Plusieurs initiatives de parlementaires et professionnels de santé vont récemment dans le sens d'une levée de voile sur la contention des patients en psychiatrie. Un sujet tabou, bien que son usage reste fréquent. Cette pratique devrait néanmoins bénéficier à l'avenir d'un meilleur encadrement et, si besoin, être véritablement réinterrogée. Hospimedia fait le point sur cette pratique et le contexte juridique.
La contention physique des patients en psychiatrie, outil thérapeutique ou mesure de protection ? Pratique de soin ou sanction parfois à seule visée sécuritaire ? Le sujet — et les débats qui l'entourent — n'est pas neuf mais revient récemment à divers titres dans l'actualité sanitaire. Depuis quelques années déjà, ce thème sensible est régulièrement mis au jour dans les rapports annuels du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), habilité à visiter les établissements de santé destinés à recevoir des patients faisant l'objet de soins sans consentement. En 2013 notamment, le CGLPL, Jean-Marie Delarue, s'est notamment penché sur des pratiques pouvant s'apparenter à "une gestion disciplinaire des patients". Il a relevé à ce sujet que la notion de "cadre de soins" semble parfois servir à des fins d'organisation du service ou à des fins disciplinaires mais n'a pas une visée strictement thérapeutique. "La plupart du temps, aucune traçabilité de ces restrictions importantes aux libertés fondamentales n'existe et aucun registre ad hoc n'est instauré", a-t-il déploré. "Par conséquent, les patients n'ont aucun recours contre l'arbitraire d'une décision qu'ils peuvent estimer à juste titre abusive, dans la mesure où elle est, par définition, non motivée et non écrite", a-t-il écrit. Mais si son rapport a considéré "un nombre non négligeable d'incidents", Jean-Marie Delarue a toutefois tenu à souligner que ces incidents "ne remettaient pas en cause, massivement, le dévouement des soignants pour les malades et ne leur faisaient pas perdre de vue leur mission de soin". "Et ces incidents interrogent les professionnels, les médecins, qui cherchent des solutions pour prévenir ces situations", a-t-il poursuivi. "Ah si dans tous les centres de privation de liberté, on pouvait avoir cette même réaction…", a souligné le contrôleur général.
Des formations se mettent en place à l'hôpital
Des professionnels qui s'interrogent et qui cherchent des solutions, il en existe par exemple au sein de l'un des plus gros hôpitaux psychiatriques de l'Hexagone, le CH Gérard-Marchant à Toulouse (Haute-Garonne). En effet, grâce à la thèse réalisée par un étudiant de médecine, désormais médecin psychiatre au CH toulousain, l'établissement interroge actuellement les pratiques médicales et soignantes autour de la contention physique. En effet, cette thèse, publiée en 2014, a montré que cette méthode comporte d'importants effets indésirables, sans avoir fait de démonstration de son efficacité clinique. "Si la contention physique est une pratique fréquente en psychiatrie, elle reste très peu abordée dans la littérature scientifique", explique à Hospimedia le Dr Raphaël Carré, auteur de la thèse. Les rares études sur le sujet ne permettent pas de prouver son efficacité thérapeutique, elles mettent l’accent sur ses nombreux effets secondaires et aucune étude n'est disponible en France. C’est en partant de ce constat que l'interne en psychiatrie dédie sa thèse à l’étude du vécu des patients face à cette procédure (lire encadré ci-dessous). Un travail qui intéresse immédiatement l'équipe médicale, puisqu'il donne l'occasion "d’identifier ces détails qui permettent de rendre la contention physique moins insupportable lorsqu’elle est strictement nécessaire", explique le Dr Anne Moncany, psychiatre au CH Gérard-Marchant et directrice de la thèse."Ce sont ces applications concrètes et rapidement transposables dans les pratiques qui font toute la valeur d’un travail de thèse médical", souligne-t-elle encore. Mais ce constat n'allait heureusement pas rester lettre morte puisque le CH s’est saisi de cette étude pour proposer des améliorations à la mise en place de la contention physique, ainsi que des alternatives en vue de limiter au maximum sa pratique. Ainsi, des sessions de formation s’adressant à l’ensemble du personnel médical et soignant ont été mises en place cette année afin de permettre de questionner collectivement le sujet : contexte clinique, abord éthique et théorique, améliorations et alternatives possibles…
Vers un observatoire national de la contention ?
Concernant le suivi des mesures de contention, le président de la commission médicale d'établissement (CME) du CH toulousain, le Dr Radoine Haoui, explique que depuis six mois peuvent être intégrées de façon spécifique au dossier patient les prescriptions de contention. Ceci offre la possibilité d'extraire ces données, en vue d'une épidémiologie. Une étude à un an sera d'ailleurs réalisée. La thématique figure également au programme de la toute nouvelle Fédération de recherche en psychiatrie et santé mentale en Midi-Pyrénées (Ferrepsy), créée en juin 2015. Cette dernière pourrait permettre un recueil régional des données sur la contention, voire alimenter la base de données d'un observatoire national, fait remarquer Radoine Haoui. Le souhait d'un tel observatoire a d'ailleurs été formulé par la Conference nationale des presidents de CME de CHS en septembre 2014, auprès d'Adeline Hazan, qui avait recemment pris ses fonctions de CGLPL en remplacement de Jean-Marie Delarue. Le président de la conférence, Christian Müller, a indiqué alors vouloir donner suite à une proposition du rapport Robiliard rendu fin 2013 à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à savoir "l'installation d'un observatoire national des libertés permettant d’objectiver au sein des services de psychiatrie la réalité des pratiques d’isolement et de contention". Dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la modernisation de notre système de santé — qui doit reprendre le 14 septembre au Sénat —, la question de la contention est d'ailleurs évoquée.
L'encadrement juridique de la contention bientôt voté
En première lecture, un nouvel article a été introduit dans le projet de loi de Santé lors de son examen à l'Assemblée nationale en commission des affaires sociales. Il résulte de l'adoption d'un amendement du député Denys Robiliard (SRC, Loir-et-Cher), inspiré des conclusions de la mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie. L'article propose un encadrement juridique du placement en isolement et de la contention. Il définit tout d'abord les circonstances dans lesquelles ils peuvent être pratiqués. Il est précisé qu'il s'agit de solutions de derniers recours qui ne peuvent être mises en œuvre que dans le but de "prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui". Et elles feront l'objet d'une "surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin". Enfin, les établissements assurant des soins psychiatriques sans consentement auront l'obligation de tenir, sous forme numérique s'ils le souhaitent, un registre retraçant pour chaque mesure d'isolement ou de contention "le nom du psychiatre l'ayant décidée, sa date et son heure, sa durée ainsi que le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée".
Chaque établissement devra par ailleurs établir chaque année un rapport rendant compte des pratiques en matière d'isolement et de contention ainsi que des actions mises en place pour en limiter le recours. S'il faut attendre le vote définitif du projet de loi pour que ces mesures puissent entrer en vigueur — et si ces dispositions subsistent au final —, un pas important va être en tous cas franchi vers plus de transparence et un meilleur contrôle de la contention, donc vers un plus grand respect des droits des patients. Ceci grâce au travail conjoint des élus et des acteurs de la psychiatrie mais surtout des professionnels de terrain qui sauront engager des questionnements sur les soins à partir de ces nouveaux outils.
Caroline Cordier, journaliste, Hospimedia. Article reproduit avec l'aimable autoristion d'Hospimedia.