Lucile Brosseau, infirmière et Géraldine Guellier éducatrice spécialisée en psychiatrie au CHU de Nantes sont toutes deux adeptes de la photographie. Pendant un an, elles ont travaillé sur la démolition annoncée d'un très ancien bâtiment de psychiatrie (Shuppm) et en ont profité pour poser un regard sensible sur leur métier, les patients, leurs collègues… Leurs photographies (et les témoignages qui les accompagnent) ont fait l'objet d'une exposition et sont publiés sous la forme d'un livre.
Lucile Brosseau nous parle de cette aventure
Quand j'ai commencé la photo en 2011, je me suis inscrite au club photos de l'hôpital St Jacques où j'ai pu apprendre la technique, me faire « une patte » comme on dit, et puis essayer de comprendre ce que je cherchais à montrer dans mes clichés. Je fais essentiellement des portraits. Dans ces images, je tente de montrer toute l'humanité dans le regard des gens. Leur montrer qu'ils sont beaux est pour moi un leitmotiv. Je suis devenue une chasseuse d'émotions. Et je crois ne pas pouvoir faire autrement que sans la photo. Cette passion est devenue thérapeutique et participe à mon équilibre.
J'ai souvent pensé que je n'oublierais jamais certains patients et collègues. Que mon métier était riche de rencontres. Que des patients exceptionnels marquaient nos carrières et pour ma part me faisaient grandir chaque jour. J'avais donc ce rêve de les photographier, de les immortaliser pour ne pas les oublier. Mais ça me posait un cas de conscience. Des questions éthiques me traversaient l'esprit. Basculer dans le voyeurisme, le cliché me freinait pour aller jusqu'au bout de mes idées. Peur de ne pas être légitime. Et puis surtout, il me fallait une bonne raison pour m'aventurer à monter un tel projet.
Après 6 années à travailler de services en services sur le pôle de psychiatrie, j'ai eu la chance de rencontrer et de travailler auprès de collègues et patients aussi différents les uns que les autres. Je profitais de chaque expérience qui pouvait m'aider à avancer sur le chemin. Une chose devenait de plus en plus claire. J'avais envie de m'investir dans un projet qui me tenait à cœur, un projet qui fédère. Je commençais à me lasser de bouger dans toutsles services, j'avais l'impression d'être en fuite, je survolais. Ceci dit c'est très intéressant de survoler un hôpital psychiatrique, j'ai eu la chance d'avoir une vision globale de l'institution. Puis je suis partie à la Chesnaie, rare clinique où l'on pratique encore la psychothérapie institutionnelle. J'ai passé une semaine là-bas pour un stage de comparaison. Pour résumer, j'avais besoin d'un bol d'air frais. Tellement frais ce bol, que je suis revenue avec une énergie folle pour monter ce projet de reportage photo. J'en ai d'abord parlé à mon cadre Eric Berche afin de savoir si c'était réalisable (sans qui tout ça n'aurait pas abouti). Je devais prendre RDV avec le directeur des soins et exposer mon projet. Je ne pouvais pas faire ça seule, il fallait que je partage ce projet avec quelqu'un qui pourrait me compléter, quelqu'un de différent, quelqu'un qui a plus de distance vis à vis des patients et collègues. C'était évident, c'était Géraldine Guellier, une amie rencontrée au club photos qui elle est éducatrice spécialisés en pédopsychiatrie. Depuis quelques mois déjà, nous voulions faire un projet social ensemble. Plusieurs idées nous avaient traversé l'esprit, les réfugiés, les prostituées, les sdf… On y était presque !
Puis le bruit court dans St Jacques, c'est confirmé : le vieux bâtiment de psychiatrie 1 va être détruit dans les prochains mois pour une extension de la rééducation. Les équipes et les patients allaient déménager dans l'été 2016. Nous étions en janvier 2016 quand l'idée m'est venue de garder une trace de ce vieux bâtiment. Il ne fallait pas perdre de temps, il fallait oser demander. Avec Géraldine, on a passé des soirées à discuter, à se poser des questions, à imaginer jusqu'où nous pouvions aller… Nous avions envie de photographier les murs certes mais aussi les personnes, car toutes ces personnes, ces passants, ces soignants qui ont fait l'histoire de ce bâtiment. 29 février 2016, rencontre avec le directeur de soins et la responsable du service de communication du CHU. On leur propose un peu timidement notre projet. A notre grande surprise, ils acceptent avec enthousiasme. Je me souviens à ce moment -à de m'être dit « qui ne tente rien n'a rien ». C'est parti, le rêve devenait réel !
Nous étions heureuses mais on avait conscience que ce projet allait nous envahir pendant plusieurs mois. En effet, ça n'a pas été de tout repos. Malgré le soutien institutionnel, le soutien des soignants et collègues. Nous avons eu des hauts et des bas. Des doutes, de la paperasse, des recherches de soignants retraités, des centaines d'heures de tri et retouches photos, chercher du budget… Justifier de notre bienveillance et de nos intérêts nous demandait tellement d'énergie. Parfois je me demandais pourquoi je faisais ça. Je me mettais une pression folle. J'avais l'impression de jouer ma vie. Je n'arrivais pas à me détendre, parce qu'il était tellement important pour moi de montrer un autre regard sur la psychiatrie. Je sentais qu'on avait tellement de chance de nous accorder ça, que je ne voulais rien gâcher. Heureusement, Géraldine est bien plus détendue que moi. Ce qui nous permettait de tenir bon, c'était les récits de vieilles histoires drôles des années 80, des personnes touchées par notre démarche, des hypers investis alimentant d'écrits. Ils nous faisaient confiance, nous livraient des confidences.
Le 13 octobre 2016 était le grand jour pour finaliser ce projet par un rassemblement autour de l'exposition photos. Enfin nous allions pouvoir nous reposer. Pas trop longtemps, puisque de nouveaux projets allaient arriver. Un mois après, j'intègre l'équipe de l'unité de médiation thérapeutique. Cela fait donc 1 an que j'anime ou coanime des médiations axées sur le quotidien, expressions corporelles, ou créatives. Il m'arrive régulièrement de photographier et filmer ce que les patients font, comme immortaliser les souvenirs d'un séjour thérapeutique, un stage avec une danseuse thérapeute, ou faire un reportage sur un sujet précis…
1 an après le vernissage, nous recevons l'ouvrage qui résume l'exposition. Nous l'attendions avec impatience. Moments d'émotions de se replonger dans ce projet. Les retours sont positifs.
Plein de projets sont en cours, je continue mon chemin sur la recherche de l'image en psychiatrie... Je constate que chaque patient réagit différemment quant au fait de s'entendre ou se voir. Je m'aperçois que plus nous leur proposons des médiations axées sur les outils multimédia, plus ils sont à l'aise avec leurs images et leurs voix. La photo nous permet de travailler sur la perception qu'ils ont d'eux-mêmes et d'échanger autour de leurs émotions, que c'est passionnant !