Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté sortant « Je souhaite à mon successeur de ressentir la même passion au contact des acteurs de la psychiatrie »

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Au terme de son mandat, achevé le 13 juin, Jean-Marie Delarue, première personnalité à avoir assuré les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté, revient pour Hospimedia sur les évolutions apportées par cette institution, en particulier sur les réformes psychiatriques à l'ordre du jour et la perspective de visiter bientôt les Ehpad.


Hospimedia : "Vous êtes la première personnalité à avoir assumé les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Avez-vous ressenti au fil de la durée de ce mandat une évolution de vos relations avec les directeurs et les équipes soignantes dans les établissements visités ?

Jean-Marie Delarue : Il y a évidemment eu une évolution. Au fil des années, l'on apprend à se connaître. Nous avons été parfaitement acceptés dès le début et, vraiment, la plupart des établissements ont joué la transparence, en ne faisant au fond aucun obstacle à l'application de la loi de 2007 qui a institué le CGLPL. Mais au fil des années, on a de plus compris que nous pouvions être un levier d'évolution positive. Cette loi n'a pas été simplement subie, nous avons été perçus comme pouvant permettre d'aider les directeurs d'établissements, les praticiens et les soignants, au-delà du rôle bien sûr qui nous est dévolu pour les malades. Cette évolution me paraît particulièrement sensible du côté des praticiens, lesquels évidemment sont très soucieux de leurs prérogatives médicales dans les unités. Ils pouvaient concevoir ces visites comme une "intrusion", une espèce d'empiètement, et puis cela ne s'est pas produit tout à fait comme cela… Les contacts que nous avons eus, les explications que nous avons données, les échanges qui ont été faits, notre présence dans les congrès syndicaux, ont permis que nous ayons été compris comme un vecteur d'évolution possible dans le sens des intérêts bien compris des uns et des autres. Et si je tiens à le souligner, c'est qu'il n'en a pas été de même avec toutes les professions que nous avons été amenées à fréquenter dans d'autres lieux de privation de libertés.

     
H. : Qu'est-ce qui vous a le plus marqué, durant ces six années, lors des visites des établissements assurant des soins sans consentement ?

J.-M.D. : Je connaissais quelque peu la réalité psychiatrique mais de très loin, de façon abstraite. L'avantage de cette fonction, c'est de nous immerger véritablement dans la réalité, la plus banale et quotidienne. Pas celle des bureaux des directeurs, mais celle des couloirs et des chambres d'hôpital. Trois choses essentiels m'ont marqué. La première ce sont des conditions matérielles, qui dans un certain nombres d'endroits ne sont pas du tout satisfaisantes. Il y a eu certes un plan de rénovation hospitalier à l'orée de la décennie 2000 mais il existent encore des conditions matérielles inacceptables. C'est le cas dans certaines chambres d'isolement, où l'existence du seau hygiénique peut être encore la règle. Ce sont des éléments qui apparaissent comme d'un autre âge. Ce n'est pas le cas partout, bien heureusement, mais ça l'est encore trop souvent. Deuxièmement, lorsque nous avons commencé ce travail, les droits des malades étaient un peu oubliés en regard de la nécessité du soin. Bien entendu, les gens sont là pour être soignés mais en même temps la qualité d'être humain fait que l'on dispose de droits irréductibles, même lorsque l'on est malade, notamment le droit de se défendre contre la mesure dont on fait l'objet. La troisième chose qui nous a frappés, c'est précisément l'hétérogénéité des situations des malades au regard de ces droits, selon l'unité où l'on est affecté. Un exemple caractéristique, l'usage du téléphone portable utilisé sans réserves dans certaines unités, totalement interdit dans d'autres, utilisé à certaines heures dans des troisièmes, en présence ou non d'un agent hospitalier. Le tout sans justification thérapeutique, c'est cela qui est important… Qu'il y ait des restrictions d'accès à certaines choses pour des besoins de santé, personne ne peut le discuter, si cela est raisonnable et adapté. Mais cette espèce de règle générale qui différencie les unités et non les pathologies nous a beaucoup surpris et je crois qu'il faut contribuer à réduire ces différences. 


H. : La situation évolue-t-elle au fil des visites et de vos recommandations et avis, notamment rendus dans les rapports annuels remis au nom du CGLPL ?

