Addictions : le défi de l’intervention précoce

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e numéro 14 d’Actal, Cahiers thématiques est consacré à l’intervention précoce sous tous ses aspects : méthodes, enjeux et pratiques. Il a été élaboré avec le GREA (Groupe Romand d’Etudes des Addictions) et propose des regards suisse, français, belge et québécois sur la thématique. Au vu de l’actualité et de la publication récente des chiffres par l’OFDT et l’INPES, nous diffusons exceptionnellement ce numéro gratuitement dans sa version numérique. – See more at: http://www.federationaddiction.fr/actal-14-avril-2015-le-defi-de-lintervention-precoce/#sthash.RnBQ0TEj.dpuf

 Le numéro 14, d'ACTAL, Cahiers thématiques de la Fédération Addiction est consacré à l'intervention précoce : métodes, enjeux et pratiques. Il a été élaboré avec le GRE (Groupe Romand d'Etudes des Addictions) et propose des regards suisses, français et québécois et est téléchargeable gratuitement.

 

EXTRAIT de l'éditorial "L'air du temps et l'intervention précoce" de Jean-Félix Savary,  Secrétaire général du Groupement Romand d’Etudes des Addictions "L'air du temps et l'in(GREA), Lausanne

L’intervention précoce est à la mode. Rarement dans notre domaine, un terme n’aura remporté un succès aussi fulgurant que celui de l’intervention précoce. Chez les professionnels, mais surtout chez les politiques, «l’intervention précoce» offre ce côté magique qui nous donne enfin une réponse simple à un problème complexe. Face à la consommation de psychotropes, il est possible d’intervenir, et de plus, de manière précoce, donc probablement plus efficacement.
Derrière ce joli vocable, nous retrouvons l’esprit de notre temps. Une volonté d’agir sur le réel, coûte que coûte (intervenir), avec un souci marqué d’efficience (précoce). Il n’est donc pas étonnant que l’intervention précoce ait rapidement conquis le discours sur les addictions. En premier lieu, nos élus et responsables administrativo-politiques, qui voient dans cette formule une nouvelle manière de s’attaquer aux consommations de psychotropes.
Intervenir précocement, la belle affaire. Voici mêlés dans une même expression le besoin impérieux d’être actif face à une réalité qui nous échappe et la volonté d’agir dans l’instant. La notion de précocité associée aux conduites addictives suggère d’être proactif, d’agir par anticipation, vite et juste.

Le doute sur IP
Cette belle unanimité doit bien entendu instantanément réveiller notre esprit critique. Quand tout le monde est d’accord sur un sujet aussi polarisant que les addictions, il y a probablement quelque chose qui a été mal expliqué. Notre domaine complexe résiste toujours à se faire enfermer dans un terme miracle. Il convient donc d’aborder cette nouvelle perspective avec la circonspection qui convient, d’autant plus que l’intervention précoce n’est pas un terme qui vient du domaine des addictions, mais qu’il lui a été appliqué par d’autres, notamment les pouvoirs publics, soucieux de faire baisser le burden of deasease des problématiques addictives.
Rappelons-nous également que le terme d’intervention précoce a d’abord fait son apparition dans un contexte clairement discriminatoire. En France, il a d’abord été proposé pour la prévention de la délinquance par l’INSERM, repris par un ministre de l’intérieur pressé, qui deviendra ensuite président. Il s’agissait de mettre la statistique au service d’une logique de classement en identifiant les individus qui cumulent les facteurs de risques1, logique forcément porteuse de dynamiques de stigmatisations, et ceci à l’école maternelle déjà (dès 36 mois).

En Suisse aussi, le terme apparaît avec un sens des plus ambigus. Nous avons ainsi d’abord parlé de fru?herfassung, à savoir «enregistrement précoce», avant d’arriver sur le terme de fru?herkennung, donc de «repérage précoce». Dans les deux cas, l’idée est d’appliquer des méthodes tirées des sciences actuariennes pour délimiter des groupes, et de séparer les individus sains des individus à risque, à problème, ou simplement perçus comme dangereux. Dans les deux cas, il s’agit d’abord de nommer, d’identifier, d’étiqueter des personnes. Séparer le bon grain de l’ivraie en langage biblique. La logique de classement n’est pas sans risques. Dans le domaine des addictions (mais aussi dans d’autres comme la santé mentale, la migration ou le travail du sexe), le regard jugeant porté par la société peut devenir la principale difficulté.
La désignation d’un comportement comme problématique a priori charge la personne d’un obstacle supplémentaire. Ainsi, et c’est une vérité, on ne peut désigner un problème sans se donner les moyens de le combattre, faute de quoi on l’aggrave. Comment s’engager alors dans une logique légitime mais qui, potentiellement, comporte des éléments de nature à péjorer une situation, si les moyens nous manquent pour intervenir efficacement ?

L’Intervention précoce
Est-ce dire que l’intervention précoce ne serait qu’un miroir aux alouettes? Bien sûr que non. Les opportunités de déployer des actions nouvelles, respectueuses et efficientes existent! C’est ce que donne à voir le présent numéro. Cependant,n la connaissance des pièges que peut comporter le terme reste indispensable. Il s’agit pour les spécialistes des addictions de se réapproprier une notion pour lui donner le sens le plus conforme possible aux valeurs qui sous-tendent notre travail. Un dépistage qui aurait pour objectif de désigner les infractions à une norme morale se doit d’être combattu. Il en est de même pour toute logique visant à pathologiser des comportements qui font partie de nos sociétés. Par contre, il nous incombe de promouvoir des offres de soutien, de renforcement du milieu et de réduction des risques, pour un public qui n’est pas encore en demande. Les contours de
l’intervention précoce doivent donc être redessinés par le domaine des addictions, loin des fantasmes hygiénistes d’une jeunesse idéale, pure et saine, qui serait la seule voie de développement possible.

ACTAL, Le défi de l'intervention précoce, numéro 14, avril 2015, Fédération Addiction – www.federationaddiction.fr