Schizophrénie : agir contre les clichés et les idées fausses !

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En France, faute d’information, des clichés éculés et des idées fausses sur la schizophrénie restent véhiculés dans les médias et la société. Le mot lui-même, utilisé à tort et à travers dans le langage courant, donne lieu à des interprétations fausses. Les médias en parlent peu ou mal, et ces clichés entraînent une surstigmatisation des patients.

Pour dénoncer cette réalité, et surtout encourager de nouvelles pratiques, l’association PromesseS, membre co-fondateur du Collectif Schizophrénies  (1), a dévoilé les résultats de la première étude sur la représentation de cette maladie dans les médias. Commandée à l’Obsoco (2), l’étude a été conduite de mars à septembre 2015, et réalisée avec le soutien de Sanofi et Ipsen dans le cadre de leurs activités solidaires. Elle a appliqué les outils de la linguistique (grâce notamment au logiciel de statistique textuelle Alceste©), ainsi que de la sociologie, à un corpus de 1,3 million d’articles issus d’un échantillon représentatif de la presse écrite (3) de 2011 à 2015, afin de vérifier si la stigmatisation médiatique dénoncée par les conférences et études internationales dans l’usage du terme schizophrénie vaut aussi pour la France.

Un constat sans appel
Non seulement le traitement médiatique français est comme, voire plus qu’ailleurs, massivement insuffisant et inadapté :
– information médicale quasi inexistante (terme présent sur 2038 articles, dont 1% seulement d’articles vraiment dédiés !)
– corrélation constante du terme avec des idées fausses (violence, dédoublement, absence d’espoir, etc…),
Mais il présente en outre d’étonnantes spécificités nationales :
– référence à la maladie avant tout dans les articles culturels (56%) et sur un mode caricatural
– usage métaphorique débridé, déclinant à l’infini l’image du double, beaucoup plus important que l’usage médical (près de 6 articles sur 10)
– dérive forte de cet usage métaphorique, vers un sens diamétralement opposé à la réalité médicale : celui de la manipulation.

Ce constat peut expliquer, au moins en partie, pourquoi la France se classe parmi les pays du monde qui stigmatisent le plus leurs patients atteints de schizophrénie (4).
Les analyses des chercheurs sur les ressorts de cette situation sont éclairantes : création d’un archétype pour tenir la réalité à distance face à une perte de contrôle individuellement angoissante, mais aussi culturellement peu tolérée au pays des Lumières, a fortiori dans un monde à la complexité croissante, et prégnance historique de conceptions « psychanalysantes » archaïques et erronées.

Si cette situation a freiné la conscience et la mobilisation collectives sur un enjeu de santé publique pourtant majeur, les médias ne sont pas plus responsables que les autres acteurs du système, professionnels de santé et associations de familles et patients inclus. En fait, l’image de la schizophrénie dans ses médias reflète le traitement global fait à la maladie par notre pays : sur-stigmatisation, domination des idées fausses et des stéréotypes culturels sur les
réalités médicales, posture défensive, abord médical et social très incomplet.

Agir pour la déstigmatisation

Si les constats de l’étude sont négatifs et perturbants, ils ont le mérite d’ouvrir des pistes pour lutter contre la stigmatisation de la schizophrénie et l’exclusion des malades. Contrairement à ce que croit le grand public, l’insertion sociale des personnes atteintes est aujourd’hui non seulement possible, mais nécessaire à leur rétablissement, lui aussi désormais réaliste.

Il est donc temps d’agir (5). Les Français sont demandeurs. 2/3 d’entre eux se jugent mal informés, 58% se disent prêts à changer de regard. 3 sur 4 ne savent rien de ce qu’il convient de faire non seulement pour prévenir et reconnaître des maladies comme la schizophrénie, mais aussi pour y faire face quand elles surviennent. Un chiffre catastrophique, qu’aucun autre grand enjeu de santé publique ne connaît.

Les médias ont un rôle essentiel à jouer, particulièrement dans un pays où le déficit de culture scientifique est très grand. Avec 600 000 malades et entre 3 à 5 millions de personnes concernées en comptant les parents et l’entourage immédiat, tous les Français connaissent personnellement quelqu’un, souvent caché, qui est directement touché par le sujet. Une charte de quelques comportements nouveaux et simples dans la presse est tout à fait possible.
Mais évidemment tout le travail anti-stigmatisation ne peut reposer sur les seuls médias. Et ce d’autant moins que, si, sur la santé mentale, 61% des français se jugent mal informés par eux, ils jugent d’autres vecteurs encore plus sévèrement : 69% s’estiment mal informés par la communauté médicale, et 76% par les pouvoirs publics (6). Le futur Institut national de prévention, veille et intervention en santé (7) doit inscrire parmi ses priorités un plan d’actions en matière de lutte anti stigmatisation sur la schizophrénie.

Lire les principales conclusions de l'étude ObSoco

Lire aussi l'article du Monde du 20 janvier 2016


1– Le Collectif Schizophrénies a été créé en 2015 afin de constituer un interlocuteur dédié sur la schizophrénie. il a pour objectif de porter plus haut la voix des associations de patients et de familles, de mieux faire connaître les réalités spécifiques de cette pathologie, et de permettre la mise en place de solutions à la hauteur de l’enjeu de santé publique qu’elle représente. Il exprimera prochainement ses analyses et positions.
2– L’Obsoco est spécialisé dans l’analyse des mutations de la société – www.lobsoco.com
3– Le Monde, Le Figaro, La Croix, Libération, Le Parisien, L’Express, Le Point, Paris Match
4– Etude internationale Thornicroft, Lancet 2009 avec la WPA (Fédération Mondiale de la Psychiatrie); La France se situe parmi les pays plus stigmatisants des 27 étudiés, loin et même très loin derrière tous les grands pays européens.
5 – « Il est temps de s’engager à changer de politique » : La communauté scientifique internationale s’est mobilisée, sous l’égide de l’université d’Oxford, pour éditer des recommandations communes Schizophrenia–time to commit to policy change. Fleischhacker WW, Schizophr Bull. 2014.
6– Ipsos 2009 : souhait exprimé avant tout sur la maladie mentale, qui est elle-même associée très majoritairement à la schizophrénie; à comparer avec le fait que 92% d’entre eux s’estiment correctement informés sur la santé en général. Ipsos 2014 : 58% se disent prêts à changer de regard.
7– Issu de la fusion de l’INPES (éducation santé), l’INVS (veille sanitaire), et l’EPRUS (urgences sanitaires), prévue dans la loi de santé.