« On aime nos patients, on les soigne, mais eux nous offrent quelque chose d’unique. Ils laissent entre nos mains, leur corps, leurs angoisses, leurs clés. Le trousseau complet. Leur cadeau, c’est la confiance. » Dans ce livre, Isabelle Kauffman retrace le parcours de Marie-Antoinette, première infirmière libérale à Lyon.
A l’école, à la demande de l’instituteur, Marie-Antoinette dessine le contour de sa main, doigts écartés sur une feuille de papier. Elle prend alors conscience de la vie présente dans cette petite partie du corps. « C’est comme ça que tout a commencé, un jour d’octobre 1935. J’avais 6 ans ». La même année, au contact d’une voisine âgée, aux mains déformées par une polyarthrite rhumatoïde, le voile de son innocence se déchire, elle réalise qu’il n’existe pas de remèdes miracles, qu’on ne peut qu’aider et soulager les souffrances ; « puisqu’elle ne pouvait plus se servir de ses mains, je lui prêterais les miennes ». Elle se cantonnera désormais à son postulat d’enfant, « quand une personne souffre, une autre doit l’aider ». C’est ainsi qu’elle s’oriente très naturellement vers des études d’infirmières à Lyon.
Issue de famille nombreuse élevée à la campagne, elle en a gardée un « sentiment de plénitude et d’harmonie ». Conjugué à son obstination, sa patience, sa passion face à ses objectifs, elle ne perdra jamais confiance en l’avenir.
Elle exerce les premières années de sa carrière dans différents services hospitaliers, bien souvent tenus par des religieuses certes efficaces mais qui manquent d’humanité. Elle en mesure le manque et développe un rapport personnalisé avec chacun des patients.
Très vite, elle découvre l’existence, en Suisse, d’infirmières à domicile. En France la profession d’infirmière libérale est reconnue depuis seulement 1947. Après renseignements auprès des médecins et pharmaciens du quartier et la confirmation de la nécessité de se rendre chez de nombreuses personnes, elle débute en 1957, autonome et seul maître bord, armée de jambes réactives, endurantes et infatigables. Elle est la première infirmière libérale à Lyon. Au bout de dix ans d’autres infirmières la rejoignent.
En allant chez les patients, elle fait partie de leur vie, de leur intimité, elle reçoit les confidences. Elle accompagne peur, douleur et solitude, des fins de vie tragiques, de ceux aussi qui sont bien souvent exclus.
C’est avec une belle écriture, une très grande sensibilité et une vraie humanité, que l’auteur, à travers cette pionnière, nous plonge dans le métier de l’infirmière libérale.
Lu par Albane Salleron
- Les corps fragiles, Isabelle Kaffmann, Editions Le Passage, 2016, 140 p.