Autisme : les psychiatres veulent des formations plurielles et actualisées

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La Fédération française de psychiatrie (FFP), le Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP), le Collège national des universitaires de pédo-psychiatrie (CNUPP) et le Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie (CNQSP) réclament dans un communiqué commun des « formations plurielles et actualisées pour l'autisme ».

Dans un communiqué précédent, les psychiatres avaient déjà alerté les pouvoirs publics sur des dérives dans l’application du 3e plan autisme (2013 – 2017) qui donnent lieu à des dévoiements multiples par des organismes en conflit d’intérêt. Ceci menace la liberté de milliers de familles dans leur choix d’accompagnements variés, la liberté des médecins dans leur exercice et celle des professions associées, le développement des recherches, ainsi que la création de nouvelles places et de nouveaux services dont les
conditions actuelles des appels à projet ne sont pas démocratiques.

Pour un apaisement dès maintenant sans attendre 2018
Dans son discours du 19 mai 2016 au Conseil National du Handicap (CNH), le président François Hollande a déclaré : "…/… C'est ce qui doit nous convaincre d'adopter un 4e Plan autisme, qui sera celui de l'apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d'imposer une solution plutôt qu'une autre. C'est autour des personnes autistes, enfants et adultes, qu'il faut travailler, en prenant en compte l'avancée des connaissances et l'évaluation des interventions. Je fais confiance aux ministres qui en sont responsables pour y parvenir, avec la Haute Autorité de Santé. …/…"
Cette déclaration est apaisante quant au prochain plan autisme qui gagnerait à démarrer au plus vite, et pourquoi pas dès 2017. Mais c’est bien dès maintenant, dans l’application du plan autisme actuel (le 3e plan) que le changement doit commencer, même si reçus au ministère de la Santé les psychiatres français n’ont entendu que la vague promesse d’étudier les problèmes soulevés.
Or, chaque semaine, chaque mois, l’on apprend de nouveaux dégâts dans les secteurs de la formation et du perfectionnement des professionnels. Région après région, des formations sont annulées, des formateurs chevronnés sont écartés, des organismes de formation sont évidés, tandis que quelques opérateurs bien introduits cumulent les subventions et les crédits.
Une poignée de propagandistes intéressés diffuse des interprétations restrictives et tendancieuses des recommandations de la H.A.S.. Comment les ministères et la HAS elle-même peuvent-ils laisser courir ces falsifications au point que certains ténors semblent avoir la caution des pouvoirs publics ?
Certes la HAS de 2012 traquait mieux les conflits d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique qu’avec les Instituts de formation. Certes les recommandations de la HAS de 2012 pour les enfants autistes ne sont pas sans défauts, et la profession psychiatrique s’en était émue à l’époque. Mais la plus grande partie du document et en particulier tout ce qui insiste sur la détection et prise en charge précoce, l’évaluation régulière, les abords éducatifs et thérapeutiques un pour un, la continuité des parcours de soins et le risque des ruptures de prise en charge fait consensus. Alors pourquoi pervertir ces recommandations pour les présenter comme autorisant uniquement une approche comportementaliste ?
Et ceci alors que partout dans le monde les limites des approches dogmatiques sont mieux connues, que leurs coûts sont évalués, et que même les résultats autoproclamés de l’ABA qui seraient favorables pour la moitié des enfants traités (47% est leur chiffre officiel) sont contestés aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre (Mottron, 2016). En France même, les vingt-huit centres expérimentaux financés à grand coût depuis plusieurs années ont des résultats décevants (rapport Cekoïa 2015). A l’étranger, nos collègues sont consternés en voyant les français se tourner vers ce dont eux-mêmes s’éloignent !

