La recherche infirmière progresse…

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RECHERCHE. Olivier Esnault, cadre supérieur de santé au centre hospitalier spécialisé Montperrin, dans les Bouches du Rhône, doctorant en philosophie, témoigne, à l’issue de sa participation aux dernières journées d’étude de l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi), que la recherche en sciences infirmières est bien en marche.

Santé Mentale – Cette dernière journée d’étude de l’Arsi témoigne-elle(enfin…) d’une progression de la culture scientifique infirmière ?
Olivier Esnault – D’une progression de la culture scientifique infirmière, je ne sais pas, mais d’une sorte de bouillonnement intellectuel sur la base des pratiques de terrain, certainement. C’était la première fois qu’un « vieil infirmier de secteur psychiatrique » comme moi participait à cette manifestation qui existe pourtant depuis 1987. Diplômé en 1984, j’ai découvert la recherche en intégrant l’école des cadres en 2004, approchant alors les sciences humaines, en particulier celles de l’éducation. Cela m’a très vite passionné de mettre en lien ma pratique de soignant en psychiatrie avec les sciences humaines. Aujourd’hui, les infirmiers formés depuis 1992 sont invités à pratiquer une recherche « quasi forcée » au travers de leur travail de fin d’étude, à l’instar des validations de cursus universitaires. Mais qu’en pensent-ils réellement ? La recherche est-elle à leur portée? Sur quelle pratique peuvent-ils s’appuyer ?
Qu’en retiennent-ils ? Comment parler de culture infirmière, voire de sciences infirmières ? De plus, dans une société où le poids du savoir lié à la santé revient aux médecins, reléguant l’acte technique aux infirmiers, petites mains qui ne réfléchissent pas, comment se positionner légitimement en tant que chercheur et avec quels travaux ? Ces journées de l’Arsi qui rassemblent un public cosmopolite (infirmiers, étudiants cadres de santé, cadres, cadres supérieurs de santé, directeurs des soins, universitaires, professeurs canadiens, suisses et français, médecins) affichent des finalités pédagogiques claires « comprendre les principes épistémologiques et les concepts sur lesquels se construit la discipline infirmière, reconnaître des courants de pensée dans leur contexte d’émergence et d’adaptation, appréhender les processus d’application opérationnelle des résultats de recherche ». Néanmoins, je m’interroge sur le décalage entre des infirmiers penseurs/chercheurs, voire universitaires,
et les infirmiers de terrain. Les discours des intervenants de ces journées sont-ils à la portée des infirmiers ? Parle-t- on le même langage ?
Santé Mentale – Qu’avez-vous pensé des travaux de recherche présentés lors de ces journées d’étude ?
Olivier Esnault – Parmi les huit présentations, cinq portaient sur la clinique, deux sur la formation et une sur la méthodologie de la recherche. Pour ma part, l’intérêt de ces journées résidait dans la mise en lien universitaire/pratique infirmière, du point de vue théorique et méthodologique. J’ai été très impressionné par la recherche d’Isabelle Fromantin (1), infirmière expert en plaies et cicatrisation à l’Institut Curie, qui a convaincu l’assistance par une démarche créative (méthodologie, technique, évaluation) au service de la pratique clinique. L’infirmière y a toute sa place étant donné sa grande implication dans le traitement des plaies au quotidien. Autre recherche présentée « L’évaluation de l’impact du toucher dans les soins » (2). Cette démarche pluridisciplinaire de grande envergure retient l’attention même si l’appui médical, évident, ne fait pas de ce travail une référence en termes de recherche infirmière pure, ce qui est dommage. Une recherche très prometteuse sur l’anorexie, actuellement en cours au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris) a également été présentée (3).
Santé Mentale – Pourquoi les recherches en soins infirmiers ont-elles autant de mal à investir les pratiques quotidiennes ?
Olivier Esnault – Ce qui me semble le plus évident est avant tout le manque de moyen et de volonté des soignants, leur difficulté à s’inscrire dans une culture de la lecture et de l’écrit. Les recherches médicales sont davantage « portées », s’appuyant sur les laboratoires et les axes de prises en soins. Les recherches infirmières évoluent cependant, engagées par la formation initiale, mais provoquant parfois un choc des cultures quand elles sont présentées aux infirmiers des unités de soins. Un manque d’espace réflexif, d’appropriation du rôle propre infirmier, de disponibilité des hiérarchies, une activité intense axée sur les pratiques techniques renforcent encore ces difficultés d’investissement.
Santé Mentale – De fait, quel est l’intérêt du réseau de chercheurs en soins infirmiers mis en place à l’issue de ce congrès?
Olivier Esnault – L’Arsi a décidé de recenser les infirmières doctorants et docteurs pour les mettre en lien et promouvoir la recherche. Pour l’instant, un groupe d’une vingtaine d’infirmiers, cadres et cadres supérieurs ayant finalisés un doctorat ou en cours de thèse, s’est constitué. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger sur nos trajectoires mais surtout de recenser les retombées de nos études universitaires sur nos pratiques quotidiennes, soignantes, managériales ou de formation. Un réseau de soutien et de partage de connaissances s’est donc constitué. À nous de le faire vivre !

1- Fromantin I., De la recherche à la pratique clinique en Plaie & et Cicatrisation, Institut Curie, Paris.
2- Hentz F., cadre supérieur de santé, Mulliez A., biostatisticien, Gorrand J. infirmière, CHU Clermont-Ferrand.
3- Colson C., cadre supérieur de santé, Unité TCA, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris.

■ Savoir scientifique : production, enseignement et application dans la pratique », Journées d’étude de l’ARSI, Association de Recherche en Soins Infirmiers, 21,22 janvier 2010, Courbevoie (92) ; www.arsi.asso.fr