, la façon d'exercer les soins, le quotidien des équipes… Dans son dernier post, elle présente la situation clinique de Jean-Michel, un patient alcoolique bien connu du service. L'équipe est divisée sur les perspectives de la prise en charge… Ce texte est un premier volet, qui sera suivi de deux autres les mercredis 21 et 28 février.

Jean-Michel est revenu. Abîmé mais de retour. Cela faisait environ deux ans qu'il n'avait pas posé les pieds de ce côté-ci du monde, le monde des oubliés. Je l'avais connu pas bien épais, il nous revenait cachectique. Conséquence d'une rixe entre buveurs, sa main droite était couverte d'un large pansement.

Alors il s'est reposé et ça a duré 4 ou 5 jours. Notre mission première quand nous accueillons un patient alcoolisé est de l'accompagner pour que son sevrage au produit se passe de la meilleure des façons. Notre crainte est l'accident de sevrage plus connu sous le nom de délirium tremens. Pour l'alcoolique en sevrage c'est la pire des complications puisque elle peut conduire au décès (…). Alors on surveille et on évalue à intervalle régulier. Sans panique puisque cela reste une complication rare dès lors que la surveillance organisée est couplée à une benzodiazépine à demie-vie longue de préférence. Deux outils sont fréquemment utilisés par les services de soins pour mesurer les complications d'un sevrage: l'index de Cushman ou la grille Ciwa-ar. Si j'ai ma petite préférence pour le Cushman, le Ciwa-ar est quant à lui plus précis.
 
Pour Jean-Michel le sevrage se passe bien. Il connaît le protocole mieux que certains soignants. Tension artérielle, fréquence respiratoire et cardiaque, sueurs et tremblements, rien ne lui échappe. S'il fait un peu la gueule, c'est parce que le doc lui refile du valium, lui qui aime un peu trop le seresta. Mais il comprend que sa dépendance à l'alcool est suffisante et que si on peut éviter de le rendre plus dépendant qu'il n'est ce sera déjà pas si mal….
 
Je vois Jean-Michel en entretien infirmier après 7 jours d'hospitalisation. « J'me requinque tranquille », me dit-il. Et c'est vrai qu'il a meilleure mine. Le sevrage physique est quasi terminé et je lui annonce que le gros du boulot peut commencer. Il me regarde avec un air perplexe, lui qui s'imagine déjà dehors, alors je lui explique ce qu'il connaît déjà trop bien. S'il n'y avait qu'une dépendance physique à l'alcool alors ce serait une pathologie plutôt facile à traiter mais voilà elle est bien plus complexe que cela. La dépendance est triple. A la physique s'ajoute la psychologique et la comportementale et pour les traiter pas de pilule miracle mais la nécessité de se retrousser les manches, de se mettre au travail et de devenir l'acteur principal de son rétablissement. Z'aviez rêvé de jouer le premier rôle, on vous le sert sur un plateau!
 
« Nan mais moi ça va… j'préfère sortir… j'ai plein de merdes à gérer dehors et franchement l'alcool c'est pas le premier de mes problèmes?
– Vous reconnaissez donc que c'est un problème?
– Non sérieux j'arrête quand j'veux. Non mais vraiment… D'ailleurs c'est pas tous les jours que je bois hein! »
« La faute à la tapisserie », Lire la suite sur le blog de SuzyQ…