Politique de la transmission de la psychanalyse
PARIS
Laboratoire organisé par l'association Corpo Freudiano Paris
Nous ne pouvons pas ne pas constater que la théorie psychanalytique, assumée comme quelque chose d’achevé et de définitif, est l’homologue d’une organisation psychotique, puisqu’inévitablement séparée d’un sujet de l’énonciation. Tout appareil théorique est efficace et transmissible seulement s’il engage les processus de symbolisation. En ce sens la théorie est ce quelque chose qui se réélabore continuellement à chaque nouvelle expérience analytique, quitte à devenir un instrument d’aliénation.
En tant qu’institution psychanalytique qu’insiste, le désir de Corpo Freudiano est bien de transmettre non seulement la théorie, mais aussi une pratique analytique qui ne renvoie pas à un savoir figé, mais à une expérience qui s’adresse à la singularité de chaque Un. Alors, de quelle manière peut-elle consentir au sujet de surgir, en tout moment, et donner ainsi impulsion aux processus de symbolisation ?
A cet égard, Alain Didier-Weill avait fait la proposition d’un lieu d’Insistance comme espace où « formation » et « passe » pourraient se déployer sans rester prisonnières d’un surmoi institutionnel figeant, qui empêcherait toute formation du psychanalyste. Dans cette rencontre, nous voudrions réfléchir avec vous à la question de la transmission à partir de ces considérations et du texte suivant d’A. Didier-Weill, extrait de Pour un lieu d'insistance.
« Jusqu’à l’hypothèse de la passe, la transmission de la psychanalyse se faisait par deux voies parallèles qui ne pouvaient se croiser : le devenant analyste était enseigné d’un côté, dans le champ de l’intension, par ce qu’il s’était autorisé à dire en tant qu’analysant sur un divan, de l’autre, dans le champ de l’extension, par un enseignement textuel qu’il recevait d’enseignants qualifiés par l’institution. Un tel clivage engendrait le paradoxe suivant : comment se faisait-il que l’inventivité métaphorique dont avait pu faire état un analysant quand il avait élaboré, dans la position horizontale du divan, désertait si souvent sa parole quand, devenu analyste, il était amené à parler verticalement, devant un public d’analystes dans son institution ?
Comment se faisait-il en somme que la parole du devenu analyste puisse faire entendre que le prix payé par le fait de parler en tant que “membre appartenant à”, passait par le fait d’avoir à cesser de s’autoriser à l’inventivité métaphorique ?
À partir du moment où Lacan avançait qu’il n’appartenait pas seulement à l’analysant, en position hystérique, de s’autoriser à parler, mais que cette tâche de parole incombait à tout devenu analyste, la question ouverte devenait celle-ci : l’acte analytique de s’autoriser n’était pas un acte ineffable, d’ordre mystique, et n’était à cet égard, pas dissociable d’un acte redoublé par lequel l’analyste avait à rendre transmissible, par sa parole, en quoi il s’était autorisé. En quoi, en somme, il réinventait avec ses propres mots la théorie analytique qui cessait, dès lors, d’être nanti d’une autorité devant laquelle pouvait exister la tentation de s’incliner : tentation paradoxale d’annuler ce que son expérience analytique lui avait appris (l’Autre est barré) en reconstituant un lieu d’autorité autorisant un transfert sur un Autre institutionnel non barré.
La conséquence de l’idée selon laquelle chaque analyste pouvait être ce passant articulant cet énigmatique S(?) détenant le pouvoir de substituer à la discontinuité privée publique une continuité de l’intension et de l’extension était énorme car elle tendait à dire ceci à chaque analyste : “Si tu considères qu’il n’appartient qu’à un être d’exception – Freud ou Lacan – d’inventer ou de réinventer la psychanalyse, c’est que tu résistes à considérer l’existence de ce sujet d’exception qui est, en toi, le sujet de l’inconscient. Ce sujet qui, contrairement au moi, n’est pas clivé entre le dedans et le dehors, entre l’intension et l’extension, mais divisé selon une continuité faisant de lui un récepteur. L’Autre ayant à se transmettre en émetteur pour l’Autre, attend de toi que tu sois un récepteur de la théorie qui puisse se transmuter en émetteur selon cette inversion féconde : l’émetteur reçoit du récepteur son propre message sous forme inversée.”
Cette tentation d’annuler ce qui a pu être péniblement conquis sur un divan est si fréquente que nous ne devons pas nous hâter de prétendre que nous avons la certitude d’avoir fait nôtre l’exigence éthique du “s’autoriser de soi-même”. Il nous faut, à cet égard, rigoureusement distinguer l’assentiment qui est donné à cette sentence parce qu’elle tend à décharger l’analyste de la charge surmoïque venant de l’autorité institutionnelle, de l’assentiment donné, tout au contraire, à l’assomption de la charge nouvelle qui incombe à quiconque prend en charge, pour en assurer la transmissibilité, le réel mis en jeu par l’acte de s’autoriser de soi-même.
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