Au Québec, la Commission de l’Ethique de la Science et de la Technologie (CEST) est chargée d’instaurer une réflexion pluraliste et permanente sur les enjeux éthiques associés à l’activité scientifique et technologique. Elle conseille par ailleurs le gouvernement et un de ses récents avis porte sur « Médicaments psychotropes et usages élargis : un regard éthique ». Pour la CEST, « plusieurs facteurs justifient de porter un regard particulier sur les médicaments psychotropes : la popularité grandissante des médicaments qui stimulent, ou, au contraire, diminuent les fonctions cognitives ; l’engouement des produits en vente libre qui visent les mêmes effets (caféine, vitamines, oméga 3…) ; le développement de ce segment dans l’industrie pharmaceutique et, enfin, l’information incomplète relative aux effets secondaires à long terme sur le système nerveux ». De quoi justifier ce rapport d’une centaine de pages.
La Commission retient comme définition de « psychotrope », celle d’un « médicament d’ordonnance ayant un effet sur le système nerveux central et sur le psychisme ». Parallèlement aux avancées scientifiques de la neuropharmacologie, la Commission souligne depuis quelques années, une hausse des diagnostics de certains troubles mentaux (dépression, trouble de déficit d’attention, hyperactivité…) et une augmentation des prescriptions. Plusieurs facteurs l’expliquent : une diminution des tabous entourant la santé mentale, une sensibilisation des praticiens aux troubles mentaux, de meilleurs outils diagnostiques, une accessibilité accrue à ces médicaments grâce à la mise en place de régime d’assurance et enfin un usage de type « mode de vie » qui s’éloigne de la thérapie initiale pour répondre à des attentes sociales (performance, productivité, changements rapides…). C’est ce que la Commission nomme les « usages élargis ».
Or, le recours aux médicaments pour correspondre à un style de vie et aux valeurs sous-jacentes se distingue du recours pour la guérison d’une maladie mentale ou neurologique. Un chapitre porte donc sur les usages élargis « mode de vie » de ce que la Commission nomme les « lifestyledrugs » et sur certaines de leurs conséquences, tout en questionnant la notion de normalité sociale.
Onze recommandations générales émanent de ce rapport et parmi elles :
– que les principaux acteurs approfondissent les connaissances liées aux médicaments psychotropes ;
– que le ministère de la santé et des services sociaux élabore des recommandations de bonnes pratiques en santé mentale et des outils d’aide à la décision ;
– que les universités et les ordres professionnels concernés intègrent les traitements non pharmacologiques dans les cursus de base en santé mentale et les programmes de formation continue ;
– que le Commissaire à la santé et au bien-être mène un débat public sur les « usages élargis » des psychotropes.
Sur ce dernier aspect, la Commission souligne que « l’idée de modifier le cerveau, siège de la pensée et symbole du “soi” laisse rarement indifférente (…) et que si la réalisation de soi intègre la réussite et la performance, tous les moyens pour y parvenir ne sont pas souhaitables… ». Au-delà du débat médico-scientifique, la Commission ouvre une passionnante réflexion sociétale.
• « Médicaments psychotropes et usages élargis : un regard éthique », rapport de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie, Québec, 3e trimestre 2009 ; www.ethique.gouv.qc.ca