Les pouvoirs publics sont devant un risque majeur de dérégulation de la formation.
Les psychiatres sont conscients de la nécessité de rénover les dispositifs de formation concernant l’autisme comme le handicap. La mise à jour des connaissances, la participation aux nouveaux champs de l’inclusion sociale, l’implication des aidants familiaux (tant pour recevoir des formations que pour y contribuer), la facilitation des formations croisées entre les diverses professions concernées ont commencé à être prises en compte par les différents organismes de formation. Parmi les plus récents, les uns sont dynamiques mais d’autres sont purement opportunistes. Et la référence unique et souvent factice à «la conformité avec les recommandations de la HAS» est devenue un «prêt à penser» commode et réducteur qui peut faire sauf-conduit. C’est pourquoi les nouveaux venus et les innovations dans ce domaine doivent être accompagnés par l’Etat et les services concernés avec la plus grande attention.
La Haute Autorité de Santé, en charge depuis 2015 de la préparation de « Recommandations de Bonnes Pratiques pour les adultes autistes » dont la publication est annoncée pour 2016, a tiré les leçons de son précédent travail de 2012 pour les enfants. Elle a su ainsi veiller avec la plus grande attention aux conflits d’intérêt et a sélectionné rigoureusement pendant plusieurs semaines ses contributeurs avant de commencer ses travaux. L’ANESM (Agence Nationale de l’Evaluation et de la Qualité des Etablissements Médico-sociaux), en charge des Recommandations de Bonnes Pratiques pour les «comportements problèmes» des adultes, dont la sortie est aussi prévue en 2016, a pris les mêmes précautions.
Mais dans les commissions censées réguler l’offre de formation, ceux des psychiatres qui participent aux travaux du 3e Plan Autisme (2013 – 2017) constatent que le Ministère ne s’est entouré d’aucunes des précautions prises par l’HAS et l’ANESM. Les conflits d’intérêt n’ont pas été un critère pour constituer ces groupes de travail sur la formation, alors que les enjeux pour les professionnels des services de l’Etat et pour les finances publiques sont majeurs.

Pas de mesures d’exception dans le champ de l’autisme !
Si l’autisme doit donner lieu à des formations spécifiques, le champ de celles-ci ne doit pas devenir une exception à la règlementation française de la santé, du médico-social et du social. Les règles en vigueur doivent s’appliquer à ses opérateurs. La formation au diagnostic précoce et aux difficultés du diagnostic différentiel des troubles précoces du développement, les compléments de diagnostic à tous les âges, l’évaluation fonctionnelle et l’articulation avec les soins, la mise en oeuvre par des équipes pluridisciplinaires dans les différents registres d’action, doivent bénéficier des apports continus de la science et des expériences acquises. Croit-on que c’est la définition d’un précarré, avec ses spécialistes loin d’être formés à l’analyse clinique fine et différentielle nécessaire et autoproclamés, qui va garantir le renouvellement des connaissances et des techniques ? Le ministère doit-il se soumettre aux injonctions d’associations, fussent-elles relayées par des réseaux sociaux ?
La profession médicale s’est organisée dans toutes ses spécialités en associant les travaux d’une commission scientifique indépendante (CSI), et des Conseils nationaux professionnels (CNP) pour garantir un perfectionnement de qualité aux médecins. Les psychiatres ne veulent pas d’un dispositif à part pour gérer le développement professionnel continu (DPC) en matière d’autisme, comme ils l’avaient déjà affirmé, unanimes, il y a un an (communiqué du CNPP du 18/6/2015).
Les psychiatres ne veulent pas non plus d’un dispositif dont les universitaires seraient écartés ou mis sous tutelle pour la recherche et la formation initiale des médecins et des psychiatres. La formation à l’autisme dans ses formes très diverses doit mobiliser les psychiatres expérimentés, non universitaires et universitaires, en nombre insuffisant actuellement (en particulier le ratio universitaires/psychiatres en formation est le plus bas toutes spécialités médicales confondues).
Les ministères veulent-ils achever la dislocation d’un système de formation qu’il a fallu plusieurs dizaines d’années pour mettre en place ? Il sera trop tard pour le déplorer quand les yeux des financeurs et des juristes se décilleront, et que les sirènes des solutions simples et des utopies scientistes se tairont.
Les psychiatres s’élèvent contre les mesures démagogiques de tous ordres qui flèchent, corsètent et rabaissent les formations de l’ensemble des professionnels concernés. Ils demandent comme mesure immédiate que les contributeurs des groupes de travail sur la formation du 3e Plan autisme passent l’épreuve de leurs liens d ‘intérêt, comme à la HAS et à l’ANESM, afin que la rénovation de la formation en autisme se fasse dans les règles.