Parlons de la souffrance des soignants !

FacebookTwitterLinkedInEmail

Ergothérapeute en psychiatrie depuis de nombreuses années, cette soignante dénonce le délitement du travail d'équipe et un management aveugle, qui entraînent une grande souffrance des soignants. Témoignage.

« Je pense que la situation est préoccupante dans beaucoup d'hôpitaux psychiatriques à cause du manque de moyen mais aussi à cause des repères idéologiques qui sont plus que bousculés, la parole qui ne passe plus…
 
Pour ma part, j'ai fui un premier service (dans un hôpital général) où le nouveau médecin-chef nous imposait de changer nos pratiques au Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et à l'Hôpital de jour pour instaurer des groupes Thérapies cognitivo-comportementales (TCC), voire d'abandonner nos patients psychotiques chroniques (ceux-ci ne l'intéressaient pas puisqu'ils ne sont pas «rééducables»), mais j'ai été rattrapée par un autre médecin-chef qui emploie la même méthode au nom des mêmes objectifs.

Ce psychiatre ne cherche pas à nous connaitre, n'est jamais venu rencontrer, discuter, comprendre le travail réalisé sur le CATTP alors qu'il est là depuis plusieurs années et s'en dit le responsable… Hier il a débarqué sans prévenir, et après avoir tenté de nous manipuler “c'est très bien ce que vous faites”, nous a demandé d'ajouter des groupes Education thérapeutique du patient (ETP), TCC… Il nous a aussi demandé expressément d'adresser des jeunes patients schizophrènes au groupe ETP de l'établissement, alors que nous suivons très peu de jeunes schizophrènes au CATTP… Il faut savoir que ni lui ni aucun médecin ne s'intéresse au fonctionnement du CATTP et que les prescriptions ne sont pas très fréquentes. Il n'existe pas de réunion digne de ce nom, pas de consultation de notre vision des choses, pas de réflexion commune…
 
Plus globalement, la souffrance est grande dans mon service puisqu'il n'y a plus aucune réunion d'équipe depuis quelques mois. J'ai même découvert que la notion de travail d'équipe, de coordination médicale du travail pluridisciplinaire autour d'un patient n'intéresse pas ce psychiatre… Sa vision, c'est chacun dans son coin, pas besoin de coordination, une addition des différentes interventions suffit !
 
L'encadrement veut nous faire changer de méthode de travail de force sous prétexte de progrès et de modernité, comme il veut soigner les patients de force (“s'il n'ont pas retenu ce qu'on leur a dit dans une première session, il faut recommencer jusqu'à ce qu'ils intègrent les choses qu'on leur apprend", "s'ils ne veulent pas aller à l'ETP, il est de votre devoir de les convaincre", "tous les patients schizophrènes du secteur doivent y aller"). Nous tentons de résister à une prescription intempestive, pas réfléchie, pas accompagnée… mais c'est difficile de se sentir disqualifiés dans nos pratiques et pas écoutés…
 
Quand on travaille en zone rurale, pas facile de trouver un autre service… Pourtant je crois savoir que certains arrivent à composer avec les différentes approches. Combien résistent encore avec l'héritage de la psychanalyse ? Est-il possible de faire un état des lieux ? La formation des médecins me parait catastrophique aujourd'hui… Nous ne fonctionnons qu'avec des médecins étrangers (généralistes, réanimateurs, gérontologue…) qui vont se former à la psychiatrie donc s'absentent beaucoup du service et partent ailleurs quand ils sont formés… laissant le personnel (également mal formé pour les derniers infirmiers arrivés) en souffrance… Le turn over dans toutes les professions de mon service est très important. Au Centre médico-psychologique (CMP), les patients changent de médecin tous les 3 mois pour certains ! Ils s'en plaignent… »