J.-M.D. : Ces différences n'ont pas d'autres justifications que les habitudes prises ci et là, les traditions de l'hôpital, la volonté de tel ou tel chef de service, etc. J'ai eu une grande satisfaction en recevant il y a peu de temps, suite à l'une de nos visites, une lettre d'un directeur gérant une unité pour malades difficiles [UMD] me disant : "J'ai réuni les chefs d'unités, nous nous sommes mis d'accord pour définir, ensemble, les règles d'utilisation des téléphones". On attend toujours une circulaire du ministère qui permettrait le rappel des droits des patients et l'harmonisation de toutes ces pratiques si hétérogènes. Mais ce que je souhaiterais c'est que les professionnels prennent l'initiative eux-mêmes. Point n'est besoin d'un texte ministériel si l'on peut avancer sur le terrain ! Je n'ai pas le fétichisme de la circulaire, ce qui m'intéresse c'est le respect du maître mot : "effectivité" des droits. Le droit de recourir à un avocat, si l'on a pas accès à un annuaire avec des adresses ad hoc, à un papier et un crayon et à un téléphone, cela reste un droit abstrait. Chacun des professionnels doit prendre conscience que l'hôpital, pour la partie qui nous intéresse naturellement, n'est pas seulement un lieu de soins mais aussi un lieu de privation de liberté. Je crois que nous avons aidé à cette prise de conscience, si l'on voudrait résumer d'un mot l'apport du CGLPL. J'espère qu'il s'en déduira une évolution nécessaire des pratiques même si, cela va de soi, il ne s'agit pas de renoncer à la qualité des soins. Je crois que nous avons avancé sur le point du respect des droits vis-à-vis des directeurs, avec lesquels je dois dire le dialogue a été, dès le départ, constant et très constructif. 

H. : La loi du 27 septembre 2013 relative aux soins sans consentement a abrogé le statut légal des UMD. Est-ce une bonne chose et qu'en est-il de la valeur juridique du décret de 2011 sur ces unités ?

J.-M.D. : J'ai ressenti une forte inquiétude des professionnels qui travaillent dans les UMD sur cette disparition du corpus législatif et une très forte demande pour que le statut de ces unités soit reconnu dans une règlementation particulière. Il n'est pas question d'enlever aux UMD leur rôle spécifique, même si l'état actuel du droit est d'en faire des unités hospitalières "classiques" du point de vue administratif. Il n'y a pas de volonté de leur ôter leur caractère particulier. Il faut par ailleurs rappeler que jusqu'en 2011, il n'y avait pas de mention d'UMD dans la loi. C'est finalement un retour au statu quo ante, et je crois qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur le fond. Selon moi, cela n'a pas d'autre signification que de montrer que cette différenciation n'a pas vocation à être inscrite dans la loi. Le décret de 2011 n'a en principe plus de valeur sauf s'il rentre dans la sphère du pouvoir règlementaire dit autonome du Gouvernement, lequel a le droit de prendre des décrets sans habilitation législative dès lors que leur objet relève de ce qu'il a compétence à règlementer, à savoir l'organisation administrative. L'inscription dans la loi en 2011 correspondait d'ailleurs à une espèce d'accentuation du volet répressif. Dans le discours d'Antony [prononcé en décembre 2008 par l'ancien chef de l'État Nicolas Sarkozy], il s'agissait clairement de désigner dans la loi des endroits où certains malades seraient plus "enfermés" que d'autres. Le législateur de 2013 nous dit qu'il ne s'agit pas d'un régime différent appliqué aux patients mais d'une différence de prise en charge. S'il y a des questions juridiques qui se posent aujourd'hui sur les UMD, il n'y a cependant pas de question de fond.  

H. : Pour autant, des problématiques restent à régler, par exemple, les conditions de reprise dans son établissement d'origine d'un patient amené à sortir d'une UMD…

J.-M.D. : Une circulaire serait effectivement la bienvenue pour préciser les conditions de ce retour. Il reste que le retour de malades qui sont partis dans de mauvaises conditions d'un établissement hospitalier pour aller en UMD suscite chez les personnels un certain effroi, il ne faut pas se dissimuler la réalité, dans le contexte par exemple de ce drame épouvantable survenu à Pau en 2004, et on le comprend très bien… Cependant, lorsque les médecins de l'UMD estiment que la personne peut retourner dans son établissement, que la commission de suivi donne son accord, ces diagnostics médicaux devraient suffire à rassurer les personnels. Il doit y avoir une absence d'appréhension compte tenu des précautions qui sont prises pour la sortie. En cas d'inquiétudes, un dialogue doit se nouer entre les équipes, sous l'égide de l'ARS ou des ARS des établissements concernés. D'autres problèmes se posent en cas de déménagement de la famille du secteur d'origine où a été décidée l'hospitalisation : il ne serait pas souhaitable d'éloigner un patient de celle-ci à sa sortie d'UMD. Ce qui m'insupporte, c'est que l'on ne peut pas à la fois maintenir en l'état un statut des UMD distinct de celui des autres unités hospitalières, avec des contraintes accrues, et y maintenir des personnes qui n'ont pas vocation à y être. Nous avons encore reçu des courriers récemment dans lesquels des patients attendent des mois, voire quelquefois des années avant de pouvoir sortir d'UMD. C'est une injustice profonde pour ces personnes.

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Propos recueillis par Caroline Cordier avec l'aimable autorisation de reproduction d'Hospimédia